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grand poids sous un même volume. L’homogénéité des parties doit encore produire dans les pierres précieuses la transparence & l’éclat : c’est ce qu’on appelle eau en langage de lapidaire ; & c’est le plus ou le moins de transparence ou de netteté de ces pierres qui avec leur dureté augmente ou diminue considérablement le prix qu’on y attache.

Les vraies pierres précieuses sont le diamant, le rubis, le saphire, la topase, l’émeraude, la chrysolite, l’amethyste, l’hyacinthe, le péridot, le grenat, le berille ou aigue-marine. Voyez ces différens articles.

Toutes ces pierres se trouvent ou dans le sein de la terre, ou dans le lit de quelques rivieres, au sable desquelles elles sont mêlées ; elles ne peuvent pour l’ordinaire être reconnues que par ceux qui sont habitués à les chercher. C’est sur-tout dans les Indes orientales que l’on trouve les pierres précieuses les plus dures & les plus estimées ; les îles de Borneo, les royaumes de Bengale, de Golconde, de Visapour & de Pégu, ainsi que l’île de Ceylan, en fournissent assez abondamment. Quant à celles que l’on trouve dans les autres parties du monde, elles n’ont communément ni la dureté, ni l’éclat, ni la transparence des pierres précieuses qui viennent de l’orient. C’est-là ce qui a donné lieu à la distinction que font les Jouailliers & les Lapidaires de ces pierres en orientales & en occidentales ; distinction qui n’est fondée que sur leur plus ou moins de dureté. Ainsi quand un lapidaire dit qu’une pierre précieuse est orientale, il ne faut point imaginer pour cela qu’elles viennent réellement d’orient, mais il faut entendre par-là que sa dureté est la même que celle des pierres de la même nature qui viennent de ces climats. Cette observation est d’autant plus vraie, qu’il s’est trouvé en Europe même & dans l’Amérique, des pierres précieuses qui avoient la dureté & l’éclat de celles des Indes orientales.

Il est très-difficile de rendre raison pourquoi les Indes sont plus disposées que d’autres pays à produire des pierres précieuses ; il paroît en général que les climats les plus chauds sont plus propres à leur formation que les autres, soit que la chaleur du soleil y contribue, soit que la nature du terrein y soit plus appropriée, & les sucs lapidifiques plus atténués & plus élaborés. Quoi qu’il en soit, il paroît certain que toutes les pierres précieuses ont la même origine que les crystaux ; lorsqu’on les trouve dans leurs matrices ou minieres, elles affectent toujours une figure réguliere & déterminée qui varie, étant tantôt prismatiques, tantôt cubiques, tantôt en rhomboïde, &c.

A l’égard des pierres précieuses qui se trouvent dans le lit des rivieres, & mêlées dans le sein de la terre avec le sable, on sent aisément que ce n’est point-là le lieu de leur formation ; ces pierres qui sont roulées & arrondies comme les cailloux ordinaires, doivent avoir été apportées d’ailleurs par les torrens & les eaux, qui les ont arrachées des roches & des montagnes où elles avoient pris naissance. On a remarqué que c’est à la suite des fortes pluies que l’on trouvoit plus communément les pierres précieuses, les topases & les grenats dans le lit des rivieres de l’île de Ceylan. On assure qu’il se trouve en Bohème des cailloux au centre desquels on voit des rubis lorsqu’on vient à les casser. Ce fait prouve que ces rubis ne sont autre chose que la matiere la plus épurée de ces cailloux qui s’est rassemblée à leur centre.

Les pierres précieuses varient pour la couleur ; les rubis sont rouges, les topases sont jaunes, les émeraudes sont vertes, les saphirs sont bleus, &c. L’on ne peut douter que ces différentes couleurs ne soient dûes aux métaux, qui seuls dans le regne minéral ont la propriété de colorer. Comme ces substances sont différentes de celles qui constituent les pierres précieuses, il n’est point surprenant que les pierres colorées n’aient point communément la même dureté

que le diamant, qui est pur, transparent, & composé de parties purement homogenes.

Une des choses qui contribuent le plus au prix des pierres précieuses, c’est leur grandeur. En effet, si ces pierres sont rares par elles-mêmes, celles qui sont d’une certaine grandeur sont moins communes encore. On pourroit en rendre une raison assez naturelle, en disant que les pierres précieuses sont pour ainsi dire l’extrait ou l’essence d’une grande masse de matiere lapidifique, dont la partie la plus pure & la plus parfaite ne peut former qu’un très-petit volume lorsqu’elle a été concentrée & rapprochée par l’évaporation insensible qui lui a donné la consistence d’une pierre.

Le grand prix des pierres précieuses n’avoit point permis jusqu’à-présent aux Chimistes d’en tenter les analyses par le moyen du feu : une entreprise si coûteuse étoit réservée à des souverains ; elle a été tentée à Vienne depuis quelques années, par l’empereur François I. actuellement régnant, dont le goût pour le progrès des Sciences est connu de tout le monde. Par les ordres de ce prince on mit plusieurs diamans & rubis dans des creusets terminés en pointe, que l’on eut soin de lutter avec beaucoup d’exactitude ; on les tint au degré de feu le plus violent pendant vingt-quatre heures ; au bout de ce tems, lorsqu’on vint à ouvrir les creusets, on vit avec surprise que les diamans étoient totalement disparus, au point de n’en retrouver aucuns vestiges. Quant aux rubis, on les retrouva tels qu’on les avoit mis ; ils n’avoient éprouvé aucune altération : sur quoi on exposa encore un rubis pendant trois fois vingt-quatre heures au feu le plus violent, qui n’y produisit pas plus d’effet que la premiere fois ; il sortit de cette épreuve sans avoir rien perdu ni de sa couleur, ni de son poids, ni de son poli.

L’empereur a fait faire la même expérience de la même façon, sur plus de vingt pierres précieuses de différentes especes ; de deux heures en deux heures on en retiroit une du feu, afin de voir les différens changemens qu’elles pouvoient successivement éprouver. Peu-à-peu le diamant perdoit son poli, devenoit feuilleté, & enfin disparoissoit totalement ; l’émeraude étoit entrée en fusion, & s’étoit attachée au fond du creuset ; quelques autres pierres s’étoient calcinées, & d’autres étoient demeurées intactes. Avant de faire ces expériences, on avoit eu la précaution de prendre des empreintes exactes de toutes ces pierres, afin de voir les altérations qu’elles éprouveroient.

Le grand duc de Toscane avoir déja antérieurement fait faire des expériences sur la plûpart des pierres précieuses, en les exposant au foyer d’un miroir ardent de Tschirnhausen. Ces opérations peuvent servir de confirmation à celles qui ont été rapportées ci-dessus faites au feu ordinaire. On trouva donc que le diamant résistoit moins à l’action du feu solaire que toutes les autres pierres précieuses ; il commençoit toujours par perdre son poli, son éclat & sa transparence ; il devenoit ensuite blanc & d’une couleur d’opale ; il se gersoit & se mettoit en éclats, & en petites molécules triangulaires, qui s’écrasoient sous la lame d’un couteau, & se réduisoient en une poudre dont les parties étoient imperceptibles, & qui considérées au microscope avoient la couleur de la poudre de la nacre de perle. Tous les diamans subissoient ces mêmes changemens, les uns plutôt, les autres un peu plus tard.

Enfin on essaya de joindre au diamant différens fondans ; on commença par du verre, qui ne tarda point à entrer en fusion au miroir ardent, mais le diamant nageoit à sa surface, sans faire aucune union avec lui ; on chercha à l’enfoncer dans la matiere fondue, mais ce fut inutilement : le diamant diminua