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l’eau, il faut toujours briser cette houpe.

On les pêche à Toulon, à 15, 20, 30. piés d’eau, & plus quelquefois, avec un instrument appellé crampe ; c’est une espece de fourche de fer, dont les fourchons ne sont pas disposés à l’ordinaire ; ils sont perpendiculaires au manche ; ils ont chacun environ 8 pouces de longueur, & laissent entr’eux une ouverture de 6 pouces, dans l’endroit où ils sont les plus écartés. On proportionne la longueur du manche de la fourche ou crampe, à la profondeur où l’on veut aller chercher les pinnes ; on les saisit, on les détache, on les enleve avec cet instrument.

La houpe de soie part immédiatement du corps de l’animal ; elle sort de la coquille par le côté où elle s’entrouvre, environ à 4 ou 5 pouces du sommet, ou de la pointe dans les grandes pinnes.

Elle fixe la pinne marine, elle l’empêche d’être entraînée par le mouvement de l’eau, mais elle ne sauroit l’empêcher d’être renversée, ni la retenir verticalement comme ou le veut, de sorte qu’il y a grande apparence, que ce coquillage est tantôt incliné à l’horison, & tantôt coule à plat, comme le sont les moules & les coquillages qui ne s’enfoncent pas dans la vase. On ne peut guere s’assurer d’avoir les houpes dans toute leur longueur ; on en a vû cependant à qui il en restoit 7 à 8 pouces ; & on en a trouvé qui pesent 3 onces. Les filets dont elles sont composées sont très-fins, & ordinairement si mêlés ensemble, qu’il n’est guere aisé de les avoir dans toute leur longueur ; leur couleur est brune.

Ces fils soyeux sont filés par les pinnes marines, comme les moules filent les leurs ; leur filiere est placée dans le même endroit que la filiere des moules & des pétoncles, & n’a de différence que celle de ces effets ; c’est-à-dire que comme les pinnes marines ont à filer des fils beaucoup plus fins & plus longs que les moules, leurs filieres sont aussi & plus longues & plus déliées. Voyez Moule.

Cette filiere n’agit point comme celle des chenilles & des vers-à-soie ; c’est un moule dans lequel un suc visqueux prend la consistence & la figure du fil de ce moule ; s’ouvre d’un côté dans toute sa longueur, pour laisser sortir le fil qu’il a façonné. Enfin, les fils dont la houpe est composée, ont leur origine près de celle de la filiere, & sont logés dans une espece de sac membraneux de figure conique.

Dans ce sac membraneux, d’où part la houpe des fils soyeux, il y a des feuillets charnus qui les séparent les uns les autres. C’est de ces filets soyeux, que sortent tous les fils qui attachent la pinne marine, & qui forment la houpe. Peut-être les feuillets charnus n’ont d’autre usage que de les séparer. Peut-être aussi servent-ils à appliquer & coller le bout du fil nouvellement formé. Comme ces fils sont très-fins, il n’est pas possible qu’ils ayent chacun beaucoup de force ; mais ce qui leur manque de ce côté-là pour attacher solidement la pinne marine, est compensé par leur nombre, il est prodigieux.

Les pinnes marines different plus des moules de mer, par le nombre & la finesse de leurs fils, que par la grandeur de leurs coquilles ; pour me servir de la comparaison de Rondelet, ses fils sont par rapport à ceux des moules, ce qu’est le plus fin lin par rapport à l’étoupe ; & ce n’est pas peut-être assez dire, puisque les fils des pinnes marines ne sont guere moins fins & moins beaux que les brins de soie filés par les vers.

On n’a jamais pu tirer d’utilité des fils des moules, comme de ceux des pinnes, quoique la filiere soit la même ; & l’on diroit presque que ce n’est que dans la production de leur ouvrage, que ces deux parentes ont voulu se faire distinguer ; car d’ailleurs leur ressemblance se trouve étonnante, non-seulement dans l’extérieur, mais encore dans les parties

intérieures. Les pinnes sont comme les moules, attachées à leurs coquilles par deux forts muscles, dont l’un est auprès de la pointe de la coquille, & l’autre vers le milieu de sa longueur. L’anus est auprès du second, ou du plus gros de ses muscles, & la bouche auprès du premier ; elle est seulement fermée dans les pinnes marines, par une levre demi-ovale, que n’ont point les moules de mer.

Les autres détails des parties intérieures de ce coquillage ne sont pas trop connus, parce qu’aucun anatomiste que je sache n’a pris le soin de les examiner ; cependant comme il est le plus grand des coquillages à deux battans que nous ayons dans nos mers, il seroit commode a disséquer, & pourroit peut-être nous instruire en quelque chose sur les animaux du même genre.

M. de Réaumur le jugeoit propre à éclaircir la formation des perles en général. Il en produit beaucoup, mais dont le nombre n’est rien moins que constant ; il y a des pinnes marines qui n’en ont point du-tout, & d’autres qui en ont des vingtaines. Mais il n’est pas dit que toutes les pinnes marines en aient autant que celles des côtes de Provence ; leur production dépend sans doute de diverses causes qui nous sont inconnues.

Les perles qui se rencontrent dans ces coquilles, ne sont pas toutes de la même eau, & ne sont point de l’eau de celles des Indes ; celles même qui en approchent le plus sont plombées, mais on leur en trouve de plusieurs nuances différentes de l’ambre, & transparentes comme lui, de rougeâtres, de jaunâtres & de noirâtres.

Leur forme la plus ordinaire est d’être en poire ; toutes ces variétés de figure & de couleur, n’empêchent pas qu’elles ne soient de la même nature, puisqu’elles naissent dans le corps du même poisson ; ce sont toujours de semblables concrétions pierreuses. Que ces perles, ainsi que toutes les autres, se forment dans le corps des poissons à coquille, comme le bézoard ordinaire dans le corps des chevres qui le fournissent ; c’est ce qu’on a tout lieu de penser, puisqu’en les cassant, on les trouve radiées comme certains besoards, & formées par couches autour d’un noyau, qui paroît être lui-même une petite perle.

On en trouve de tellement baroquées, qu’elles ne conservent plus la figure de perles, mais la matiere en est toujours disposée par couches, telles que celles des bésoards. Il n’y a guere lieu de douter que les perles orientales ne soient de la même nature que celles qui naissent dans les autres poissons à coquille, comme dans les huitres que nous mangeons ordinairement, & dans les différentes sortes de moules. Toute la différence qui est entr’elles, ne consiste que dans leur différente eau & pesanteur ; mais c’est par-tout la même matiere & la même construction, comme le font assez voir les différentes perles qu’on trouve dans la pinne marine.

On rencontre aussi quelquefois de petits crabes nichés dans les coquilles de la pinne ; & comme ce coquillage étoit déja remarquable par ses perles & par sa soie, le spectacle des petits crabes n’a pas manqué de produire plusieurs histoires singulieres que les anciens nous ont rapportées sur ce fait.

Ils ont cru que ce petit animal naissoit avec le poisson de notre coquille, & pour sa conservation ; aussi l’ont-ils appellé le gardien du pinna, s’imaginant que le poisson périssoit dès qu’il venoit à perdre son gardien ; voici en quoi ils jugeoient que ce petit crabe étoit utile à son hôte. Comme cet hôte est sans yeux, & qu’il n’est pas doué d’ailleurs d’un sentiment fort exquis, pendant qu’il a ses coquilles ouvertes, & que les petits poissons y entrent ; le crabe l’avertit par une morsure légere, afin que resserrant tout d’un coup ses coquilles, les poissons s’y