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tence differe de l’essence ; l’essence des choses existentes est hors des choses : il y a des semblables & des dissemblables. Tout se reporte à certaines classes & à certaines idées. Toutes les idées existent dans une unité ; cette unité, c’est Dieu. Toutes les choses sont donc unes. La science n’est pas des singuliers, mais des especes ; elle differe des choses existentes. Puisque les idées sont en Dieu, elles échapent donc à l’homme ; tout lui est incompréhensible & caché ; ses notions ne sont que des images, des ombres.

Nous craignons que Platon n’ait fort altéré la philosophie de Parménide. Quoi qu’il en soit, voilà ce que nous avons cru devoir en exposer ici, avant que de passer au tems les opinions de ce philosophe reparurent sur la scène, élevées sur les ruines de celles d’Aristote & de Platon, par un homme qui n’est pas aussi connu qu’il le méritoit, c’est Bernardinus Telesius.

Telesius naquit dans le royaume de Naples, en 1508, d’une famille illustre. On lui reconnut de la pénétration : on l’encouragea à l’étude des lettres & de la Philosophie ; & l’exemple & les leçons d’Antoine Telesius son oncle ne lui furent pas inutiles. Il passa ses premieres années dans les écoles de Milan. De-là il alla à Rome, où il cultiva tout ce qu’il y avoit d’hommes célebres. La nécessité de prendre possession d’un bénéfice qu’on lui avoit conféré, le rappella dans sa patrie. Il y vivoit ignoré & tranquille lorsqu’elle fut prise & saccagée par les François. Telesius fut jetté dans une prison où il auroit perdu la vie, sans quelques protecteurs qui se souvinrent de lui & qui obtinrent sa liberté. Il se réfugia à Padoue, où il se livra à la Poésie, à la Philosophie & à la Morale. Il fit des progrès surprenans dans les Mathématiques ; il s’attacha à perfectionner l’Optique, & ce ne fut pas sans succès. De Padoue il revint à Rome, où il connut Ubald Bandinelli & Jean della Casa ; il obtint même la faveur de Paul IV. de retour de Rome, où il épousa Diane Sersali qui lui donna trois enfans. La mort prematurée de sa femme le toucha vivement, & le ramena à la solitude & à l’étude des sciences aux quelles les affaires domestiques l’avoient arraché. Il relut les anciens ; il écrivit ses pensées, & il publia l’ouvrage intitule, de natura, juxta propria principia. Cet ouvrage fut applaudi ; les Napolitains l’appellerent dans leurs écoles. Il céda à leurs sollicitations, & il professa dans cette ville sa nouvelle doctrine : il ne s’en tint pas là ; il y fonda une espece d’académie. Ferdinand Carafe se l’attacha. Il étoit aimé, honoré, estimé, heureux ; lorsque des moines qui souffroient impatiemment le mépris qu’il faisoit d’Aristote dans ses leçons & ses écrits, s’éleverent contre lui, le tourmenterent, & lui ôterent le repos & la vie. Il mourut en 1588 ; il publia dans le cours de ses études d’autres ouvrage, que celui que nous avons cité.

Principes de la Physique de Telesius. Il y a trois principes des choses ; deux agens & incorporels, c’est le froid & le chaud ; un instrumental & passif, c’est la matiere.

Le chaud mobile de sa nature est antérieur au mouvement d’une priorité de tems, d’ordre & de nature ; il en est la cause.

Le froid est immobile.

La terre & toutes ses propriétés sont du froid.

Le ciel & les astres sont du chaud.

Les deux agens incorporels, le froid & le chaud, ont besoin d’une masse corporelle qui les soutienne ; c’est la matiere.

La quantité de la matiere n’augmente ni ne diminue dans l’univers. La matiere est sans action : elle est noire & invisible de sa nature ; du reste propre à se prêter à l’action des deux principes.

Ces deux principes actifs ont la propriété de se multiplier & de s’étendre.

Ils sont toujours opposés, & tendent sans cesse à se déplacer.

Ils ont l’un & l’autre la faculté de connoître & de sentir non-seulement leurs propres actions, leurs propres passions, mais les actions & les passions de leur antagoniste.

Ils ont d’abord engendré le ciel & la terre : le soleil a fait le reste.

La terre a produit les mers, & les produit tous les jours.

C’est à la chaleur & à la diversité de son action & de l’opposition du principe contraire qu’il faut attribuer tout ce qui différencie les êtres entr’eux.

Il nous est impossible d’avoir des notions fort distinctes de ces effets.

Le ciel est le propre séjour de la chaleur : c’est-là qu’elle s’est principalement retirée, & qu’elle est à l’abri des attaques du froid.

Des lieux placés au-dessous des abysmes de la mer servent d’asyle au froid : c’est-là qu’il réside, & que la chaleur du ciel ne peut pénétrer.

La terre a quatre propriétés principales, le froid, l’opacité, la densité & le repos.

De ces quatre principes deux résident tranquilles dans ses entrailles, deux autres se combattent perpétuellement à sa surface.

Ce combat est l’origine de tout ce qui se produit entre le ciel & la terre, sans en excepter les corps qui la couvrent & qu’elle nourrit.

Ces corps tiennent plus ou moins du principe qui après domine dans leur formation.

Le chaud a prédominé dans la production du ciel & des corps célestes.

Le ciel & les astres ont un mouvement qui leur est propre. Ce mouvement varie ; mais ces phénomenes ne supposent aucune intelligence qui y préside.

Le ciel est lucide de sa nature : les astres le sont aussi, quoiqu’il y ait entr’eux plusieurs différences.

Les plantes ne sont pas sans une sorte d’ame : cette ame est un peu moins subtile que celle des animaux.

Il y a différens degrés de perfection entre les animaux.

L’ame de l’homme est de Dieu. C’est lui qui la place dans leurs corps, à mesure qu’ils naissent : c’est la forme du corps ; elle est incorporelle & immortelle.

Tous les sens, excepté celui de l’ouïe, ne sont qu’un toucher.

La raison est particuliere à l’homme : les animaux ne l’ont pas.

Ceux qui desireront connoître plus au long le système de Telesius, & ce qu’il a de conforme avec les principes de Parménide, peuvent recourir à l’ouvrage du chancelier Bacon ; ils y verront comment des efforts que le froid & le chaud font pour se surmonter mutuellement & s’assembler, la terre pour convertir le soleil, & le soleil pour convertir la terre ; efforts qui durent sans cesse & qui n’obtiennent point leur fin, sans quoi le principe du repos ou celui du mouvement s’anéantissant, tout finiroit : comment, dis-je, le froid & le chaud ayant des vicissitudes continuelles, il en résulte une infinité de phénomenes différens.

Ces phénomenes naissent ou de la force de la chaleur, ou de la disposition de la matiere, ou de la résistence ou du concours des causes opposées.

La chaleur varie en intensité, en quantité, en durée, en moyen, en succession.

La succession varie, selon la proximité, l’éloignement, l’allée, le retour, la répétition, les intervalles.