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ges consiste à emprunter des prés, des bois, des arbres, des animaux, en un mot, de tous les objets qui parent nos campagnes, les métaphores, les comparaisons & les autres figures dont le style des poëmes bucoliques est spécialement formé. Le fond de ces especes de tableaux doit toujours être, pour ainsi dire, un paysage ennobli. Le lecteur trouvera les caracteres des plus excellens peintres en ce genre, aux mots Églogue, Idylle, & sur-tout au mot Pastorale, poésie. (D. J.)

Poete comique, (Art dramat.) la tragédie imite le beau, le grand ; la comédie imite le ridicule. De-là vient la distinction de poëtes tragiques & comiques. Comme dans tous les tems la maniere de traiter la comédie étoit l’image des mœurs de ceux pour lesquels on travailloit, on reconnoit dans les pieces d’Aristophane, de Ménandre, de Plaute, de Térence, de Moliere, & autres célebres comiques, le goût du siecle de chaque peuple, & celui de chaque poëte.

Le peuple d’Athènes étoit vain, leger, inconstant, sans mœurs, sans respect pour les dieux, méchant & plus prêt à rire d’une impertinence, qu’à s’instruire d’une maxime utile. Voilà le public à qui Aristophane se proposoit de plaire. Ce n’est pas qu’il n’eût pu s’il eût voulu, réformer en partie ce caractere du peuple, en ne le flatant pas également dans tous ses vices ; mais l’auteur lui-même les ayant tous, il s’est livré sans peine au goût du public pour qui il écrivoit. Il étoit satyrique par méchanceté, ordurier par corruption de mœurs, impie par goût ; par-dessus tout cela pourvu d’une certaine gaieté d’imagination qui lui fournissoit des idées folles, ces allégories bisarres qui entrent dans toutes ses pieces, & qui en constituent quelquefois tout le fond. Voilà donc deux causes du caractere des pieces d’Aristophane, le goût du peuple & celui de l’auteur.

Le grec né moqueur, par mille jeux plaisans
Distila le venin de ses traits médisans ;
Aux accès insolens d’une bouffonne joie,
La sagesse, l’esprit, l’honneur furent en proie.
On vit, par le public un poëte avoué,
S’enrichir aux dépens du mérite joué ;
Et Socrate par lui dans un chœur de nuées,
D’un vil amas de peuple attirer les huées.

Le Plutus d’Aristophane qui est une de ses pieces les plus mesurées, peut faire sentir jusqu’à quel point ce poëte portoit la licence de l’imagination, & le libertinage du génie. Il y raille le gouvernement, mord les riches, berne les pauvres, se mocque des dieux, vomit des ordures ; mais tout cela se fait en traits, & avec beaucoup de vivacité & d’esprit : de sorte que le fond paroît plus fait pour amener & porter ces traits, que les traits ne sont faits pour orner & revêtir le fond.

Aristophane vivoit 436 ans avant J. C. Les Athéniens qu’il avoit tant amusés, lui décernerent la couronne de l’olivier sacré. De 50 pieces qu’ils fit jouer sur le théâtre, il nous en reste 11, dont nous devons à Kuster une édition magnifique, mise au jour en 1710 in-fol. La comédie d’Aristophane intitulée les Guepes, a été fort heureusement rendue par Racine dans les Plaideurs.

Ménandre, un peu plus jeune qu’Aristophane, ne donna point comme lui dans une satyre dure & grossiere, qui déchire la réputation des plus gens de bien ; au contraire il assaisonna ses comédies d’une plaisanterie douce, fine, délicate & bienséante. La licence ayant été réformée par l’autorité des magistrats :

Le théâtre perdit son antique fureur,
La comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel & sans venin sçut instruire & reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.

La muse d’Aristophane, dit Plutarque, ressemble à

une femme perdue ; mais celle de Ménandre ressemble à une honnête femme. De 80 comédies que cet aimable poëte avoit faites, & dont 8 furent couronnées, il ne nous en reste que des fragmens qui ont été recueillis par M. le Clerc. Ménandre mourut à l’âge de 52 ans, admiré de ses compatriotes.

Les Romains avoient fait des tentatives pour le comique, avant que de connoître les Grecs. Ils avoient des histrions, des farceurs, des diseurs de quolibets, qui amusoient le petit peuple ; mais ce n’étoit qu’une ébauche grossiere de ce qui est venu après. Livius Andronicus, grec de naissance, leur montra la comédie à-peu-près telle qu’elle étoit alors à Athènes, ayant des acteurs, une action, un nœud, un dénouement, c’est-à-dire les parties essentielles. Quant à l’expression, elle se ressentit nécessairement de la dureté du peuple romain qui ne connoissoit alors que la guerre & les armes, & chez qui les spectacles d’amusemens n’avoient d’abord été qu’une sorte de combat d’injures. Andronicus fut suivi de Mévius & d’Ennius, qui polirent le théâtre romain de plus en plus, aussi bien que Pacuvius, Cecilius, Attius. Enfin vinrent Plaute & Térence qui porterent la comédie latine aussi loin qu’elle ait jamais été.

Plaute (Marcus Actius Plautus), né à Sarsine ville d’Ombrie, ayant donné la comédie à Rome, immédiatement après les satyres qui étoient des farces mêlées de grossieretés, se vit obligé de sacrifier au goût regnant. Il falloit plaire, & le nombre des connoisseurs étoit si petit, que s’il n’eût écrit que pour eux, il n’eût point du tout travaillé pour le public. De-là vient qu’il y a dans ces pieces de mauvaises pointes, des bouffonneries, des turlupinades, de petits jeux de mots. L’oreille d’ailleurs n’étoit pas de son tems assez scrupuleuse ; ses vers sont de toutes especes & de toutes mesures. Horace s’en plaint, & dit nettement qu’il y avoit de la sotise à vanter ses bons mots & la cadence de ses vers ; mais ces deux défauts n’empêchent pas qu’il ne soit le premier des comiques latins. Tout est plein d’action chez lui, de mouvemens & de feu. Un génie aisé, riche, naturel, lui fournit tout ce dont il a besoin ; des ressorts pour former les nœuds & les dénouer ; des traits, des pensées pour caractériser ses acteurs ; des expressions naïves, fortes, moëlleuses, pour rendre les pensées & les sentimens. Par-dessus tout cela, il a cette tournure d’esprit qui fait le comique, qui jette un certain vernis de ridicule sur les choses ; talent qu’Aristophane possédoit dans le plus haut degré. Son pinceau est libre & hardi ; sa latinité pure, aisée, coulante. Enfin c’est un poëte des plus rians & des plus agréables. Il mourut l’an 184 avant J. C. Entre les 20 comédies qui nous restent de lui, on estime sur-tout son Amphytrion, l’Epidicus & l’Aululaire. Les meilleures éditions de cet auteur sont celles de Douza, de Gruter & de Gronovius.

Térence (Publius Terentius, afer), naquit à Carthage en Afrique, l’an de Rome 560. Il fut esclave de Terentius Lucanus sénateur romain, qui le fit élever avec beaucoup de soin, & l’affranchit fort jeune. Ce sénateur lui donna le nom de Térence, suivant la coutume qui voulut que l’affranchi portât le nom du maître dont il tenoit sa liberté.

Térence a un genre tout différent de Plaute : sa comédie n’est que le tableau de la vie bourgeoise ; tableau où les objets sont choisis avec goût, disposés avec art, peints avec grace & avec élégance. Décent partout, ne riant qu’avec réserve & modestie, il semble être sur le théâtre, comme la dame romaine dont parle Horace, est dans une danse sacrée, toujours craignant la censure des gens de goût. La crainte d’aller trop loin le retient en-deçà des limites. Délicat, poli, gracieux, que n’a-t-il la qualité qui fait le comique : Utinam scriptis adjuncta foret vis comica ! C’é-