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vent attribuées sans raison aux concrétions qu’on a trouvées dans le cœur ; c’est une erreur dans laquelle Vieussens est tombé, comme l’observe M. de Senac. L’inégalité du pouls doit suivre & manifester le défaut d’uniformité qui se trouve dans l’action du cœur & des vaisseaux, & dans le mouvement du sang ; cette inégalité sera d’autant plus marquée, que les polypes pourront avoir divers mouvemens : selon qu’ils se présenteront aux orifices du cœur, ou qu’ils s’éloigneront, le sang passera diversement ; de plus, la substance de ces concrétions peut céder & changer un peu de figure ; ces changemens doivent nécessairement varier les pulsations des arteres, & produire dans le pouls une inégalité variable ; cet effet ne pouvant être produit que par ces concrétions, en devient un des signes les plus assurés. Pour avoir un diagnostic exact, il faut aussi consulter ceux qu’on peut tirer des autres accidens, & sur-tout remonter à l’examen des causes qui ont précédé.

Les divers dérangemens produits par les polypes dans les voies de la circulation, en doivent aussi occasionner dans les organes qui servent à la respiration. En effet, ces malades ont presque toujours une grande difficulté de respirer, souvent sans toux ; il y en a même qui ont un crachement de sang habituel, qui sont menacés de suffocation, qui éprouvent des especes d’attaques d’asthme ; ces effets sont toujours plus marqués lorsque les polypes occupent les cavités gauches du cœur, parce que le sang sort des poumons avec plus de difficulté. Les syncopes fréquentes sont une suite très-ordinaire des polypes, sur-tout lorsqu’ils sont parvenus à une certaine grosseur ; & enfin la mort subite en est le dénouement le plus familier : par où l’on voit combien cette maladie est dangereuse, & comment, lorsque le polype est bien décidé, on doit établir le prognostic.

Curation du polype. Plus le danger est grand, & plus il est important de le dissiper ; mais par une fatalité attachée à la nature humaine, les maladies les plus graves sont les plus difficiles à guérir ; instruits des moyens par lesquels on peut prévenir ou affoiblir certaines causes qui produisent des polypes, nous ne connoissons aucun remede assuré pour les emporter quand ils sont formés ; & ce qui augmente encore l’inutilité des remedes qu’on emploie si souvent sans succès dans cette maladie, c’est qu’on ne la connoît que tard, que lorsque le mal rendu plus opiniâtre par l’ancienneté, n’est plus susceptible de guérison.

On pourra prévenir la formation des polypes à la suite des passions violentes, d’une colere vive, d’une joie excessive, d’une frayeur subite, d’un chagrin cuisant, d’un effort immodéré, par une ou plusieurs saignées, & par des boissons incisives, aqueuses : dans la tristesse habituelle ou la mélancholie, les saignées, à l’exception de quelque cas de pléthore très rares, seroient déplacées ; les remedes les plus appropriés sont les remedes moraux, qui tranquillisent & dissipent l’esprit, qu’on peut seconder par les eaux minérales ferrugineuses, l’usage du mars & des délayans convenables. Ces mêmes remedes peuvent aussi être employés dans les maladies chroniques, où les concrétions polypeuses sont à craindre. Quoique dans ces maux qui gênent le passage du sang elles ne méritent l’attention que comme des objets éloignés ou des effets rares, il est très-important de ne jamais les perdre de vûe.

Quand les polypes sont formés, on peut opposer à leur accroissement les remedes généraux dont nous avons parlé ; pour empêcher que le sang n’ajoute de nouvelles couches, on ne peut que faciliter son cours, en diminuant sa quantité par les saignées, entretenir les excrétions, dont les dérangemens produiroient de nouveaux obstacles. Les accidens que causent les polypes, deviennent plus fréquens & plus

dangereux lorsque le corps est agité par les passions ou les mouvemens violens ; les excès de table, & l’usage des liqueurs spiritueuses, ne sont pas moins redoutables. C’est sur ces considérations qu’on doit établir le régime de ces malades, leur recommander une agitation légere de corps, une diete plus ou moins forte, mais appropriée, & une grande tranquillité d’esprit. Par ce moyen on écarte, on diminue les accidens, & on empêche l’augmentation des polypes.

Mais pour les fondre entierement, il faudroit avoir un dissolvant convenable ; il n’est point encore connu. M. de Senac s’est appliqué à cette recherche importante ; & après diverses tentatives pour trouver quelque matiere qui pût détruire ces concrétions, il a observé que le vinaigre distillé, le sel ammoniac, la terre foliée, les esprits de térébenthine & de cochléaria, l’eau de miel, la décoction d’aristoloche, leur ont donné plus de consistence & de blancheur. Les seuls agens qui ont fait une dissolution de la lymphe figée & durcie, sont l’esprit volatil de sel ammoniac, le sel de tartre, le savon, l’eau de chaux, & les eaux de la Mothe. L’esprit de sel ammoniac a paru le plus efficace & le plus prompt ; mais on ne peut pas en faire intérieurement beaucoup d’usage, & en donner une quantité assez considérable pour en obtenir un effet sensible. Les autres remedes pourroient être tentés ; il n’est cependant pas décidé si, ayant passé par les premieres voies, ces dissolvans conserveroient leur efficacité : les expériences qu’on a faites sur l’eau de chaux, employée comme lithontriptiques en constatant cette vertu, ont prouvé qu’elle passoit presqu’inaltérée dans le sang. Au reste ce n’est qu’un essai qu’on propose, dicté par l’amour de l’humanité ; on doit savoir très-bon gré à l’auteur des ressources qu’il offre, quelques légeres qu’elles soient, puisqu’elles présentent toujours une lueur d’espérance dans une maladie qui passe pour désespérée, & qui à chaque instant menace d’une mort subite. (m)

Polype, terme de Chirurgie, tumeur qui se forme dans les narines par l’engorgement de la membrane pituitaire, ou par une congestion d’humeurs dans le tissu spongieux de cette membrane. Le nom de polype a été donné à cette maladie, parce qu’elle ressemble, selon quelques-uns, à la chair du poisson polype par sa couleur & par sa consistance ; & d’autres la nomment ainsi, à cause de la pluralité de ses racines, semblables à celles des piés de ce poisson.

Cette dénomination ne tombe donc que sur les différences purement accidentelles ; & effectivement le polype n’est point un germe de maladie, mais une espece qu’on doit ranger dans la classe des sarcomes.

Les polypes different en ce que les uns sont mols & charnus, d’autres ont une mollesse muqueuse ; les uns sont indolens, d’autres sont douloureux ; il y en a de skirrheux, des carcinamuteux, &c. les uns sont accompagnés d’hémorrhagie ; il y en a dont la cause est benigne, d’autres sont causés par un virus scrophuleux, vérolique, & autres. Les uns restent long-tems petits, d’autres croissent beaucoup en peu de tems ; ceux qui ont acquis un volume considérable font voûter la cloison du nez dans l’autre narine, remplissent tout l’espace qui est derriere la luette, jettent le voile du palais en devant ; ils bouchent la trompe d’Eustache ; en appuyant sur les cornets ou lames spongieuses inférieures du nez, ils les affaissent peu-à-peu contre les os maxillaires supérieurs, ce qui comprime & oblitere l’orifice du conduit lacrymal : alors les larmes ne pouvant plus couler dans le nez, l’œil est larmoyant, le suc lacrymal se dilate, & peut former par sa rupture & celle des tégumens