Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/239

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te, j’eusse ridiculement, comme tant d’autres, opposé mon inexpérience à des faits positifs, & condamné des choses que je ne connoissois pas. Je puis au contraire opposer ma propre expérience soit à ceux qui ne conviennent pas des faits, soit à ceux qui prétendent que la pratique de la médecine ne peut en retirer aucune utilité ; la forme de cet ouvrage & la longueur déja excessive de cet article, m’empêchent d’entrer dans le détail des observations que j’ai faites, ou dont j’ai été témoin, elles pourront être la matiere d’un ouvrage particulier.

A l’expérience, j’ajoute encore un raisonnement fort simple & décisif contre ceux qui ont l’inconséquence de reconnoître la vérité de cette doctrine, & d’en désavouer les avantages. On ne sauroit disconvenir qu’une maladie est d’autant plus facile à guérir, ou à traiter qu’elle est mieux connue, que les maladies aiguës fébriles n’étant autre chose qu’une agitation plus grande dans les humeurs, ou dans les vaisseaux, ou dans les unes & les autres, ou tendent à rétablir, ou suppléer les excrétions dont le dérangement les a excitées, que cette agitation, effort de la nature, suite de l’organisation animée de notre machine, ne peut cesser sans qu’il se fasse une évacuation critique : peut-on après cela contester l’utilité d’un signe qui dissipe l’obscurité répandue sur bien des maladies, qui dévoile la marche de la nature, qui indique le temps le plus propre pour l’exhibition des remedes, qui en détermine la qualité, qui annonce la terminaison des maladies, qui fait connoître d’avance & l’évacuation prête à se faire & le couloir par lequel elle aura lieu : or, quel médecin, muni de ces connoissances, n’opere pas efficacement, & ne prédit pas avec sureté, travaillant en même tems à la santé du malade, & à sa propre réputation. Suivons-le au lit des malades, interprete & ministre de la nature, dont il a su pénétrer les mysteres, éclairer la marche, qui connoît son pouvoir & sa maniere d’agir, son but & les moyens qu’elle prend pour parvenir, il ne voit dans la maladie la plus orageuse, qu’un travail forcé de la nature ; il sait séparer les accidens les plus capables d’en imposer du fond de la maladie, par le peu de changement qu’ils font sur le pouls ; il suit la nature pas-à-pas, modere ses efforts trop violens, les augmente quand ils sont foibles, s’il voit de loin la mort déja décidée, il ne l’accelere pas par des remedes déplacés, si la nature ménage une terminaison heureuse, il en est instruit d’avance, il la rend plus facile, plus sûre & plus heureuse, en préparant les voies, disposant les vaisseaux, & sollicitant doucement les humeurs vers les organes qui doivent être le siege de l’excrétion indicatoire ; les malades bientôt hors de danger, sans éprouver les langueurs ennuyeuses d’une pénible convalescence, sont tout aussitôt bien portans ; ils passent rapidement des horreurs de la mort & de la maladie aux délices de la vie & de la santé ; il me seroit facile de relever ce tableau, qui n’est point chargé par le contraste de celui que présentent les médecins qui, sourds à la voix de la nature, qu’ils ne connoissent pas, négligent les moyens les plus assurés pour s’instruire de sa marche, ne voyant dans les maladies que l’assemblage effrayant des symptômes dangereux qui leur paroissent tendre manifestement à la destruction du principe de la vie ; interdits & tremblans ils se hâtent d’arracher l’épine fatale qui cause tous ces accidens, ils n’oublient rien ; donnent remedes sur remedes, & redoublent à chaque instant sans choix & sans considération des efforts inutiles ou pernicieux ; semblables à ces personnes qui, prêtes à se noyer, tâchent par la multiplicité de leurs mouvemens, d’échapper à une mort prochaine ; ils se débattent en vain ; leurs efforts, peu moderés & mal dirigés, ne servent qu’à les affoiblir, & à les précipi-

ter plutôt : par cette pratique aveugle, par ces remedes

donnés sans indications, ces médecins tantôt diminuent la force d’une fievre nécessaire, tantôt détournent la nature d’une métastase salutaire, souvent suspendent des excrétions critiques & décisives, pour en procurer d’autres qui sont indifférentes ou nuisibles. Les morts qui succedent en foule, deviennent, pour celui qui sait en profiter, l’école la plus avantageuse, mais horrible, où il ne s’éclaire qu’en gémissant.

La doctrine du pouls fait revivre les droits de la nature, rappelle la vraie médecine d’observation, appuyée sur les crises, & pratiquée avec tant d’éclat par le grand Hippocrate. Un des plus singuliers reproches qu’on lui ait fait, & qui en est un éloge très flatteur, est d’empêcher qu’on ne donne beaucoup de remedes ; on ose avancer, pour en faire un crime, que les recherches sur le pouls, quelquefois obscures, souvent inutiles, sont aussi capables d’arrêter le médecin dans ses opérations. Voyez le rapport de la faculté de Médecine de Paris, joint à l’ouvrage cité de M. le Camus. Eh ? que peut-il arriver de plus heureux à un médecin que d’épargner au malade le désagrément, l’incommodité & les suites fâcheuses d’un remede dégoutant, fatiguant, très-souvent inutile, & quelquefois pernicieux, & de s’épargner à soi-même les plaintes & les reproches du malade, les murmures des parens, les clameurs des amis & les remords de sa conscience.

2°. Sur les causes. L’impossibilité de comprendre comment le pouls pouvoit se modifier diversement par l’action des différens organes, a fait douter plusieurs personnes de la vérité de cette doctrine, & les a détournés de cette étude. Etrange façon de penser, de fonder la nullité de faits bien attestés sur le défaut apparent de raisons qui les étayent ! On a cherché inutilement des explications dans la théorie ordinaire des écoles extrèmement bornée, absolument insuffisante, & même contraire dans le cas présent. M. Flemming a essayé de plier cette doctrine aux idées d’économie animale reçues ; mais il n’est pas possible de se contenter des absurdités qu’il débite là-dessus. Qu’on en juge par un exemple, par l’explication très-obscure qu’il donne du pouls intermittent : il dit que « l’intermittence a lieu, lorsque pendant une contraction du système artériel, le sinus veineux & l’oreillette droite tardant trop à se remplir, à être distendues, ne peuvent dans le tems accoutumé se vuider dans le ventricule correspondant, d’où naît un retardement dans sa contraction, & par conséquent une distance plus grande dans les pulsations, qui constitue le pouls intermittent ; lorsque la nature médite & fait effort pour opérer un devoiement critique, les humeurs se portent abondamment des vaisseaux sanguins dans les lymphatiques ou sereux, qui s’ouvrent en très-grand nombre dans la surface interne très-étendue des intestins, d’où il arrive que les vaisseaux sanguins sont moins pleins que le sinus veineux & l’oreillette droite, ne sont pas remplis, distendus & vuidés dans le même tems : ce qui occasionne le retardement dans la contraction du cœur & des arteres, ou l’intermittence. Plus les humeurs qui abordent aux intestins sont abondantes, plus aussi l’intermittence sera durable & fréquente : ce qui est très-conforme aux observations de Solano ». de Francise. Solani invent. circa arter. puls. &c. programma in quo ex secund. recept. in œconom. animal. leges solvuntur & explicantur. L’explication que donne Chirac, & après lui un grand nombre d’auteurs, de l’intermittence du pouls, fondée sur les divers degrés de grossiéreté des différentes portions du sang, n’est pas moins fausse & ridicule. Mais on devroit savoir 1°. que des faits pour être inexplicables, ne sont pas moins certains, qu’il arrive souvent au vrai de n’être pas vraissembla-