Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus vrai de dire avec saint Pierre qu’on ne peut être sauvé que par Jesus-Christ.

11°. Que l’entrée du royaume des cieux qui est le terme de la prédestination, est tellement une grace : gratia Dei vita æterna, Rom. vj. 23. qu’elle est en même tems un salaire, une récompense, une couronne des bonnes œuvres faites avec le secours de la grace : merces, corona justitiæ, bravium. II. Tim. iv. 8. Philipp. iij. 14.

Tels sont sur la prédestination les divers points du dogme, ou contenus clairement dans l’Ecriture, ou décidés en différens tems par l’Eglise contre les Pélagiens, les Sémi-Pélagiens, les Calvinistes, & autres novateurs.

Mais on dispute vivement dans les églises catholiques, savoir, si le decret de la prédestination à la gloire est antérieur ou postérieur à la prévision des mérites surnaturels, formés par la grace. L’état de la question est de savoir précisément si Dieu veut en premier lieu d’une volonté absolue & efficace le salut de ses créatures, & s’il résout en conséquence de leur accorder dans le tems des graces qui leur fassent infailliblement opérer des bonnes œuvres ; ou si au contraire Dieu se propose d’abord de distribuer à ses créatures tous les secours de grace nécessaires pour l’observation des préceptes de la loi, & si ce n’est pas en conséquence de la prévision des mérites qui doivent résulter du bon usage de ces graces qu’il décide du bonheur éternel.

Les Thomistes & les Augustiniens soutiennent que le decret de la prédestination à la gloire est antérieur à la prévision de tout mérite ; que Dieu n’a trouvé qu’en lui-même le motif de cette élection, & qu’il l’a décernée indépendamment de la connoissance de la chûte future d’Adam, chef de tout le genre humain. Quelques-uns d’eux prétendent qu’il est inutile de distinguer dans Dieu deux decrets, l’un de prédestination à la gloire, l’autre de prédestination à la grace ; qu’il n’y en a qu’un seul qui envisage la gloire comme la fin & la grace, ou la collection des graces comme les moyens pour parvenir à cette fin : mais que, supposé même cette distinction des decrets, la prédestination à la gloire n’en est pas moins antérieure à la prévision des mérites, parce que, disent-ils, tout agent sage se propose d’abord une fin, ensuite il examine les moyens propres à conduire à cette fin. Or la gloire est la fin que Dieu se propose d’abord, les mérites ne sont que les moyens pour arriver à cette fin, d’où il s’ensuit que Dieu a décerné la gloire avant que de faire attention aux mérites. Enfin, quelques défenseurs de cette opinion pensent qu’elle appartient à la foi, & que saint Augustin étoit tellement persuadé de la gratuité de la prédestination considérée dans sa totalité, c’est-à-dire, prise pour un seul decret en Dieu qui destine la gloire à ses élus par certains moyens efficaces qu’il leur a préparés pour les y conduire, qu’il ne craint point de donner ce sentiment comme la créance de l’Eglise, & de soutenir que personne ne peut l’attaquer sans tomber dans l’erreur. Lib. de don. perseverant. c. xxiij. & xix.

Il faut convenir en effet, que l’Ecriture & saint Augustin, avec quelques autres peres latins, sont extrèmement favorables à ce sentiment ; mais ce n’est point assez pour le mettre au nombre des dogmes de la foi, puisqu’on tire également de l’Ecriture, des Peres, & de saint Augustin même, des autorités qui appuient fortement l’opinion contraire, & que l’Eglise permet encore aujourd’hui que les Théologiens connus sous le nom de Molinistes & de Congruistes, la soutiennent.

En effet, ceux-ci alleguent en leur saveur le v. 25. du xxxiv. chap. de S. Matthieu, comparé avec le v. 41. du même chapitre, où la prédestination & la réprobation supposent également la prévision des

mérites & des démérites. Ces paroles de S. Ambroise, non ante prædestinavit quam præsciret, sed quorum merita præscivit eorum præmia prædestinavit ; lib. V. de fide, cap. vj. & celles-ci de S. Chrysostome, homil. in cap. xxv. Matth. Antequam nati sitis, quia sciebam vos hujusmodi futuros hæc vobis à me præparata suerunt. Et enfin, que S. Augustin dans les textes que nous avons indiqués, ne parloit que de la prédestination à la grace, qui réellement ne suppose aucuns mérites, comme le prétendoient les Pélagiens, & non de la prédestination à la gloire, dont il a dit lui-même : quos voluit Deus hos elegit : elegit autem sicut dicit apostolus & secundum suam gratiam, & secundum eorum justitiam. Serm. de verb. evang. S. Luc. cap. x. Or, ajoutent ces théologiens, il est clair que dans ce passage il ne s’agit point de la prédestination à la grace, qui ne suppose en nous aucune justice ; mais de la prédestination à la gloire, qui suppose des mérites fondés sur la grace. Et lorsque les Pélagiens soutenoient que la prédestination à la gloire étoit postérieure à la prévision des mérites, S. Augustin ne refusoit pas d’acquiescer à leurs sentimens, pourvu que de leur côte ils reconnussent que ces mérites étoient des effets de la grace, & non des seules forces de la nature. Si merita nostra sic intelligerent, dit-il, lib. de grat. & lib. arbitr. ut etiam ipsa dona Dei esse cognoscerent, non esset reprobanda ista sententia. Enfin, ils remarquent que dans le decret de la prédestination, Dieu n’envisage pas seulement la gloire comme fin, mais comme récompense qu’il décerne aux bonnes œuvres opérées avec le secours de sa grace, & qu’il accorde non-seulement comme un bienfait, mais encore à titre de justice.

On sent que tout le nœud de cette difficulté, dépend des systèmes qu’embrassent ces diverses écoles sur la nature de la grace. Voyez Grace, Efficace, Augustiniens, Molinisme, Thomistes ; &c. Les Calvinistes sont aussi partagés sur l’article de la prédestination ; car les Arminiens soutiennent qu’il n’y a point d’élection absolue, ni de préférence gratuite, par laquelle Dieu prépare à certaines personnes choisies, & à elles seules des moyens certains pour les conduire à la gloire ; mais que Dieu offre à tous les hommes, & sur-tout à ceux à qui l’Evangile est annoncé, des moyens suffisans de se convertir, dont les uns usent, & les autres non, sans en employer aucun autre pour ses élus, non plus que pour les reprouvés ; en sorte que l’élection n’est jamais que conditionnelle, & qu’on en peut déchoir en manquant a la condition : d’où il s’ensuit qu’on ne peut être en aucune sorte assuré de son salut.

Les Catholiques admettent cette conséquence, quoiqu’ils ne conviennent pas du principe, comme on l’a vu. Les Luthériens l’admettoient en partie, prétendant qu’on peut être sûr de sa justice présente, mais non pas de la persévérance future. Mais les Calvinistes au contraire déciderent dans leur synode de Dordrecht, que le decret de la prédestination est absolu & immuable ; que Dieu donne la vraie & vive foi à tous ceux qu’il veut retirer de la damnation commune, & à eux seuls ; que tous les élus sont dans leur tems assurés de leur élection… non en sondant les decrets de Dieu, mais en remarquant en eux-mêmes les fruits infaillibles de cette élection tels que la vraie foi, la douleur de ses péchés, & les autres, & que le sentiment & la certitude de leur élection, les rend toujours meilleurs de plus en plus. Sess. 36. pag. 249. actor. synod. Dordac. Bossuet, hist. des variat. liv. XIV. pag. 328. & 330.

Luther avoit aussi toujours soutenu ces secrets absolus & particuliers, par lesquels Dieu prédestine un certain nombre d’élus ; mais Melanchton adoucit cette doctrine, prétendant que la doctrine des Théologiens de la confession d’Augsbourg est que la prédesti-