Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ces derniers exemples les de , qui est la probabilité de la majeure, & la valeur de la conclusion sera ou .

D’où il paroît que la probabilité de la probabilité ne fait qu’une probabilité bien légere. Que sera-ce donc d’une probabilité du troisieme ou quatrieme degré ? ou que penser de ces raisonnemens si fréquens, dont la conclusion n’est fondée que sur plusieurs propositions probables qui doivent être toutes vraies pour que la conclusion le soit aussi ? Mais s’il suffisoit qu’une seule d’entr’elles eût lieu pour vérifier la conclusion, ce seroit tout le contraire ; plus on entasseroit de probabilités, plus la chose deviendroit probable. Si, par exemple, quelqu’un me disoit, je vous donne un louis si vous amenez avec deux dez 8 points, la probabilité d’amener 8 est  ; s’il ajoutoit, je vous le donne encore si vous amenez 6 : alors comme pour gagner, il suffit d’amener l’un ou l’autre, ma probabilité seroit & , c’est-à-dire , ce qui augmente mon espérance de gagner.

Voilà les élémens sur lesquels on peut déterminer toutes les questions, & les exemples dépendans de ce premier principe de probabilité.

2°. Passons au second, qui est la connoissance des causes & des signes, qu’on peut regarder comme des causes ou des effets occasionnels. Nous n’en dirons qu’un mot particulier aux probabilités, renvoyant pour le reste à l’article Cause. Il y a des causes dont l’existence est certaine, mais dont l’effet n’est que douteux ou probable ; il y en a d’autres dont l’effet est certain, mais dont l’existence est douteuse ; il peut y en avoir enfin dont l’existence & l’effet n’ont qu’une simple probabilité. Cette distinction est nécessaire : un exemple l’expliquera. Un ami n’a point répondu à ma lettre ; j’en cherche la cause, il s’en présente trois : il est paresseux, peut-être est-il mort, ou ses affaires l’ont empêché de me répondre. Il est paresseux, premiere cause dont l’existence est certaine : je sais qu’il écrit très-difficilement ; mais l’effet de cette cause est incertain, car un paresseux se détermine quelquefois à écrire. Il est mort, seconde cause très-incertaine, mais dont l’effet seroit bien certain. Il a des affaires, troisieme cause incertaine en elle-même : je soupçonne seulement qu’il a beaucoup d’affaires, & dont l’existence même supposée, l’effet seroit encore incertain, puisqu’on peut avoir des affaires & trouver cependant le tems d’écrire.

La même chose doit s’appliquer aux signes ; leur existence peut être douteuse, leur signification incertaine ; & l’existence & la signification peuvent n’avoir que de la vraissemblance. Le barometre descend, c’est un signe de pluie dont l’existence est certaine, mais dont la signification est douteuse ; le barometre descend souvent sans pluie.

De cette distinction il suit que la conclusion tirée d’une cause ou d’un signe dont l’existence est certaine, a le même degré de probabilité qui se trouve dans l’effet de cette cause, ou dans la signification de ce signe. Nous n’avons qu’à réduire l’exemple du baromettre à cette forme. Si le barometre descend, nous aurons de la pluie : cela n’est que probable ; mais le barometre descend, cela est certain : donc nous aurons de la pluie ; conclusion probable, dont l’expérience donne la valeur. De même si l’existence de la cause ou du signe est douteuse, mais que son effet ou la signification ne le soit pas, la conclusion aura le même degré de probabilité que l’existence de la cause ou du signe. Que mon ami soit mort, cela est douteux ; la conclusion que j’en tirerai, qu’il ne peut m’écrire, sera également douteuse.

Mais quand l’existence & l’effet de la cause sont probables, ou s’il s’agit de signes quand l’existence & la signification du signe ne sont que probables,

alors la conclusion n’a qu’une probabilité composée. Supposons que la probabilité que mon ami a des affaires soit les de la certitude, & que celle que ces affaires, s’il en a, l’empêchent de m’écrire soit les de cette certitude, alors la probabilité qu’il ne m’écrira pas sera composée des deux autres, ce qui sera une demi-certitude.

3°. Nous avons indiqué le témoignage comme une troisieme source de probabilité ; & il tient de si près au sujet dont nous donnons les principes, que l’on ne peut se dispenser de rapporter ici ce qu’il y a à en dire relativement aux probabilités & à la certitude morale. Nous ne pouvons pas tout voir par nous-mêmes ; il y a une infinité de choses, souvent les plus intéressantes, sur lesquelles il faut se rapporter au témoignage d’autrui. Il est donc important de déterminer, si ce n’est pas au juste, du-moins d’une maniere qui en approche, le degré d’assentiment que nous pouvons donner à ce témoignage, & quelle en est pour nous la probabilité.

Quand on nous fait un récit, ou qu’on avance une proposition du nombre de celles qui se prouvent par témoins, l’on doit d’abord examiner la nature même de la chose, & ensuite peser l’autorité des témoins. Si de part & d’autre on trouve qu’il ne manque aucune des conditions requises pour la vérité de la proposition, on ne peut pas lui refuser son acquiescement ; s’il est évident qu’il manque une ou plusieurs de ces conditions, on ne doit pas balancer à la rejetter ; enfin, si l’on voit clairement l’existence de quelques-unes de ces conditions, & que l’on reste incertain sur les autres, la proposition sera probable, & d’autant plus probable, qu’un plus grand nombre de ces conditions aura lieu.

1°. Quant à la nature de la chose, la seule condition requise, c’est qu’elle soit possible, c’est à-dire qu’il n’y ait rien dans sa nature qui l’empêche d’exister, & rien par conséquent qui doive m’empêcher de la croire dès qu’elle sera suffisamment prouvée par une preuve extérieure, telle qu’est celle du témoignage. Au contraire si la chose est impossible, si elle a en elle même une répugnance invincible à exister, à quelque degré de vraissemblance que puissent monter d’ailleurs les preuves du témoignage, ou d’autres raisons extrinseques de son existence, je ne pourrois le croire. Quelqu’un prétendroit-il avancer une contradiction, une impossibilité absolue, y joindroit-il toutes sortes de preuves, il ne viendra jamais à bout de me persuader ce qui est métaphysiquement impossible. Un cercle quarré ne peut être ni entendu ni reçu. S’agit-il d’une impossibilité physique ? nous serons un peu moins difficiles ; nous savons que Dieu a établi lui-même les lois de la nature, qu’il est constant dans l’observation de ces lois ; ainsi l’esprit répugne à croire qu’elles puissent être violées. Cependant nous savons aussi que celui qui les a établies a le pouvoir de les suspendre ; qu’elles ne sont pas d’une nécessité absolue, mais seulement de convenance. Ainsi nous ne devons pas absolument refuser notre confiance aux témoins ou aux preuves extérieures du contraire ; mais il faut que ces preuves soient bien évidentes, en grand nombre, & revêtues de tous les caracteres nécessaires pour y donner notre acquiescement. Est-il question d’une impossibilité morale ou d’une opposition aux qualités morales des êtres intelligens ? Quoique bien moins délicats sur les preuves ou les témoins qui veulent nous la persuader, cependant il faut que nous y voyons cette vraissemblance qui se trouve dans les caracteres même, & dans les effets qui en résultent ; il faut que les actions suivent naturellement des principes qui les produisent ordinairement : c’est ainsi qu’il semble impossible qu’un homme sage, d’un caractere grave & modeste, se porte sans raison, sans motif à commettre une indé-