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par conséquent des adverbes, conformément à la notion que j’en ai établie ailleurs. Voyez Mot, art. 2. n°. 2. Ce que disent de ces deux mots le P. Buffier & M. l’abbé Girard, loin d’être contraire à ce que j’établis ici, ne fait que le confirmer.

II. J’ai annoncé quelque difference entre le françois & le latin sur le nombre des pronoms ; voici en quoi consiste cette différence. C’est qu’en latin il n’y a point de pronom direct pour la troisieme personne, il n’y a que le réfléchi sui, sibi, se.

Je m’attends bien que les rudimentaires me citeront is, ea, id ; hic, hæc, hoc ; ille, illa, illud ; iste, ista, istud : mais je n’ai rien à dire à ceux qui prétendent que ces mots sont des pronoms, par la raison qu’ils l’ont appris ainsi dans leur rudiment. Je me contenterai de leur demander comment ils parviendront à prouver qu’ille est un pronom de la troisieme personne dans ille ego qui commence l’Enéide. Tout le monde sait que les livres latins sont pleins d’exemples où ces mots sont en concordance de genre, de nombre & de cas avec des noms qu’ils accompagnent, & que ce sont par conséquent de purs adjectifs métaphysiques. Voyez Mot, art. 1.

Si on les trouve quelquefois employés seuls, c’est par ellipse ; & la concordance à laquelle ils demeurent soumis, même dans ces occasions, décele assez leur nature, leur fonction & leur relation à un sujet déterminé auquel ils sont actuellement appliqués, quoiqu’il ne soit pas expressement énoncé.

On peut dire qu’il en est de même de notre pronom françois direct de la troisieme personne, il pour le masculin, & elle pour le féminin ; mais il est aisé d’y remarquer une grande différence. Premierement, on n’a jamais employé notre il & notre elle comme un adjectif joint à quelque nom par apposition, & l’on ne dit pas en françois il moi, comme on dit en latin ille ego, ni il homme, elle femme, comme ille vir, illa mulier : & cette premiere observation est la preuve que il & elle ne sont point adjectifs, parce que les adjectifs sont principalement destinés à être joints aux noms par apposition. Secondement, quoique notre il & notre elle viennent du latin ille, illa, ce n’est pas à dire pour cela qu’ils en aient conservé le sens & la nature ; toutes les langues prouvent en mille manieres que des mots de diverses especes & de significations très-différentes ont une même racine.

Remarquons, avant que d’aller plus loin, que le pronom réfléchi sui, n’a point de nominatif, & que c’est la même chose du nôtre, se & soi. C’est que le nominatif exprime le sujet de la proposition, & qu’il en est le premier mot dans l’ordre analytique : or il faut indiquer directement la troisieme personne, avant que d’indiquer qu’elle agit sur soi-même ; & conséquemment le pronom réfléchi ne peut jamais être au nominatif.

Si l’on est forcé de ne reconnoître comme pronoms que ceux qu’on appelle personnels, & qui déterminent les êtres par l’idée d’une relation personnelle à l’acte de la parole, à quelle classe de mots faut-il renvoyer ceux qui ont fait jusqu’ici tant de classes de prétendus pronoms ? J’en trouve de trois especes, savoir des noms, des adjectifs & des adverbes : je vais les reconnoître ici, pour fixer à chacun sa véritable place dans le système des parties de l’oraison.

1. Noms réputés pronoms. Puisque les mots dont on va voir le détail ne sont point des pronoms, il est inutile d’examiner à quelle classe on les rapportoit comme tels : l’ordre alphabétique est le seul que je suivrai.

Autrui. La signification du mot homme y est renfermée ; & de plus par accessoire celle d’un autre : ainsi quand on dit, ne faire aucun tort à autrui, ne desirez pas le bien d’autrui, c’est comme si l’on di-

soit, ne faire aucun tort à un autre homme ou aux autres hommes, ne desirez pas le bien d’un autre homme ou des autres hommes. Or il est

évident que l’idée principale de la signification du mot autrui est celle d’homme, & que le mot doit être de même nature & de même espece que le mot homme lui-même, nonobstant l’idée accessoire rendue par un autre.

Ce. Ce mot est un vrai nom, lorsqu’il est employé pour énoncer par lui même un être déterminé, ce qui arrive chaque fois qu’il n’accompagne & ne précede pas un autre nom avec lequel il s’accorde en genre & en nombre, comme quand on dit, ce que vous pensez est faux, ce qui suit est bon, ce seroit une erreur de le croire, est-ce la coutume ici d’applaudir pour des sottises ? Ce n’est pas nom avis. En effet, ce dans tous ces cas exprime un être général ; & la signification vague en est restrainte ou par quelque addition faite ensuite, comme dans les quatre premiers exemples, ou par les circonstances précédentes du discours, comme dans le dernier où ce indique ce qui est supposé dit auparavant. Ce ne détermine pas un être par sa nature, mais il indique un être dont la nature est déterminée d’ailleurs ; & voilà pourquoi on doit le regarder comme un nom général qui peut designer toutes les natures, par la raison même qu’il suppose une nature connue, & qu’il n’en détermine aucune. Il tient lieu, si l’on veut, d’un nom plus déterminatif dont on évite par-là la répétition ; mais il n’est pas pronom pour cela, parce que ce n’est pas en cela que consiste la nature du pronom.

Ceci, cela. Ces deux mots sont encore deux noms généraux qui peuvent désigner toutes les natures, par la raison qu’ils n’en déterminent aucune, quoique dans l’usage ils en supposent une connue. Tout le monde connoît ce qui différencie ces deux mots.

Personne est un nom qui exprime principalement l’idée d’homme, & par accessoire l’idée de la totalité des individus pris distributivement : personne ne l’a dit, c’est-à-dire, aucun homme ne l’a dit, ni Pierre, ni Paul, ni &c. Puisque l’idée d’homme est la principale dans la signification du mot personne, ce mot est donc un nom comme homme. Nous disons en latin nemo (personne ne), & il est évident que c’est une contraction de ne homo, où l’on voit sensiblement le nom homo. Nous disons en françois, une personne m’a dit ; c’est très-évidemment le même mot, non-seulement quant au matériel, mais quant au sens ; c’est comme si l’on disoit un individu de l’espece des hommes m’a dit, & tout le monde convient que personne dans cette phrase est un nom : mais dans personne ne l’a dit, c’est encore le même nom employé sans article, afin qu’il soit pris dans un sens indéterminé ou général, nul individu de l’espece des hommes ne l’a dit.

Quiconque. C’est un nom conjonctif, équivalent à tout homme qui ; & c’est à cause de ce qui, lequel sert à joindre à l’idée de tout homme une proposition incidente déterminative, que je dis de quiconque, que c’est un nom conjonctif. Exemple : je le dis à quiconque veut l’entendre, c’est-à dire, à tout homme qui veut l’entendre. On voit bien que l’idée d’homme est la principale dans la signification de quiconque, & par conséquent que c’est un nom comme le nom homme.

Quoi. C’est un autre nom conjontif, équivalent à quelle chose, ou à laquelle chose, & dans la signification duquel l’idée de chose est manifestement l’idée principale. Exemples : à quoi pensez-vous ? je ne sais à quoi vous pensez ; sans quoi vous devez craindre ; c’est-à-dire, à quelle chose pensez-vous ? je ne sais à quelle chose vous pensez ; sans laquelle chose vous devez craindre.