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pui à quelqu’une de ces choses, ou pour exprimer un mouvement de sensibilité occasionné dans l’ame de celui qui parle. Ainsi il faut que parmi les mots, les uns énoncent le sujet ; que les autres expriment l’attribution faite au sujet ; que quelques-uns en marquent l’objet ; que d’autres dans le besoin en représentent le terme ; qu’il y en ait, quand le cas échoit, pour la circonstance modificative, ainsi que pour la liaison, toutes & quantes fois qu’on voudra rapprocher les choses : il faut enfin énoncer les accompagnemens accessoires, lorsqu’il plaira à la personne qui parle d’en ajouter à sa pensée.

Donnons maintenant à ces parties constructives des noms convenables & bien expliqués, qui, les distinguant l’une de l’autre, & indiquant clairement leurs fonctions dans la composition de la proposition, nous aident à pénétrer dans l’art de la construction. Car enfin, c’est par leur moyen qu’on forme des sens, qu’on transporte & qu’on peint dans l’esprit des autres l’image de ce qu’on pense soi-même.

Tout ce qui est employé à énoncer la personne ou la chose à qui l’on attribue quelque façon d’être ou d’agir, paroissant dans la proposition comme sujet dont on parle, se nomme par cette raison subjectif ; il y tient le principal rang.

Ce qui sert à exprimer l’application qu’on fait au sujet, soit d’action, soit de maniere d’être, y concourt par la fonction d’attribution ; puisque par son moyen on approprie cette action à la personne ou à la chose dont on parle : il sera donc très-bien nommé attributif.

Ce qui est destiné à représenter la chose que l’attribution a en vue, & par qui elle est spécifiée, figure comme objet ; de sorte qu’on ne sauroit lui donner un nom plus convenable que celui d’objectif.

Ce qui doit marquer le but auquel aboutit l’attribution, ou celui duquel elle part, présente naturellement un terme : cette fonction le fait nommer terminatif.

Ce qu’on emploie à exposer la maniere, le tems, le lieu, & les diverses circonstances dont on assaisonne l’attribution, gardera le nom de circonstanciel ; puisque toutes ces choses sont par elles-mêmes autant de circonstances.

Ce qui sert à joindre ou à faire un enchaînement de sens, ne peut concourir que comme moyen de liaison : par conséquent son vrai nom est conjonctif.

Ce qui est mis par addition, pour appuyer sur la chose, ou pour énoncer le mouvement de l’ame, se place comme simple accompagnement : c’est pourquoi je le nommerai adjonctif. Voilà les sept membres qui peuvent entrer dans la structure d’une proposition. On voit d’abord qu’il ne lui est pas essentiel de renfermer tous ces membres ; l’adjonctif s’y trouvant rarement, le conjonctif n’y ayant lieu que lorsqu’elle fait partie d’une période, & pouvant même n’y être pas énoncé. Souvent il n’y a point de terminatif, non plus que de circonstanciel, comme dans cet exemple, les dieux aiment le nombre impair. D’autres fois on n’a dessein que d’exprimer la simple action du sujet, sans lui donner ni terme ni objet, & sans l’assaisonner de circonstance ni d’aucun accompagnement, comme quand on dit : les ennemis craignent ; nous sommes perdus ; j’aime.

Il faut observer que chaque membre d’une proposition peut être exprimé par un ou plusieurs mots indifféremment. Par exemple, dans cette proposition, le plus profond des physiciens ne connoît pas avec une certitude évidente le moindre des ressorts secrets de la nature ; le subjectif y présente un sujet unique par les cinq premiers mots : l’attributif une attribution négative par les trois suivans : le circonstanciel de même une seule circonstance par les quatre qui viennent après : enfin, l’objectif qu’un objet par les huit

derniers mots. C’est aux Grammairiens à fixer des regles, auxquelles on assujettisse l’arrangement qu’on doit mettre entre les divers membres, d’où résulte une proposition. Voyez Phrase, Style, Harmonie de discours.

La quantité des propositions se mesure sur l’étendue de leurs sujets : une proposition considérée par rapport à son étendue, est de quatre sortes ; ou universelle, ou particuliere, ou singuliere, ou indéfinie.

La proposition universelle est celle, dont le sujet est un terme universel, pris dans toute son étendue, c’est-à-dire pour tous les individus. Ces mots omnis, tout, pour l’affirmation ; nullus, nul. pour la négation, désignent ordinairement une proposition universelle. Je dis ordinairement, parce qu’il y a certaines circonstances, où ils n’annoncent qu’une proposition singuliere : & pour ne s’y pas tromper, voici une regle invariable qu’il ne faut jamais perdre de vue. Toutes les fois que le prédicat ne peut s’énoncer de tous les individus du sujet, pris chacun en son particulier, la proposition, malgré son apparence d’universalité, n’est que singuliere. Ainsi cette proposition, tous les apôtres étoient au nombre de douze, est réellement singuliere ; parce que le prédicat qui est douze, ne peut être dit de chaque apôtre en particulier. Le sens de cette proposition se réduit à dire, que la collection des apôtres étoit le nombre de douze : excepté ce seul cas, toute proposition dont le sujet est accompapagné de ces mots, tout, nul, doit être regardée comme une proposition universelle.

1°. Il faut distinguer deux sortes d’universalités ; l’une qu’on peut appeller métaphysique, & l’autre morale. L’universalité métaphysique est une universalité parfaite & sans exception, comme tout esprit est intelligent. L’universalité morale reçoit toujours quelque exception, parce que dans les choses morales on se contente que les choses soient telles ordinairement, ut plurimùm, comme ce que l’on dit ordinaire : que toltes les femmes aiment à parler, que tous les jeunes gens sont inconstans, que tous les vieillards louent le tems passé. Il suffit dans toutes ces sortes de propositions, qu’ordinairement cela soit ainsi, & on ne doit pas aussi en conclure à la rigueur.

2°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce qu’elles doivent s’entendre de generibus singulorum, & non pas de singulis generum, comme parlent les Philosophes ; c’est-à-dire de toutes les especes de quelque genre, & non pas de tous les particuliers de ces especes. Ainsi quelques-uns disent que Jesus-Christ a versé son sang pour le salut de tous les hommes, parce qu’il a des prédestinés parmi des hommes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de toute nation. Ainsi l’on dit que tous les animaux furent sauvés dans l’arche de Noé, parce qu’il en fut sauvé quelques-uns de toutes les especes. Ainsi l’on dit d’un homme qu’il a passé par toutes les charges, c’est-à-dire par toutes sortes de charges.

3°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce que le sujet doit être pris comme restreint par une partie de l’attribut, quand il est complexe & qu’il a deux parties, comme dans cette proposition : tous les hommes sont justes par la grace de Jesus. Christ ; c’est avec raison qu’on peut prétendre que le terme de justes est sous entendu dans le sujet, quoiqu’il n’y soit pas exprimé ; parce qu’il est assez clair que l’on veut dire seulement que tous les hommes qui sont justes, ne le sont que par la grace de Jesus-Christ ; & ainsi cette proposition est vraie en toute rigueur, quoiqu’elle paroisse fausse, à ne considérer que ce qui est exprimé dans le sujet, y ayant tant d’hommes qui sont méchans & pécheurs. Il y a un très-grand nombre de propositions dans l’Ecriture qui doivent être prises en ce sens, & entr’autres ce que dit S. Paul ;