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le sujet de la proposition. Ainsi, lorsqu’on dit, un homme n’est pas une pierre ; on affirme, selon lui, 1°. que l’homme est une chose ; 2°. que c’est une chose qui a quelque rapport, mais un rapport d’incompatibilité avec la forme de l’attribut ; savoir, avec la saxéité : de sorte qu’on doit ainsi résoudre cette proposition : l’homme est une chose qui a une incompatibilité avec la saxéité. Or la forme d’un attribut, selon cet auteur, peut avoir avec le sujet trois différentes sortes de relations ; savoir, la relation d’inséparabilité, si la forme de l’attribut est renfermée dans l’idée du sujet ; la relation d’incompatibilité, si elle en est exclue ; la relation de précision ou d’abstraction, si elle n’y est ni renfermée, ni si elle n’en est exclue.

Mais ne pourroit-on pas repliquer à Dagoumer, que le sujet de l’attribut ne peut pas toujours être identifié avec le sujet de la proposition, comme dans cette proposition, le néant n’est pas un être ? Car enfin on ne dira pas du néant qu’il soit une chose. D’ailleurs, on ne peut distinguer dans l’être considéré en lui-même, un sujet d’attribut, ni une forme d’attribut. Rien n’est plus simple que l’être pris ainsi métaphysiquement. Mais quand même le sujet de l’attribut pourroit être identifié avec le sujet de la proposition ce ne seroit point une raison pour qu’il le fût en vertu de la proposition même ; car la proposition par elle-même fait abstraction de cette liaison qui se trouve entre le sujet de l’attribut, & le sujet de la proposition. La proposition énonce seulement que l’homme, par exemple, n’est pas une chose qui soit pierre ; mais elle ne dit point que l’homme soit une chose, quoique cela soit exactement vrai ; parce qu’il n’est pas nécessaire qu’une proposition énonce tout ce qui est vrai de la chose sur laquelle elle roule. Mais c’est trop s’arrêter sur une question aussi frivole.

Les propositions, qui ont le même sujet & le même attribut, s’appellent opposées, lorsqu’elles different en qualité, c’est-à-dire, lorsque l’une est affirmative & l’autre négative.

Comme les propositions peuvent être opposées entr’elles de différentes manieres, tantôt selon la quantité, tantôt selon la qualité, & tantôt selon l’une & l’autre, les anciens avoient admis quatre sertes d’oppositions ; savoir, la contraire, la subcontraire, la subalterne & la contradictoire.

L’opposition contraire, c’est quand deux propositions ne different entr’elles que selon la qualité, & qu’elles sont toutes deux universelles. Telles sont ces propositions. Tout homme est animal, aucun homme n’est animal.

L’opposition subcontraire est la même que la précédente, à cela près que les deux propositions qui se combattent, sont toutes deux particulieres. Comme, quelque homme est bon, quelque homme n’est pas bon.

L’opposition subalterne, c’est quand deux propositions se combattent, selon la seule quantité. Telles sont ces propositions, tout homme est raisonnable, quelque homme est raisonnable.

L’opposition contradictoire c’est le combat de deux propositions selon la quantité, & selon la qualité : comme tous les Turcs sont mahométans, quelques Turcs ne sont pas mahométans.

Les Philosophes modernes ont fait main-basse sur toutes ces définitions, dont ils ont retranché quelques-unes comme inutiles, & corrigé les autres comme peu exactes. Le grand principe qu’ils ont posé, c’est qu’il n’y a d’opposition véritable entre des propositions, qu’autant que l’une affirme d’un sujet ce que l’autre nie précisément d’un même sujet considéré sous les mêmes rapports. Ceci supposé, je dis 1°. que les subcontraires ne sont point réellement opposées entr’elles. L’affirmation & la négation ne regardent pas le même sujet, puisque quelques

hommes sont pris pour une partie des hommes dans l’une de ces propositions, & pour une autre partie dans l’autre. On peut dire la même chose des subalternes, puisque la particuliere est une suite de la générale.

L’opposition contradictoire n’exige point un combat de propositions selon la quantité & selon la qualité, mais seulement l’affirmation & la négation du même attribut par rapport au même sujet. Ainsi ces deux propositions, l’homme est libre, l’homme n’est pas libre, sont deux propositions véritablement contradictoires. L’une de ces propositions ne peut être vraie, que l’autre ne soit fausse en même tems. La vérité de l’une emporte nécessairement la fausseté de l’autre.

L’opposition contraire est celle qui se trouve entre deux propositions, dont l’une affirme de son sujet un attribut incompatible avec l’attribut que l’autre proposition énonce du même sujet. Ainsi ces deux propositions sont contraires, le monde existe nécessairement, le monde existe contingemment. Ce qui distingue les propositions contraires des contradictoires, c’est que les deux contraires peuvent être toutes deux à la fois fausses ; au lieu que de deux contradictoires, l’une est nécessairement vraie, & l’autre nécessairement fausse. Quoique les propositions contraires puissent être toutes deux fausses, cependant elles ne peuvent être toutes deux vraies, parce que les contradictoires seroient vraies.

On appelle conversion d’une proposition, lorsqu’on change le sujet en attribut, & l’attribut en sujet ; sans que la proposition cesse d’être vraie, si elle l’étoit auparavant, ou plutôt, ensorte qu’il s’ensuive nécessairement de la conversion qu’elle est vraie, supposé qu’elle le fût. Ainsi dans toute conversion on ne doit jamais toucher à la qualité. Il est aisé de comprendre comment la conversion peut se faire. Car comme il est impossible qu’une chose soit jointe & unie à une autre, que cette autre ne soit aussi jointe à la premiere ; & qu’il s’ensuit fort bien que si A est joint à B, B est aussi joint à A, il est clair qu’il est impossible que deux choses soient conçues comme identifiées, qui est la plus parfaite de toutes les unions, que cette union ne soit réciproque, c’est-à-dire, que l’on ne puisse faire une affirmation mutuelle des deux termes unis en la maniere qu’ils sont unis. Ce qui s’appelle conversion.

Ainsi, comme dans les propositions particulieres affirmatives, le sujet & l’attribut sont tous deux particuliers, il n’y a qu’à changer simplement l’attribut en sujet, en gardant la même particularité, pour convertir ces sortes de propositions.

On ne peut pas dire la même chose des propositions universelles affirmatives, à cause que dans ces propositions il n’y a que le sujet qui soit universel, c’est-à-dire, qui soit pris selon toute son étendue, & que l’attribut au contraire est limité & restreint ; & partant, lorsqu’on le rendra sujet par la conversion, il lui faudra garder sa même restriction & y ajouter une marque qui le détermine. Ainsi quand je dis que l’homme est animal, j’unis l’idée d’homme avec celle d’animal, restreinte & resserrée aux seuls hommes. Ainsi, quand je voudrai envisager cette union par une autre face, il faudra que je conserve à ce terme sa même restriction, & de peur que l’on ne s’y trompe, y ajouter quelque note de détermination.

De sorte que de ce que les propositions affirmatives ne se peuvent convertir qu’en particulieres affirmatives, on ne doit pas conclure qu’elles se convertissent moins proprement que les autres ; mais comme elles sont composées d’un sujet général & d’un attribut restreint, il est clair que lorsqu’on les convertit, en changeant l’attribut en sujet, elles doivent avoir un sujet restreint & resserré.