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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/494

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d’un de ses collégues ; Antoine, de son côté, abandonna au jeune Octave le propre frere de sa mere ; & celui-ci consentit qu’Antoine fît mourir Cicéron, quoique ce grand homme l’eût soutenu de son crédit contre Antoine même. La tête du sauveur de l’état fut mise à prix pour la somme de huit mille livres sterling. Il mourut la victime de son mérite & de ses talens.

Largus & exundans loetho dedit ingenii fons,
Ingenio manus est & cervix coesa. Juvenal.

Enfin on vit dans ce rôle funeste Thoranius, tuteur du jeune Octave, celui-là même qui l’avoit élevé avec tant de soin ; Plotius désigné consul, frere de Plancus, un des lieutenans d’Antoine, & Quintus, son collégue au consulat, eurent le même sort, quoique ce dernier fût beau-pere d’Asinius Pollio, partisan zélé du triumvirat.

En un mot, les droits les plus sacrés de la nature furent violés. Trois cens sénateurs, & plus de deux mille chevaliers furent enveloppés dans cette affreuse proscription. Toutes ces horreurs, inconnues dans les siecles les plus barbares, & aux nations les plus féroces, se sont passées dans des tems éclairés, & par l’ordre des hommes les plus polis de leur tems. Elles ont été les fruits sanglans de ces désordres civils, & de ces vapeurs intestines qui étouffent les cris de l’humanité. (D. J.)

Proscription, (Hist. des Grecs.) les proscriptions chez les Grecs se faisoient avec les plus grandes formalités ; un héraut publioit par ordre du souverain qu’on récompenseroit d’une certaine somme, appellée ἐπικηρυσσόμενα χρήματα, quiconque apporteroit la tête du proscrit. De plus, afin qu’on se dévouât sans peine à faire le coup, & que le vengeur de la patrie sût où prendre la récompense dès qu’il l’auroit méritée ; on déposoit publiquement sur l’autel d’un temple la somme promise par le héraut. C’est ainsi que les Athéniens mirent à prix la tête de Xerxès ; & il ne tint pas à eux qu’elle leur coutât cent talens. On trouvera dans la comédie des oiseaux d’Aristophane, une formule de proscription contre Diagoras de Mélos. (D. J.)

PROSCRIT, s. m. (Jurisprud.) on entendoit quelquefois par-là chez les Romains celui dont la tête étoit mise à prix, mais plus communément ceux qui étoient condamnés à quelque peine, emportant mort naturelle ou civile. Le tit. XLIX. du liv. IX. du code est intitulé de bonis proscriptorum. Voyez Confiscation.

Parmi nous on regarde comme proscrit tout homme qui est noté d’infamie, & qui est banni du commerce des honnêtes gens. (A)

PROSE, s. f. (Littérat.) est le langage ordinaire des hommes, qui n’est point gêné par les mesures & les rimes que demande la poésie ; elle est opposée au vers. Voyez Vers. Ce mot vient du latin prosa, que quelques-uns prétendent dérivé de l’hébreu poras, qui signifie expendit ; d’autres le dérivent de prorsa ou prorsus, qui va en avant par opposition à versa, qui retourne en arriere, ce qu’il est nécessaire de faire lorsqu’on écrit en vers.

Quoique la prose ait des liaisons qui la soutiennent, & une structure qui la rend nombreuse ; elle doit paroître fort libre, & n’avoir rien qui sente la gêne. Voyez Style, Cadence, &c.

Il est rare que les poëtes écrivent bien en prose, ils se sentent toujours de la contrainte à laquelle ils sont accoutumés.

Saint-Evremond compare les écrivains en prose aux gens de pié, qui marchent plus tranquillement & avec moins de bruit.

Quoique la prose ait toujours été comme elle l’est aujourd’hui le langage ordinaire des hommes, elle

n’a pas d’abord été consacrée aux ouvrages d’esprit, ni même à conserver la mémoire des évenemens comme la poésie. Phérécy de Syros, qui vivoit au siecle de Cyrus, écrivit un ouvrage de philosophie, & c’étoit le premier ouvrage en prose qu’on eût vu parmi les Grecs, si l’on en croit Pline, qui dit de ce Phérécyde, prosam primus condere instituit. Mais ce passage de Pline signifie que cet auteur fut le premier qui traita en prose des matieres philosophiques, ou qui s’appliqua à donner à la prose cette espece de cadence, qui lui est propre dans les langues dont les syllabes reçoivent des accens sensiblement variés, telle qu’est la langue greque, & c’est ce qu’insinue le mot condere, qui signifie proprement arranger, disposer. Il ne s’ensuit nullement de-là que Phérécy de ait été le premier écrivain en prose qu’ayent eu les Grecs. Car Pausanias parle d’une histoire de Corinthe écrite en prose, & attribuée à un certain Rumelus, que la chronique d’Eusebe place à la onzieme olympiade ou vers l’an 740 avant Jesus-Christ, c’est-à-dire deux cens ans avant Phérécyde & le siecle de Cyrus. Il en a presque été de même parmi toutes les autres nations. Dans les monumens publics, les chroniques, les lois, la philosophie même, les vers ont été en usage avant la prose. Ainsi, parmi nous, il a été un tems où l’on ne croyoit pas que la prose françoise méritât d’être transmise à la postérité. A peine avons-nous un ou deux ouvrages de prose antérieurs à Villehardouin & à Joinville, tandis que nos bibliotheques sont encore pleines de poëmes historiques, allégoriques, moraux, &c. composés dans des tems très-reculés. Mémoires de l’académie des Belles-Leures, tome VI.

M. de la Mothe & d’autres ont soutenu qu’il pouvoit y avoir des poëmes en prose. Mais on leur a répondu, comme il est vrai, que la prose & la poésie ont eu de tout tems des caracteres distingués, que la traduction en prose d’un poëme n’est à ce poëme que ce qu’une estampe est à un tableau, elle en rend bien le dessein, mais elle n’en exprime pas le coloris, & c’est ce que madame Dacier elle-même pensoit de sa traduction d’Homere. Le consentement unanime des nations appuie encore ce sentiment. Apulée & Lucien, quoique tous deux fertiles en fictions & en ornemens poétiques, n’ont jamais été comptés parmi les poëtes. La fable de Psyché auroit été appellée poëme, s’il y avoit des poëmes en prose. Le songe de Scipion, quoique fiction très-noble, écrite en style poétique, ne fera jamais mettre le nom de Cicéron parmi ceux des poëtes latins, de même que parmi ceux de nos poëtes françois nous ne mettons point celui de Fénelon. D’ailleurs l’éloquence & la poésie ont chacune leur harmonie, mais si opposées que ce qui embellit l’une défigure l’autre. L’oreille est choquée de la mesure du vers quand elle le trouve dans la prose, & tout vers prosaïque déplaît dans la poésie. La prose emploie à la vérité les mêmes figures & les mêmes images que la poésie, mais le style est différent, & la cadence est toute contraire. Dans la poésie même chaque espece a sa cadence propre ; autre est le ton de l’épopée, autre est celui de la tragédie ; le genre lyrique n’est ni épique, ni dramatique, & ainsi des autres. Comment la prose, dont la marche est uniforme, pourroit-elle ainsi diversifier ses accords ? La prétention de M. de la Mothe a eu le sort des paradoxes mal fondés, on en a montré le faux, & l’on a continué à faire de beaux vers & à les admirer.

Prose, (Hist. ecclésiast.) nom qu’on a donné dans les derniers siecles à certaines hymnes composées de vers sans mesure, mais de certain nombre de syllabes avec des rimes, qui se chantent après le graduel, d’où on les a aussi appellées séquence, sequentia, c’est-à-dire qui suit après le graduel.