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roit que savant, poëte, historien, rempliroit mal les devoirs du trône ; mais s’il étoit encore à la fois le législateur, le défenseur, le général, l’économe, & le philosophe de la nation, ce seroit le prodige du xviij. siecle ». (Le Chevalier de Jaucourt.)

Fréderic II. né en 1712, a depuis 20 ans donné à l’univers le spectacle rare d’un guerrier, d’un législateur & d’un philosophe sur le trône. Son amour pour les lettres ne lui fait point oublier ce qu’il doit à ses sujets & à sa gloire. Sa conduite & sa valeur ont long-tems soutenu les efforts réunis des plus grandes puissances de l’Europe. Sans faste dans sa cour, actif & infatigable à la tête des armées, inébranlable dans l’adversité, il a arraché le respect & l’admiration de ceux-mêmes qui travailloient à sa perte. La postérité, qui ne juge point par les succès que le hasard guide, lui assignera parmi les plus grands hommes, un rang que l’envie ne peut lui disputer de son vivant. On a publié sous son nom différens ouvrages de prose en langue françoise ; ils ont une élégance, une force, & même une pureté qu’on admireroit dans les productions d’un homme qui auroit reçu de la nature un excellent esprit, & qui auroit passé sa vie dans la Capitale. Ses poésies qu’on nous a données sous le titre d’Œuvres du Philosophe de sans-souci, sont pleines d’idées, de chaleur & de vérités grandes & fortes. J’ose assurer que si le monarque qui les écrivoit à plus de trois cens lieues de la France, s’étoit promené un an ou deux dans le faubourg saint Honoré, ou dans le faubourg saint Germain, il seroit un des premiers poëtes de notre nation. Il ne falloit que le souffle le plus léger d’un homme de goût pour en chasser quelques grains de la poussiere des sables de Berlin. Nos poëtes, qui n’ont que de la correction, de l’expression & de l’harmonie, perdront beaucoup de valeur dans les siecles à venir, lorsque le tems qui amene la ruine de tous les empires, aura dispersé les peuples de celui-ci, anéanti notre langue, & donné d’autres habitans à nos contrées. Il n’en sera pas ainsi des vers du philosophe de sans-souci ; l’œil scrupuleux n’y reconnoîtra plus de vernis étranger ; & les pensées, les comparaisons, tout ce qui fait le mérite réel & vrai d’un morceau de poésie brillera d’un éclat sans nuage ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est que ce petit défaut ne se remarque nullement dans les lettres mêlées de prose & de vers ; elles sont pleines d’esprit, de légéreté & de délicatesse, sans le moindre vestige d’exotérisme. Il n’a manqué à cette flûte admirable qu’une embouchure un peu plus nette.

PRUSSIENNE, (Manufact. en soie.) l’étoffe appellée prussienne n’est autre qu’un gros-de-tours ou taffetas, dont la chaîne est ourdie d’un fil double d’une couleur, & un fil de l’autre, au nombre ordinaire de 40 portées doubles ; de sorte que quand la chaîne est tendue pour la travailler, tous les fils qui sont sur une verge doivent être d’une couleur, & ceux qui sont dessous d’une autre ; la trame pour ce genre d’étoffe doit être d’une couleur différente des deux qui composent la chaîne, de façon que quand le fabriquant sait bien assortir ses couleurs, le fond de l’étoffe forme un changeant agréable, attendu le mélange des trois couleurs ensemble.

Lorsque le dessein contient deux lacs, il faut deux navettes qui passent sur le même pas, c’est-à-dire sous les mêmes lisses levées, comme au gros-de-tours, ce qui fait que les deux couleurs des navettes & les deux couleurs de la chaîne, font paroître quatre couleurs différentes lorsque le dessein est disposé pour ce genre d’étoffe.

Le rabat est inutile dans ce genre d’étoffe, parce que si on les faisoit baisser à chaque lac tiré pour

passer la navette, il rabattroit la moitié de la soie levée, & ne formeroit pour-lors qu’un gros-de-tours.

Les lacs tirés pour passer les deux navettes forment la figure ou le dessein, ce qui fait deux couleurs dans une fleur, & deux couleurs par la chaîne, qui composent quatre couleurs, ou trois couleurs & un liséré.

Comme on ne pense pas avoir donné une définition du liséré, qui ordinairement est une couleur, laquelle en faisant le fond de l’étoffe, fait aussi une figure ; il est à propos d’observer du liséré, que sous cette dénomination on entend une couleur qui ne quitte point, & qui seule fait fleur, feuille, fruit, mosaïque, &c. soit en grand ou petit sujet, ce qui n’empêche pas que ce liséré, de quelque couleur qu’il soit, ne fasse encore sa partie dans les fleurs différentes où la couleur dont il est composé est nécessaire.

Outre le liséré qui se trouve dans plusieurs genres d’étoffes, par la couleur contenue dans une navette passée ; lorsqu’il s’en trouve une seconde, bien souvent on lui donne le nom de rebordé ; or cette seconde couleur qui est nommée rebordure, sert à border le tour des feuilles, des dorures, fleurs, &c. & à faire la figure nécessaire dans quelques sujets de l’étoffe, autre que celui de reborder ; c’est pour cela qu’on voit dans la fabrique plusieurs satins, damas, gros-de-tours, & autres auxquels on donne simplement le nom de liséré & rebordé, parce qu’ils n’ont que deux couleurs, sans y comprendre celle de la chaîne.

Comme le fond uni de la prussienne semble former une espece de cannelé, attendu les deux couleurs dont la chaîne est composée, il est nécessaire que, dans les parties où le fabriquant desire que ce fond fasse figure avec les fleurs, le dessein soit disposé de façon que ce même fond ne serve que d’ombre aux lacs qui sont passés, & que par son mélange elle forme une variété & une dégradation, qui donne par une espece de demi-teinte le brillant naturel que la fleur exige, puisque si la chaîne est moitié marron & moitié aurore, le fond donnera un coup marron & l’autre aurore ; de même s’il est bleu pâle & bleu vif, gris & blanc, ainsi des autres : d’ailleurs comme la trame est différente des deux fonds, elle donnera un changeant qui empêchera, lorsqu’elle sera fabriquée, que l’on puisse connoître précisément de quelle couleur sera le fond de la chaîne dont elle sera composée.

La prussienne se fabrique encore avec des bandes cannelées, ombrées, qui ont plus ou moins de largeur, ce qui paroît faire deux étoffes différentes. Le cannelé ombré n’est point passé dans le corps de ce genre d’étoffe. Celui qui n’est pas ombré y est passé, parce que pour-lors on seme dans le cannelé un liséré léger au gré du dessinateur, qui serpente dans les bandes, & qui ne se peut faire que par la tire. A l’égard des bandes cannelées ombrées, elles sont passées simplement dans les lisses à jour, proportionnées à leur largeur. V. l’art. Moere, ce qui concerne les lisses à jour.

Prussiennes de 50. 60 dixaines d’hauteur au bouton, en deux lacs. On donne le nom de prussienne à une étoffe qui n’est autre qu’un gros-de-tours liséré, parce que cette étoffe a été inventée en premier lieu en petit dessein, comme la péruvienne, pour éviter la quantité de boutons ; mais les fabriquans qui sont ingénieux se sont avisés de faire la prussienne au bouton & en grand dessein.

Les étoffes ordinaires au bouton ont toujours été faites en petits desseins, c’est-à-dire à plusieurs répétitions, afin d’éviter la quantité des cordes de rame, & des cordes de tirage nécessaires, qui par conséquent seroit suivie de celle des boutons, de façon qu’une corde tireroit jusqu’à 5, 6, 7 & 8 arcades, com-