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punir le corps. Et de-là devoient sortir naturellement une infinité d’obstacles aux principes contraires. Il n’est pas inutile de connoître tout, encore que l’on n’ait pas le pouvoir de disposer de tout. C’est assez que la religion fasse connoître sûrement ce qu’il faut croire, & ce qu’il faut faire ; c’est assez qu’elle puisse clairement réfuter l’erreur, & ce n’est qu’en ce sens-là que l’autorité de terrasser les monstres de l’hérésie & de l’impiété lui appartient. Si les hommes résistent à ses lumieres, c’est à Dieu à les en punir comme des inexcusables. Ce n’est point l’affaire de la religion, ni une partie du ministere établi par Jesus-Christ. Voici la seconde partie de la réflexion de l’anonyme.

« Ne volons pas si haut, & parlons plus humainement, il n’y a rien de si surprenant dans la grandeur des papes. A la faveur de quelques passages de l’Ecriture, des entousiastes ont persuadé le monde de leur divinité ; cela est-il nouveau ? Jusqu’où les hommes ne se laissent-ils pas entraîner en fait de religion ? Ils aiment sur-tout à diviniser leur semblable. Le Paganisme le démontre. Or posé une fois que les papes ayent pû facilement établir les divins privileges de leur charge, n’étoit-il pas naturel que les peuples se déclarassent pour eux contre toutes les autres puissances ? Pour moi, bien-loin d’être surpris de leur élévation, j’admire comment ils ont pû manquer la monarchie universelle : le nombre des princes qui ont secoué le joug romain me confond ; quand j’en cherche la raison, je ne puis me prendre qu’à ces deux causes si générales & si connues, que l’homme n’agit pas toujours conséquemment à ses principes, & que la vie présente fait de plus fortes impressions sur son cœur que celle qui est à venir ».

Laissons croire, dit M. Bayle, à l’auteur anonyme de l’Esprit des cours de l’Europe, à cet écrivain fin & subtil, que les papes ont pu aisément persuader qu’ils étoient des dieux en terre, c’est-à-dire qu’en qualité de chefs visibles de l’Eglise, ils pouvoient déclarer authentiquement, cela est hérétique, cela est orthodoxe, régler les cérémonies & commander à tous les évêques du monde chrétien. Résultera-t-il de-là qu’ils ayent pu aisément établir leur autorité sur les monarques, & les mettre sous leur joug avec la derniere facilité ? C’est ce que je ne vois point. Je vois au contraire que, selon les apparences, leur puissance spirituelle devoit courir de grands risques par l’ambition qu’ils avoient d’attenter sur le temporel des rois. Prenez garde, dit-on un jour aux Athéniens, que le soin du ciel ne vous fasse perdre la terre ; tout au rebours, on auroit dû dire aux papes : « Prenez garde que la passion d’acquérir la terre ne vous fasse perdre le ciel : on vous ôtera la puissance spirituelle, si vous travaillez à usurper la temporelle ». On sait que les princes les plus orthodoxes sont plus jaloux des intérêts de leur souveraineté que de ceux de la religion. Mille exemples anciens & modernes nous l’apprennent : il n’étoit donc point probable qu’ils souffriroient que l’Eglise s’emparât de leurs domaines & de leurs droits, & il étoit probable qu’ils travailleroient plutôt à amplifier leur autorité au préjudice de l’Eglise, qu’ils ne laisseroient amplifier la puissance de l’Eglise au préjudice de leur puissance temporelle.

Cette dispute devoit donc être fatale aux usurpateurs de l’autorité temporelle ; car il est aisé de montrer, & par des textes formels de l’Ecriture, & par l’esprit de l’Evangile, & par l’ancienne tradition, & par l’usage des premiers siecles, que les papes ne sont nullement fondés dans leurs prétentions de disposer des couronnes, & de partager en tant de choses les droits de la souveraineté. Cela peut même frayer le chemin à ébranler leur autorité

spirituelle ; & en les mettant sur la défensive à l’égard de ce point-là, dans quel embarras les jette-ton ? Quel péril ne leur fait-on pas courir par rapport même aux articles que les peuples s’étoient laissé persuader d’adopter ? Il ne faut pas compter pour peu de chose la disposition, qu’il est probable qu’auront à servir les princes, les ecclésiastiques, que la cour de Rome veut contraindre à ne se point marier. Le nombre de ceux qui trouvent ce joug trop dur, est innombrable : les incontinens honnêtes sont ceux qui ont le plus à cœur le privilege de se marier ; car, pour ceux qui n’ont guere de conscience, ils se dédommagent par le concubinage.

Mais lisons l’histoire des papes, nous verrons qu’ils n’ont avancé dans leur chemin & qu’ils n’ont gagné du terrein qu’en renversant des obstacles qu’ils ont rencontrés à chaque pas. On leur a opposé des armées & des livres, on les a combattus & par des prédications, & par des libelles & par des prophéties ; on a tout mis en usage pour arrêter leurs conquêtes, & tout s’est trouvé inutile. Mais pourquoi ? C’est à cause qu’ils se sont servi de tous les moyens imaginables. Les armes, les croisades, les tribunaux de l’inquisition ont secondé en leur faveur les foudres apostoliques ; la ruse, la violence, le courage & l’artifice ont concouru à les protéger. Leurs conquêtes ont couté la vie à autant de gens, ou peu s’en faut, que celles de la république romaine. On voit beaucoup d’écrivains qui appliquent à la nouvelle Rome, ce que Virgile a remarqué touchant l’ancienne.

Multa quoque & bello passus dùm conderet urbem
Inferretque deos latio.

Æneïd. lib. I. vers. 3.

Concluons que la puissance où les papes sont parvenus est un des plus grands prodiges de l’histoire humaine, & l’une de ces choses qui n’arrivent pas deux fois. Si elle étoit à faire, je ne crois pas qu’elle se fît. Une singularité de tems aussi favorable dans cette entreprise ne se rencontreroit point dans les siecles à venir, comme elle s’est rencontrée dans les siecle passés ; & si ce grand édifice se détruisoit & que ce fût à recommencer, on n’en viendroit pas à bout. Tout ce que peut faire présentement la cour de Rome, avec la plus grande habileté politique qui se voie dans l’univers, ne va qu’à se maintenir : les acquisitions sont finies. Elle se garde bien d’oser excommunier une tête couronnée, & combien de fois faut-il qu’elle dissimule son ressentiment contre le parti catholique qui dispute aux papes l’infaillibilité, & qui, fait brûler les livres qui lui sont les plus favorables ? Si elle tomboit aujourd’hui dans l’embarras de l’antipapat, je veux dire dans ces confusions de schismes où elle s’est trouvée tant de fois, & où l’on voyoit pape contre pape, concile contre concile, infestisque obvia signis signa, pares aquilas, & pila minantia pilis, elle n’en sortiroit pas avec avantage : elle échoueroit dans un siecle comme le nôtre avec toute sa dextérité : elle a perdu les plus beaux fleurons de sa couronne, & les autres sont bien endommagés. (D. J.)

Puissance paternelle, est un droit accordé par la loi au pere ou autre ascendant mâle & du côté paternel, sur la personne & les biens de leurs enfans & petits-enfans nés en légitime mariage, ou qui ont été légitimés, soit par mariage subséquent, ou par lettres du prince.

On entend quelquefois par puissance paternelle le droit de supériorité & de correction que les peres ont sur leurs enfans ; droit qui appartient également aux meres, avec cette différence seulement que l’autorité des meres est subordonnée à celle des peres, à cause de la prééminence du sexe masculin. Grotius, lib. I. Ic. v. n°. 1.