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La puissance des pere & mere, considérée sous ce point de vûe, est de droit naturel.

L’homme en naissant est si foible de corps, & sa raison est encore enveloppée de tant de nuages, qu’il est nécessaire que les pere & mere ayent autorité sur leurs enfans pour veiller à leur conservation, & pour leur apprendre à se conduire.

On peut donc regarder la puissance paternelle comme la plus ancienne puissance établie de Dieu sur la terre.

En effet, les premieres sociétés des hommes n’étoient composées que d’une même famille, & celui qui en étoit le chef en étoit tout-à-la-fois le pere, le juge ou arbitre, & le souverain ; & cette puissance des peres n’avoit aucune autre puissance humaine au-dessus d’elle, jusqu’à ce qu’il s’élevât quelques hommes ambitieux qui s’arrogeant une autorité nouvelle & jusqu’alors inconnue, sur plusieurs familles répandues dans une certaine étendue de pays, donnerent naissance à la puissance souveraine.

Ce n’est pas seulement ce droit naturel qui accorde aux pere & mere une certaine puissance sur leurs enfans, elle a été également admise par le droit des gens ; il n’est point de nation qui n’accorde aux pere & mere quelque autorité sur leurs enfans, & une autorité plus ou moins étendue, selon que les peuples se sont plus ou moins conformé à la loi naturelle.

Le droit divin est venu fortifier en nous ces principes ; le Décalogue apprend aux enfans qu’ils doivent honorer leurs pere & mere, ce qui annonce que ceux-ci ont autorité sur leurs enfans.

Mais comme les enfans ne restent pas toujours dans le même état, & que l’homme a ses différens âges, l’autorité des pere & mere a aussi ses différens degrés.

On doit relativement à la puissance paternelle distinguer trois âges.

Dans le premier, qui est celui de l’enfance où l’homme n’est pas encore capable de discernement, les pere & mere ont une autorité entiere ; & cette puissance est un pouvoir de protection & de défense.

Dans le second âge, que l’on peut fixer à la puberté, l’enfant commence à être capable de réflexion ; mais il est encore si volage, qu’il a besoin d’être dirigé : la puissance des pere & mere devient alors un pouvoir d’administration domestique & de direction.

Dans le troisieme âge, qui est celui où les enfans ont coutume de s’établir, soit par mariage, soit en travaillant pour leur compte particulier, ils doivent toujours se ressouvenir qu’ils doivent à leurs pere & mere la naissance & l’éducation ; ils doivent conséquemment les regarder toute leur vie comme leurs bienfaiteurs, & leur en marquer leur reconnoissance par tous les devoirs de respect, d’amitié & de considération dons ils sont capables : c’est sur ce respect & sur l’affection que les enfans doivent avoir pour leurs pere & mere, qu’est fondé le pouvoir que les pere & mere conservent encore sur leurs enfans dans le troisieme âge.

Le droit naturel, le droit des gens & le droit divin ne donnent point aux pere & mere d’autre puissance sur leurs enfans que celle qu’on vient d’expliquer ; tout ce qui est au-delà provient de la disposition des hommes, & est purement arbitraire.

Ainsi ce que l’on entend en droit par puissance paternelle, entant que cette puissance attribue au pere certains droits singuliers sur la personne & les biens des enfans, est une prérogative émanée du droit civil, & dont l’exercice plus ou moins étendu dépend des lois de chaque pays.

C’est par cette raison que Justinien observe que la puissance que les Romains avoient sur leurs enfans étoit particuliere à ces peuples, parce qu’en effet il

n’y avoit aucune autre nation où les peres eussent un pouvoir aussi étendu.

Ce qui étoit de particulier aux Romains n’étoit pas l’autorité en général que les peres ont sur leurs enfans, mais cette même autorité modifiée & étendue telle qu’elle avoit lieu parmi eux, & que l’on peut dire n’avoir ni fin, ni bornes, du-moins suivant l’ancien droit.

Elle n’avoit point de fin, parce qu’elle duroit pendant toute la vie du fils de famille.

Elle n’avoit point de bornes, puisqu’elle alloit jusqu’au droit de vie & de mort, & que le pere avoit la liberté de vendre son enfant jusqu’à trois fois.

Le pere avoit aussi le droit de s’approprier tout ce que son fils acquéroit, sans distinction.

Ces différens droits furent dans la suite restraints & mitigés.

On ôta d’abord aux peres le droit de vie & de mort, & celui de vendre & aliéner leurs enfans ; il ne leur demeura à cet égard que le droit de correction modérée.

Le droit même d’acquérir par leurs enfans & de s’approprier tout ce qu’ils avoient, fut beaucoup restraint par l’exception que l’on fit en faveur des fils de famille de leurs pécules castrense, quasi castrense, & autres semblables. Voyez Pécule.

La puissance paternelle, telle qu’elle étoit réglée, suivant le dernier état du droit romain, a encore lieu dans tous les pays du droit écrit, sauf quelques différences qu’il y a dans l’usage de divers parlemens.

Le premier effet de la puissance paternelle, est que ceux qui sont soumis à cette puissance, & qu’on appelle enfans de famille, ne peuvent point s’obliger pour cause de prêt quoiqu’ils soient majeurs ; leurs obligations ne sont pas valables, même après la mort de leur pere. Voyez Fils de famille & Senatus consulte macédonien.

Le 2d. effet de la puissance paternelle, est que les enfans de famille ne peuvent tester, même avec la permission de leur pere, & leur testament n’est pas valable, même après la mort de leur pere ; on excepte seulement de cette regle les pécules castrenses & quasi castrenses.

Le troisieme effet, est que le pere jouit des fruits de tous les biens de ses enfans étant en sa puissance, de quelque part que leur viennent ces biens, à l’exception pareillement des pécules castrenses & quasi castrenses.

Il y a aussi des cas où il n’a pas l’usufruit des biens adventifs ; savoir, 1°. lorsqu’il succede conjointement avec ses enfans à quelqu’un de ses enfans prédécédé, il ne jouit pas de l’usufruit des portions de ses enfans, parce qu’il a une virile en propriété : 2°. lorsqu’il refuse d’autoriser ses enfans pour accepter une succession, donation ou legs : 3°. il en est de même des biens donnés ou légués à ses enfans, à condition qu’il ne jouira pas des fruits.

Le quatrieme effet de la puissance paternelle, est que tout ce que le fils de famille acquiert du profit des biens qu’il avoit en ses mains, appartenant au pere, est acquis au pere, non seulement en usufruit, mais aussi en pleine propriété, sur-tout si le fils faisoit valoir ce fonds aux risques du pere.

Le cinquieme effet, est que le pere ne peut faire aucune donation entre vifs & irrévocable, aux enfans qu’il a sous sa puissance, si ce n’est par le contrat de mariage du fils de famille.

Le sixieme, est que le pere qui marie son fils étant en sa puissance, est responsable de la dot de sa belle-fille, soit qu’il la reçoive lui-même, ou que son fils la reçoive.

Le septieme effet, est que le pere pour prix de l’émancipation de son fils, retient encore quelque droit sur ses biens. Suivant la loi de Constantin, il avoit le