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roient ensemble ; ils s’interrogeoient ; ils se répondoient ; ils s’oignoient ; ils se baignoient ; ils se rassembloient autour de tables servies de pain, de fruits, de miel, & d’eau ; jamais on n’y buvoit de vin ; le soir on faisoit des libations ; on lisoit, & l’on se retiroit en silence.

Un vrai pythagoricien s’interdisoit l’usage des viandes, des poissons, des œufs, des féves, & de quelques autres légumes ; & n’usoit de sa femme que très-modérément, & après des préparations relatives à la santé de l’enfant.

Il ne nous reste presque aucun monument de la doctrine de Pythagore ; Lysis & Archyppus, les seuls qui étoient absens de la maison, lorsque la faction cylonienne l’incendia, & fit périr par les flammes tous les autres disciples de Pythagore, n’en écrivirent que quelques lignes de réclame. La science se conserva dans la famille, se transmit des peres & meres aux enfans, mais ne se répandit point. Les commentaires abrégés de Lysis & d’Archyppus, furent supprimés & se perdirent ; il en restoit à peine un exemplaire au tems de Platon, qui l’acquit de Philolaüs. On attribua dans la suite des ouvrages & des opinions à Pythagore ; chacun interpreta comme il lui plut, le peu qu’il en savoit ; Platon & les autres philosophes corrompirent son système ; & ce système obscur par lui-même, mutilé, défiguré, s’avilit & fut oublié. Voici ce que des auteurs très-suspects nous ont transmis de la philosophie de Pythagore.

Principes généraux du Pythagorisme. Toi qui veux être philosophe, tu te proposeras de délivrer ton ame de tous les liens qui la contraignent ; sans ce premier soin, quelque usage que tu fasses de tes sens, tu ne sauras rien de vrai.

Lorsque ton ame sera libre, tu l’appliqueras utilement ; tu t’éleveras de connoissance en connoissance, depuis les objets les plus communs, jusqu’aux choses incorporelles & éternelles.

Arithmétique de Pythagore. L’objet des sciences mathématiques tient le milieu entre les choses corporelles & les incorporelles ; c’est un des degrés de l’échelle que tu as à parcourir.

Le mathématicien s’occupe ou du nombre, ou de la grandeur ; il n’y a que ces deux especes de quantité. La quantité numérique se considere ou en elle-même, ou dans un autre ; la quantité étendue est ou en repos ou en mouvement. La quantité numérique en elle-même est objet de l’Arithmétique, dans un autre ; comme le son, c’est l’objet de la Musique ; la quantité étendue en repos, est l’objet de la Géométrie ; en mouvement, de la Sphérique.

L’Arithmétique est la plus belle des connoissances humaines ; celui qui la sauroit parfaitement, posséderoit le souverain bien.

Les nombres sont ou intellectuels ou scientifiques.

Le nombre intellectuel subsistoit avant tout dans l’entendement divin ; il est la base de l’ordre universel, & le lien qui enchaîne les choses.

Le nombre scientifique est la cause génératrice de la multiplicité qui procede de l’unité & qui s’y résout.

Il faut distinguer l’unité de l’art ; l’unité appartient aux nombres ; l’art aux choses nombrables.

Le nombre scientifique est pair ou impair.

Il n’y a que le nombre pair qui souffre une infinité de divisions en parties toujours paires ; cependant l’impair est plus parfait.

L’unité est le symbole de l’identité, de l’égalité, de l’existence, de la conservation, & de l’harmonie générale.

Le nombre senaire est le symbole de la diversité, de l’inégalité, de la division, de la séparation, & des vicissitudes.

Chaque nombre, comme l’unité & le binaire, a ses propriétés qui lui donnent un caractere symbolique qui lui est particulier.

La monade ou l’unité est le dernier terme, le dernier état, le repos de l’état dans son décroissement.

Le ternaire est le premier des impairs ; le quaternaire le plus parfait, la racine des autres.

Pythagore procede ainsi jusqu’à dix, attachant à chaque nombre des qualités arithmétiques, physiques, théologiques & morales.

Le nombre denaire contient, selon lui, tous les rapports numériques & harmoniques, & forme ou plutôt termine son abaque ou sa table.

Il y a une liaison entre les dieux & les nombres, qui constitue l’espece de divination appellée arithmomantie.

Musique de Pythagore. La musique est un concert de plusieurs discordans.

Il ne faut pas borner son idée aux sons seulement. L’objet de l’harmonie est plus général.

L’harmonie a ses régles invariables.

Il y a deux sortes de voix, la continue & la brisée. L’une est le discours, l’autre le chant. Le chant indique les changemens qui s’operent dans les parties du corps sonore.

Le mouvement des orbites célestes, qui emportent les sept planetes, forme un concert parfait.

L’octave, la quinte & la quarte sont les bases de l’arithmétique harmonique.

La maniere dont on dit que Pythagore découvrit les rapports en nombre de ces intervalles de sons marque que ce fut un homme de génie.

Il entendit des forgerons qui travailloient. Les sons de leurs marteaux rendoient l’octave, la quarte & la quinte. Il entra dans leur attelier. Il fit peser leurs marteaux. De retour chez lui, il appliqua aux cordes tendues par des poids l’expérience qu’il avoit faite, & il forma la gamme du genre diatonique, d’où il déduisit ensuite celles des genres chromatiques & enharmoniques, & il dit :

Il y a trois genres de musique, le diatonique, le chromatique & l’enharmonique.

Chaque genre a son progrès & ses degrés. Le diatonique procéde du semi-ton au ton, &c.

C’est par les nombres & non par le sens qu’il faut estimer la sublimité de la musique. Etudiez le monocorde.

Il y a des chants propres à chaque passion, soit qu’il s’agisse de les tempérer, soit qu’il s’agisse de les exciter.

La flûte est molle. Le philosophe prendra la lyre ; il en jouera le matin & le soir.

Géométrie de Pythagore. En géométrie, l’unité représentera le point ; le nombre binaire la ligne ; le ternaire la surface, & le quaternaire le solide.

Le point est l’unité donnée de position.

Le nombre binaire représente la ligne, parce qu’elle est la premiere dimension, engendrée d’un mouvement indivisible.

Le nombre ternaire représente la surface, parce qu’il n’y a point de surface qui ne puisse se réduire à des élemens de trois limites.

Le cercle, la plus parfaite des figures curvilignes, contient le triangle d’une maniere cachée ; & ce triangle est formé par le centre & un portion indéterminée de la circonférence.

Toute surface étant réductible au triangle, il est le principe de la génération & de la formation des corps. Les élemens sont triangulaires.

Le quarré est le symbole de l’essence divine.

Il n’y a point d’espace autour d’un point donné, qu’on ne puisse égaler à un triangle, à un quarré ou à un cercle.