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vous aurez l’eau ; l’eau, & vous aurez la terre ; & la terre se résout en feu. L’homme se dissout, mais il ne revient pas. C’est un être accidentel ; le tout reste, mais les accidens passent.

Le monde est un globe : il se meut d’un mouvement analogue à sa figure. La durée est infinie ; la substance universelle ne peut être ni augmentée, ni diminuée, ni amendée, ni détériorée.

Il y a deux choses dans l’univers, la génération & sa cause.

La génération est le changement d’une chose en une autre. Il y a génération de celle-ci. La cause de la génération est la raison du changement ou de la production. La cause est efficiente & active. Le sujet est récipient & passif.

Le destin a voulu que ce monde fût divisé en deux régions que l’orbe de la lune distinguât ; & que la région qui est au-dessus de l’orbe lunaire fût celle de l’immutabilité & de l’impassibilité ; & celle qui est au-dessous, le séjour de la discorde, de la génération.

Il y a trois choses, le corps palpable, ou le récipient, ou le sujet passif des choses à venir, comme l’air qui doit engendrer le son, la couleur, les ténébres & la lumiere ; la contradiction sans laquelle les mutations ne se feroient pas. Les substances contraires, comme le feu, l’eau, l’air & la terre.

Il y a quatre qualités générales contraires, le froid & le chaud, causes efficientes ; le sec & l’humide, causes passives ; la matiere qui reçoit tout est un suppôt commun.

Entre les qualités & différences des corps, il y en a de premieres & de secondaires qui émanent des premieres. Les premieres sont le froid & la chaleur, la sécheresse & l’humidité. Les secondaires sont la pesanteur & la légereté, la rareté & la densité ; la dureté & la mollesse ; l’uni & l’inégalité ; la grosseur & la ténuité ; l’aigu & l’obtus.

Entre les élémens, le feu & la terre sont les extrèmes, l’air & l’eau les moyens. Le feu est chaud & sec ; l’air chaud & humide ; l’eau humide & froide ; la terre froide & seche.

Les élémens se convertissent sans cesse les uns dans les autres ; l’un naît d’un autre. Dans cette décomposition, la qualité de l’élément qui passe, contraire à celle de l’élément qui naît, est détruite, la qualité commune reste, & c’est ainsi que cette sorte de génération s’exécute.

Entre les causes efficientes, il y en a une placée dans la région haute du monde, le soleil dont la distance variable altere incessamment la constitution de l’air ; d’où naissent toutes les vicissitudes qui s’observent sur la terre. Cette bande oblique, demeure des signes, séjour passager du soleil, ornement de l’univers, qu’on appelle zodiaque, donne au soleil même la puissance, ou d’engendrer, ou de souffrir.

Le monde étant de toute éternité, ce qui fait sa beauté & son harmonie est aussi éternel ; le monde a toujours été, & chacune de ses parties ; la raison des générations & des corruptions, des vicissitudes, n’a point changé & ne change point.

Chaque partie du monde a toujours eu son animal ; les dieux ont été au ciel, les démons dans l’air, les hommes sur la terre. L’espece humaine n’a pas commencé.

Les parties de la terre sont sujettes à des vicissitudes & passent, mais la terre reste.

C’est la conservation de l’espece humaine, & non la volupté qu’il faut se proposer dans la production de l’homme.

Dieu a voulu que la suite des générations diverses fût infinie, afin que l’homme s’approchât nécessaireme de la divinité.

L’homme est sur la terre, comme un hôte dans sa

maison, un citoyen dans sa ville ; c’en est la partie la plus importante.

L’homme est le plus traitable des animaux ; aussi ses fonctions sont en vicissitude & variables.

La vie contient les corps ; l’ame est la cause de la vie ; l’harmonie contient le monde : Dieu est la cause de l’harmonie ; la concorde contient les familles & les cités ; la loi est la cause de la concorde.

Ce qui meut toujours, commande ; ce qui souffre toujours est commandé. Ce qui meut est antérieur à ce qui souffre ; l’un est divin, raisonnable, intelligent ; l’autre engendré, brute & périssable.

Timée le locrien, se distingua par la connoissance astronomique & par ses idées générales sur l’univers. Il nous reste de lui un ouvrage intitulé. de l’ame du monde, où il admet deux causes génerales, éternelles, Dieu ou l’esprit ; la nécessité ou la matiere source des corps. Si l’on compare son système avec le dialogue de Platon, on verra que le philosophe Athénien a souvent corrompu la physiologie du locrien.

Architas naquit à Tarente ; il fut contemporain de Platon qu’il initia au Pythagorisme. Celui-ci qu’on peut appeller le jeune, ne vit point Pythagore ; car il y a eu un Architas l’ancien qui étudia sous ce maître commun de tant d’hommes célébres. Celui de Tarente eut pour disciples, outre Platon, Philolaüs & Eudoxe ; il fleurit dans la quatre-vingt-seizieme olympiade ; ce fut un géometre de la premiere force, ainsi qu’il paroît par l’analyse de quelques problèmes que Laerce & Vitruve nous ont laissés de lui. Il s’immortalisa dans la méchanique ; il en posa le premier les principes rationels qu’il appliqua en même tems à la pratique par l’invention des moufles, des vis, des leviers & d’autres machines. Il fit une colombe qui voloit. Il eut encore les qualités qui constituent le grand homme d’état. Ses concitoyens lui conférerent sept fois le gouvernement de leur ville. Il commanda à l’armée avec des succès qui ne se démentirent point. L’envie qui le persécutoit le détermina à abdiquer toutes ses dignités ; mais les événemens malheureux ne tarderent pas à punir ses concitoyens de leur injustice ; le trouble s’éleva dans leur ville, & leurs armées furent défaites. A ses talens personnels, & à ses vertus publiques, ajoutez toutes les vertus domestiques, l’humanité, la modestie, la pudeur, la bienfaisance, l’hospitalité, & vous aurez le caractere d’Architas ; il périt dans un naufrage sur les rivages de la Calabre ; c’est entre ce philosophe & un matelot, qu’Horace a institué ce beau dialogue qui commence par ces mots :

Le matelot

Te maris & terræ, numeroque carentis arena
Mensoram cohibent, Archita,
Pulveris exigui, prope littus, parva, matinum
Munera ; nec quicquam tibi prodest
Aerias tentasse domos, animoque rotundum
Percurrisse polum, morituro.

Voyez le reste de l’ode ; rien n’est plus beau que la réponse d’Architas ; lisez-la, & apprenez à mourir & à honorer la cendre de ceux qui ne sont plus.

Architas pensoit que le tems étoit un nombre, un mouvement, où l’ordre de la nature entiere, que le mouvement universel se distribuoit en tout, selon une certaine mesure ; que le bonheur n’étoit pas toujours la récompense immédiate de la vertu ; qu’il n’y avoit d’heureux que l’homme de bien ; que Dieu possedoit dans son ouvrage une tranquillité & y introduisoit une magnificence qu’il n’étoit pas donné à l’homme d’atteindre ; qu’il y avoit des biens desirables par eux-mêmes ; des biens desirables pour d’autres, & des biens desirables sous l’un & l’autre aspect ; que l’homme de bien est celui qui se montre vertueux dans la prospérité, dans l’adversité, & dans