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l’état moyen ; que le bonheur n’étoit pas seulement d’une partie de l’homme, mais du tout, & qu’il étoit relatif à l’ame & au corps ; que la vertu ne pouvoit pécher par excès ; que le danger de la prospérité étoit encore plus grand que celui de l’adversité ; que le sage par excellence étoit celui, qui, dans l’explication des phenomenes remontoit à un seul principe général, & redescendoit de ce principe général aux choses particulieres ; que Dieu étoit le principe & le moyen, & la fin de tout ; que de toutes les sortes de contagions, la volupté étoit la principale, &c.

Alcmeon avoit entendu Pythagore sur la fin de sa vie. Il se fit un nom dans la suite par l’étude de la nature, & la pratique de la Médecine. Il est le premier qui ait disséqué des animaux. Il admit les principes opposés ; la divinité des astres, & l’immortalité de l’ame. Il attribua les éclipses à la révolution de la lune, qui nous présentoit une face tantôt concave, tantôt convexe. Il croyoit que les planetes se mouvoient d’un mouvement contraire à celui des étoiles fixes ; que le son étoit un retentissement de l’air dans la cavité de l’oreille ; que la tiédeur & l’humidité de la langue étoient les causes de la saveur ; que l’ame résidoit principalement dans le cerveau ; que dans le développement de l’embryon, la tête se formoit la premiere ; qu’il ressembloit à une éponge qui se nourrissoit par une suction diffuse dans toute sa masse ; que le mouvement du sang étoit le principe de la vie, sa stagnation dans les veines celui du sommeil, & son expansion celui de la veille ; que la santé consistoit dans la tempérie des qualités ; que s’il arrivoit au chaud, à l’humide, au sec, au doux ou à l’amer, de prédominer, l’animal étoit malade, &c.

Hypase dit que le feu étoit dieu, & le premier principe ; que l’ame en étoit une particule ; qu’en s’éteignant il formoit l’air, qui formoit l’eau en s’épaississant, qui formoit la terre en se condensant ; que l’univers finiroit par une déflagration générale ; qu’il avoit différentes périodes à remplir avant ce dernier événement ; qu’il étoit fini & toujours un.

Ce fut Philolaüs qui divulgua la doctrine de Pythagore. Il convenoit que la raison jugeoit sainement des choses, mais la raison cultivée. Il établissoit entr’elle & l’univers une sorte de similitude par laquelle l’entendement étoit applicable aux objets. Il admettoit l’infini & le fini dans la nature, le résultat de leur combinaison. Un de ses principes les plus singuliers, c’est que rien de ce qui peut être connu, n’est un principe. Le nombre étoit selon lui, comme selon tous les Pythagoriciens, la cause de l’ordre & de sa durée. Il expliquoit tout par l’unité & son extension. Il distinguoit différentes régions dans le monde, un milieu, une région haute & une région basse, un lieu de désordre, un lieu d’harmonie. Il plaçoit le feu au centre ; c’étoient-là les lois de l’univers, l’autel des dieux, le domicile de Jupiter, le balancier de la nature. Il regardoit la nécessité & l’harmonie comme les causes de tout. Il enseignoit deux grands derniers événemens ; l’un par un feu tombant du ciel, l’autre par un déluge d’eau versée de la lune. Il faisoit mouvoir la terre sur elle-même & au-tour du feu, d’un mouvement oblique. Il regardoit le soleil comme un miroir qui réflechissoit la lumiere universelle.

Eudoxe de Cnide, astronome, géometre, médecin & législateur, fut le dernier des anciens pythagoriciens. Il se livra à l’étude de la nature avec un tel enthousiasme, qu’il consentoit d’être consumé comme Phaëton, pourvû qu’il lui fût accordé de voir le soleil d’assez près pour le connoître. Il apprit la Géométrie d’Architas, & la Médecine de Philistion. Il alla à Athènes entendre Platon. Il avoit alors vingt-trois ans. L’extrème indigence le réduisit à faire alternativement le métier de philosophe & d’ouvrier

sur les ports. Il voyagea avec le médecin Chrisippe. Agésilas le recommanda au roi Nectanebe. Il fréquenta les temples de l’Egypte. Il parcourut la Propontide & la Carie. Il vit Mausole & Denis le jeune. Il perfectionna l’Astronomie. On lui attribue l’invention de l’hipothese des cercles sur lesquels on a fait si long-tems mouvoir les corps célestes, les uns concentriques, les autres excentriques. Il mourut à l’âge de 53 ans, & la premiere ere de l’école de pythagore finit avec lui.

Du Pythagorisme renouvellé. Le Pythagorisme sortit de l’oubli où il étoit tombé sous les empereurs romains. Ce n’est pas qu’il eût des écoles, comme il en avoit eu autrefois ; aucune secte ne fit cette espece de fortune dans Rome. On n’y alloit guere entendre les Philosophes que les jours qu’il n’y avoit ni jeux, ni spectacles, ou qu’il faisoit mauvais tems, cum ludi intercalantur, cum aliquis pluvius intervenit dies. Mais quelques citoyens professerent quelques-uns des principes de Pythagore ; d’autres embrasserent ses mœurs & son genre de vie. Il y en eut qui portant dans les sciences l’esprit d’Eclectisme, se firent des systèmes melés de Pythagorisme, de Platonisme, de Péripatéticisme & de Stoicisme. On nomme parmi cette sorte de restaurateurs de la philosophie dont il s’agit ici, Anaxilaüs de Larisse, Quintus Sextius, Sotion d’Alexandrie, Moderatus de Gades, Euxenus d’Héraclée, Apollonius de Thyane, Secondus d’Athenes & Nicomaque le gérasénien. Comme ces hommes n’ont pas été sans réputation, nous ne pouvons nous dispenser d’en dire un mot.

Anaxilaüs de Larisse vécut sous Auguste. Il se disoit pythagoriste, sur l’opinion commune dans ces tems que le philosophe de Samos ne s’étoit appliqué à l’étude de la nature que pour en déduire l’art d’opérer des choses merveilleuses. On en raconte plusieurs d’Anaxilaüs. Il ne tint pas à lui qu’on ne le prît pour sorcier. Il y réussit même au-delà de ses prétentions, puisqu’il se fit exiler par Auguste qui n’étoit ni un petit esprit, ni un homme ennemi des savans. Anaxilaüs lui parut apparemment un charlatan dangereux.

Quintus Sextius fut un autre homme. Appellé par sa naissance & par la considération dont il jouissoit, aux premieres dignités civiles, soit qu’il dédaignât d’administrer dans un état avili par la perte de la liberté, soit que la terre fumât encore du sang dont elle avoit été arrosée sous le triumvirat, & qu’il en fut effrayé, soit qu’il ne vît que du péril dans les dignités qu’on lui offroit, il les refusa, se livra à l’étude de la Philosophie, & fonda une secte nouvelle, qui ne fut ni Stoïcisme, ni Pythagorisme, mais un composé de l’un & de l’autre. Voici la maniere dont Séneque en parle. J’ai lû l’ouvrage de Sextius ; c’est un homme de la premiere force, & stoïcien quoi qu’on en dise. Quelle vigueur ! quelle ame ! Cela est d’une trempe qui n’est pas ordinaire même entre les Philosophes. Je ne vois que de grands noms & de petits livres. Ce n’est pas ici la même chose. Les autres instituent, disputent, plaisantent ; mais ils ne nous donnent point de chaleur, parce qu’ils n’en ont point. Mais lisez Sextius, & vous vous direz à vous-même, que suis je devenu ? J’étois froid, & je me sens animé ; j’étois foible, & je me sens fort ; j’étois pusillanime, & je me sens du courage. Pour moi, en quelque situation d’esprit que je me trouve, à peine l’ai-je ouvert, que je puis défier tous les évenemens ; que je m’écrierois volontiers : ô sort, que fais-tu ? que ne viens-tu sur moi ? arrive avec toutes tes terreurs. Je vous attends. Je prends l’ame de cet auteur : elle passe en moi. Je brûle de m’exercer contre l’infortune. Je m’indigne que l’occasion de montrer de la vertu ne se présente pas. Ce Sextius a cela d’admirable, que sans vous pallier l’importance & la difficulté d’obtenir le bonheur & le repos de la vie, il ne vous en ôte pas l’espoir. Il met la chose haut, mais non si haut qu’avec de la résolution on n’y