Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec assez de fondement que tout ce récit d’Ovide n’est qu’une fiction agréable, dont le seul but étoit de donner l’essor à son imagination & d’amuser ses lecteurs ; au reste, les explications morales qu’on a voulu donner de cette fable, ainsi que de bien d’autres, sont beaucoup moins satisfaisantes que celles qui sont fondées sur les prétentions de Alchimistes.

La fameuse fontaine de Jouvence qui avoit le pouvoir de rappeller à ceux qui s’y baignoient & qui en bûvoient, la jeunesse passée, ou de la rendre immortelle, quand on en éprouvoit la vertu avant d’en être privé, ne passe pareillement que pour une invention poétique : cependant Deodatus, médecin spagyrique, qui a très-longuement écrit sur les moyens de vivre plus de 120 ans, pense que cette fontaine se trouve réalisée dans le nouveau monde : il s’appuie sur le témoignage de plusieurs historiens dignes de foi qu’il ne nomme pas, & qui rapportent qu’on a trouvé une île connue sous le nom de Bonica, dans laquelle il y a une fontaine dont les eaux plus précieuses que le vin le plus délicat ont l’admirable vertu de changer la vieillesse en jeunesse. Panthem. hygiastic. hippocratico-hermetic. lib. I. cap. viij.

Il n’en est pas des alchimistes comme des poëtes ; ceux-ci n’ont jamais parlé sérieusement des méthodes de rajeunir, ils ne les ont exposé que comme les autres fables dont leurs ouvrages sont remplis, se gardant bien d’y ajouter foi eux-mêmes, & ne prétendant nullement en prouver & faire croire la réalité ; mais ceux-là ont regardé le rajeunissement comme un des principaux effets de leur médecine universelle. Robertus Vallensis, Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle, & autres fameux adeptes ont tous assuré positivement que ce remede avoit la vertu d’éloigner ou de dissiper la vieillesse, & de conserver ou de faire renaître la jeunesse ; & ces auteurs ne s’en sont pas tenus, ajoute Deodatus leur partisan zélé, à de simples promesses, ils ont confirmé leurs prétentions par des faits authentiques.

Ils prouvent la possibilité du rajeunissement par l’exemple de différens animaux, 1° de l’aigle, dont il est dit dans les anciennes Ecritures, renovabitur ut aquilæ juventus tua : lorsqu’elle est venue à une extrème vieillesse, elle prend entre ses serres une tortue qu’elle éleve fort haut d’où elle la précipite sur un rocher, son écaille se brise, & l’aigle en dévore la chair & les entrailles, & rajeunit ainsi ; de façon qu’elle ne meurt point ni de vieillesse, ni de maladie, mais d’inanition, parce que la partie supérieure de son bec devient tellement crochue, qu’elle lui empêche de l’ouvrir & de prendre la nourriture. 2° Le cerf devenu vieux attire, par la force de son haleine, les serpens du fond des cavernes, les foule aux piés, les mange, cervinus gelidum, dit Martial, sorbet sic halitus anguem, & reprend, par leur vertu, toute la vigueur de la jeunesse ; mais pour parer aux mauvais effets qu’il pourroit ressentir de leur venin, il se plonge en entier jusqu’au museau dans une riviere, alors ses larmes épaissies dans le coin des yeux s’en détachent sous la forme de petites pierres, & passent pour d’excellens alexipharmaques. 3° Les serpens qui tous les printems & les automnes quittent leur peau & leurs années, & reprennent la vivacité de leur vûe & l’agilité de leurs mouvemens ; ce qui arrive de même aux écrevisses, qui changent souvent d’enveloppe. 4° Les éperviers, suivant le rapport de Jean-Baptiste Porta dans son Phytogironicum, lorsqu’ils tardent trop de jetter leurs vieilles plumes, y sont excités par le remede suivant, dont l’effet s’étend encore plus loin ; car outre les nouvelles plumes qu’il fait repousser, il leur redonne la santé, la force, la prestesse, & les autres attributs de la jeunesse ; ce remede consiste à faire cuire un serpent qui vient de

naître, & qui a par conséquent peu de venin, avec du froment, à en nourrir une poule, & ensuite la donner à manger à l épervier, & lui faire boire l’eau qui a servi à la décoction. Si tous ces animaux peuvent rajeunir, pourquoi cet avantage précieux seroit-il refusé à l’homme, s’écrie douloureusement l’auteur que nous avons cité ? Sans doute que l’âne chargé de ce présent que Jupiter envoyoit aux humains, a eu l’imprudence de le laisser prendre aux serpens.

Cependant cet auteur pourroit trouver des motifs de consolation dans les histoires qu’il rapporte, si leur vérité est bien attestée ; car non-seulement le rajeunissement est démontré possible, mais elles constatent évidemment sa réalité. Galien fait mention d’un homme qui cherchant à terminer une vie malheureuse rendue plus insupportable encore par une lepre générale dont il étoit couvert, se résolut d’avaler une bouteille de vin qu’il croyoit empoisonné par une vipere qui s’y étoit glissée, y avoit été étouffée & y étoit restée pendant quelque tems morte ; à peine eut-il mis ce terrible dessein à exécution qu’il est tourmenté par d’affreux vomissemens, & qu’enfin il tombe dans un assoupissement léthargique qui paroissoit mortel ; ce sommeil se dissipe, les vomissemens cessent, & bientôt après tous les poils de son corps se détachent, les ongles se déracinent, tous les membres se dessechent, la mort sémbloit prête à l’envelopper, des moissonneurs qui l’avoient vu avaler ce prétendu poison & qui le lui avoient même fourni s’attendoient au dénouement naturel de ce spectacle tragique ; mais il se termina bien autrement, une étincelle de vie parut ranimer pour un moment cet infortuné moribond, & les spectateurs virent avec une admiration mêlé de crainte de nouvelles chairs se former, les poils & les ongles renaître, la figure s’embellir, la vieille peau se séparer, en un mot un homme tout nouveau. Galen. libr. de simplic. Valescus de Taranta écrit que dans une ville du royaume de Valence il y avoit une abbesse courbée sous le poids des ans à qui tout-à-coup les regles parurent, les dents se renouvellerent, les cheveux noircirent, la fraîcheur & l’égalité du teint revinrent, les mamelles flasques & desséchées reprirent la fermeté & la rondeur propre au sein naissant des jeunes filles, à qui, en un mot, il ne manqua aucun attribut de la plus parfaite jeunesse ; elle fut si frappée de la nouveauté de cet évenement, & en conçut une telle honte, qu’elle se cacha pour se soustraire aux yeux des spectateurs que la curiosité attiroit en foule. Les nouveaux historiens portugais parlent d’un noble indien qui a vécu trois cens quarante ans, & qui a éprouvé trois fois l’admirable vissicitude de la jeunesse & de la caducité. Ici se présente encore l’histoire merveilleuse de Jean Montanus, fameux médecin archispagyriste, qui, par le moyen de son élixir philosophique, revint d’un âge très-avancé dans la fleur de la jeunesse : le même élixir opéra le même miracle, suivant le témoignage de Torquemada, sur un vieillard de cent ans, qui avec la jeunesse obtint encore cinquante ans de vie ; quelques autres ont attribué ces effets à la constitution particuliere de ces deux personnes, dans le dessein de frustrer de la vertu rajeunissante le remede dont ils s’étoient servi, mais on leur répond que cet élixir peu soigneusement gardé ayant été trouvé & pris par des poules, aussi-tôt leurs plumes tomberent, & il en revint de nouvelles.

Tous les alchimistes qui croient au rajeunissement, s’accordent à penser que le vrai spécifique propre à opérer ce merveilleux changement, est ce qu’ils appellent la médécine universelle, ou la pierre philosophale ; c’est-là cet élixir incomparable auquel Crollius ne fait pas difficulté de donner les titres fastueux & hyperboliques de feu céleste non brûlant, d’ame