Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/151

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Dans les meilleures républiques grecques, les richesses y étoient aussi à charge que la pauvreté ; car les riches étoient obligés d’employer leur argent en fêtes, en sacrifices, en chœurs de musique, en chars, en chevaux pour la course, en magistratures, qui seules formoient le respect & la considération.

Les républiques modernes sont connues de tout le monde ; on sait quelle est leur force, leur puissance & leur liberté. Dans les républiques d’Italie, par exemple, les peuples y sont moins libres que dans les monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussi violens que le gouvernement des Turcs ; témoins les inquisiteurs d’état à Venise, & le tronc où tout délateur peut à tous momens jetter avec un billet son accusation. Voyez quelle peut être la situation d’un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. Il peut ravager l’état par ses volontés générales ; & comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulieres. Toute la puissance y est une, & quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant. A Genève on ne sent que le bonheur & la liberté.

Il est de la nature d’une république qu’elle n’ait qu’un petit territoire ; sans cela elle ne peut guere subsister. Dans une grande république il y a de grandes fortunes, & par conséquent peu de modération dans les esprits : il y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d’un citoyen ; les intérêts se particularisent : un homme sent d’abord qu’il peut être heureux, grand, glorieux, sans sa patrie ; & bientôt, qu’il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie.

Dans une grande république le bien commun est sacrifié à mille considérations : il est subordonné à des exceptions : il dépend des accidens. Dans une petite, le bien public est mieux senti, mieux connu, plus près de chaque citoyen : les abus y sont moins étendus, & par conséquent moins protégés.

Ce qui fit subsister si long-tems Lacédémone, c’est qu’après toutes ses guerres, elle resta toujours avec son territoire ; le seul but de Lacédémone étoit la liberté : le seul avantage de sa liberté, c’étoit la gloire.

Ce fut l’esprit des républiques grecques de se contenter de leurs terres, comme de leurs lois. Athènes prit de l’ambition, & en donna à Lacédémone ; mais ce fut plutôt pour commander à des peuples libres, que pour gouverner des esclaves : plutôt pour être à la tête de l’union que pour la rompre. Tout fut perdu, lorsqu’une monarchie s’éleva ! gouvernement dont l’esprit est tourné vers l’aggrandissement.

Il est certain que la tyrannie d’un prince ne met pas un état plus près de sa ruine, que l’indifférence pour le bien commun y met une république. L’avantage d’un état libre est qu’il n’y a point de favoris. Mais quand cela n’est pas, & qu’au lieu des amis & des parens du prince, il faut faire la fortune des amis & des parens de tous ceux qui ont part au gouvernement, tout est perdu. Les lois sont éludées plus dangereusement qu’elles ne sont violées par un prince, qui étant toujours le plus grand citoyen de l’état, a le plus d’intérêt à sa conservation. Esprit des lois. (D. J.)

République d’Athenes, (Gouvern. athénien.) le lecteur doit permettre qu’on s’étende dans cet ouvrage sur les républiques d’Athènes, de Rome & de Lacédémone, parce que par leur constitution elles se sont élevées au-dessus de tous les empires du monde.

Il n’est pas surprenant que les Athéniens, ainsi que beaucoup d’autres peuples, ayent porté la gloire de

leur origine jusqu’à la chimere, & qu’ils se soient dits enfans de la terre ; cependant il est assez vraissemblable, au jugement de quelques historiens, qu’ils descendoient d’une colonie de Saïtes, peuples d’Egypte. Ils furent d’abord sous la puissance des rois, & ensuite ils élurent pour les gouverner, des magistrats perpétuels qu’ils nommerent archontes. La magistrature perpétuelle ayant encore paru à ce peuple amoureux de l’indépendance, une image trop vive de la royauté, il rendit les archontes décennaux, & finalement annuels. Ensuite, comme on ne s’accordoit point, ni sur la religion, ni sur le gouvernement, & que les factions renaissoient sans cesse, ils reçurent de Dracon ces lois célebres qu’on disoit avoir été écrites avec du sang, à cause de leur excessive rigueur. Aussi furent-elles supprimées vingt-quatre ans après par Solon qui en donna de plus douces & de plus convenables aux mœurs athéniennes.

Les sages lois de ce grand législateur établirent une pure démocratie que Pisistrate rompit en usurpant la souveraineté d’Athènes, qu’il laissa à ses fils Hipparque & Hippias. Le premier fut tué ; & le second ayant pris la fuite, se joignit aux Perses, que les Athéniens commandés par Miltiade défirent à Marathon.

On sait combien ils contribuerent aux victoires de Mycale, de Platée & de Salamine. Ces victoires éleverent Athènes au plus haut point de splendeur où elle ait jamais été sous un corps de république. Elle tint aussi dans la Grece, le premier rang pendant l’espace de 70 ans. Ce fut dans cet intervalle que parurent ses plus grands capitaines, ses plus célebres philosophes, ses premiers orateurs, & ses plus habiles artistes.

Elle étoit en possession de combattre pour la prééminence & pour la gloire. Elle seule sacrifia plus d’hommes & plus d’argent à l’avantage commun des Grecs, que nul autre peuple de la terre n’en sacrifia jamais à ses avantages particuliers. Tant qu’elle fut florissante, elle aima mieux affronter de glorieux hazards, que de jouir d’une honteuse sûreté. On la vit peuplée d’ambassadeurs qui venoient de toutes parts réclamer sa protection, & qui la nommoient le commun asyle des nations. L’art de bien dire devint son partage, & elle n’eut point de maître pour la finesse & la délicatesse du goût.

Mais comme les richesses & les beaux arts menent à la corruption, Athènes se corrompit fort promptement, & marcha à grands pas à sa ruine. On ne sauroit croire combien elle étoit déchue de ses anciennes mœurs du tems d’Eschines & de Démosthènes. Il n’y avoit déja plus chez les Athéniens d’amour pour la patrie, & l’on ne voyoit que désordres dans leurs assemblées & dans les actions juridiques. Ayant perdu contre Philippe la bataille de Chéronée, elle fut obligée de plier sous la puissance de ce roi de Macédoine, & sous celle de son fils Alexandre.

Elle se releva néanmoins de la tyrannie de Démétrius par la valeur d’Olympiodore. La vaillance de ses habitans reprit alors ses premieres forces, & fit sentir aux Gaulois la puissance de leurs armes. L’athénien Callippus empêcha le passage des Thermopyles à la nombreuse armée de Brennus, & la contraignit d’aller se répandre ailleurs. Il est vrai que ce fut là le dernier triomphe d’Athènes. Aristion, l’un de ses capitaines, qui s’en étoit fait le tyran, ne put défendre cette ville contre les Romains. Sylla prit Athènes, & l’abandonna au pillage. Le pirée fut détruit, & n’a point été rétabli depuis.

Après le sac de Sylla, Athènes eût été pour toujours un affreux désert, si le savoir de ses philosophes n’y eût encore attiré une multitude de gens avides de profiter de leurs lumieres. Pompée lui-même discontinua la poursuite des pyrates pour s’y rendre,