Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/291

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différente ; il s’attendrit & jaunit en mûrissant, acquiert de l’eau, de la saveur, une odeur agréable, qui tient de celle de la pêche ; on regarde ce fruit comme très-propre à la guérison du scorbut muriatique. Les Anglois l’appellent bread-fruit. Le lord Anson en a donné la description & la figure dans ses voyages. (D. J.)

RIMAILLEUR, s. m. (Littérat.) auteur médiocre ou mauvais qui rime sans génie & sans goût. Ce terme se prend toujours en mauvaise part. Ainsi Rousseau dit dans une de ses épigramme :

Griphon rimailleur subalterne
Vante Siphon le barbouilleur ;
Et Siphon peintre de taverne
Vante Griphon le rimailleur.

RIME, s. f. (Poësie franç.) la rime, ainsi que les fiefs & les duels, doit son origine à la barbarie de nos ancêtres. Les peuples dont descendent les nations modernes & qui envahirent l’empire romain, avoient déja leurs poëtes, quoique barbares, lorsqu’ils s’établirent dans les Gaules & dans d’autres provinces de l’empire. Comme les langues dans lesquelles ces poëtes sans étude composoient n’étoient point assez cultivées pour être maniées suivant les regles du mètre, comme elles ne donnoient pas lieu à tenter de le faire, ils trouverent qu’il y auroit de la grace à terminer par le même son deux parties du discours qui fussent consécutives ou relatives & d’une égale étendue. Ce même son final, répété au bout d’un certain nombre de syllabes, faisoit une espece d’agrément, & il marquoit quelque cadence dans les vers. C’est apparemment de cette maniere que la rime s’est établie.

Dans les contrées envahies par les barbares, il s’est formé un nouveau peuple composé du mélange de ces nouveaux venus & des anciens habitans. Les usages de la nation dominante ont prévalu en plusieurs choses, & principalement dans la langue commune qui s’est formée de celle que parloient les nouveaux venus. Par exemple, la langue qui se forma dans les Gaules, où les anciens habitans parloient communément latin quand les Francs s’y vinrent établir, ne conserva que des mots dérivés du latin. La syntaxe de cette langue se forma très-différente de la syntaxe de la langue latine. En un mot, la langue naissante se vit asservie à rimer ses vers, & la rime passa même dans la langue latine, dont l’usage s’étoit conservé parmi un certain monde. De-là vient qu’au viij. siecle les vers léonins, qui sont des vers rimés comme nos vers françois, prirent faveur, & ne s’éclipserent qu’avec la barbarie au lever de cette lumiere, dont le crépuscule parut dans le xv. siecle.

On a trouvé la rime établie dans l’Asie & dans l’Amérique. Il y a dans Montagne une chanson en rimes américaines traduite en françois. On lit dans le spectateur la traduction angloise d’une ode laponne qui étoit rimée, mais la plûpart de ces peuples rimeurs sont barbares ; & les peuples rimeurs qui ne le sont plus, italiens, françois, anglois, espagnols & qui sont des nations polies, étoient des barbares & presque sans lettres lorsque leur poésie s’est formée. Les langues qu’ils parloient n’étoient pas susceptibles d’une poësie plus parfaite, lorsque ces peuples ont posé, pour ainsi dire, les premiers fondemens de leur poétique. Il est vrai que les nations européennes, dont je parle, sont devenues dans la suite savantes & lettrées ; mais comme leurs langues avoient déja ses usages établis & fortifiés par le tems, quand ces nations ont cultivé l’étude judicieuse de la langue greque & de la latine, elles ont bien poli & rectifié ces usages, mais elles n’ont pu les changer entierement.

Les Grecs & les Latins, quibus dedit ore rotundo

musa loqui, formerent une langue, dont toutes les syllabes pouvoient, par leur longueur ou leur briéveté, exprimer les sentimens lents ou impétueux de l’ame. De cette variété de syllabes & d’intonations résultoit dans leurs vers, & même aussi dans leur prose, une harmonie qu’aucune nation n’a pu saisir après eux. Du mélange de leurs syllabes longues & brèves, suivant la proportion prescrite par l’art, résulte toujours une cadence, telle que l’espece dont sont leurs vers la demande.

L’agrément de la rime n’est pas à comparer avec l’agrément du nombre & de l’harmonie. Une syllabe terminée par un certain son n’est point une beauté par elle-même ; la beauté de la rime n’est qu’une beauté de rapport, qui consiste dans une conformité de désinances entre le dernier mot d’un vers & le dernier mot du vers réciproque. On n’entrevoit donc cette beauté qui passe si vîte qu’au bout de deux vers, & après avoir entendu le dernier mot du second vers qui rime au premier. On ne sent même l’agrément de la rime qu’au bout de trois & de quatre vers, lorsque les rimes masculines & féminines sont entrelacées, de maniere que la premiere & la quatrieme soient masculines, & la seconde & la troisieme féminines ; mélange fort en usage dans plusieurs especes de poésie.

Le rhithme & l’harmonie sont une lumiere qui luit toujours, & la rime n’est qu’un éclair qui disparoît après avoir jetté quelque lueur ; aussi la rime la plus riche ne fait-elle qu’un effet bien passager : c’est la regle de la poësie dont l’observation coute le plus, & qui jette le moins de beauté dans les vers ; pour une pensée heureuse que l’ardeur de rimer richement peut faire rencontrer par hasard, elle en fait certainement employer tous les jours cent autres dont on auroit dédaigné de se servir, sans la richesse ou la nouveauté de la rime que ces pensées amenent. A n’estimer le mérite des vers que par les difficultés qu’il faut surmonter pour les faire, il est moins difficile sans comparaison de rimer richement, que de composer des vers nombreux & remplis d’harmonie. Rien n’aide un poëte françois à vaincre cette derniere difficulté que son génie, son oreille & sa perséverance. Aucune méthode réduite en art ne vient à son secours. Les difficultés ne se présentent pas si souvent quand on ne veut que rimer richement ; & l’on s’aide encore pour les surmonter d’un dictionnaire de rimes, le livre favori des rimeurs séveres, & qu’ils ont tous, quoi qu’ils en disent, dans leur arriere-cabinet.

Mais enfin tel est l’état des choses, que la rime est absolument nécessaire à la poésie françoise ; il n’a pas été possible de changer sa premiere conformation, qui avoit son fondement dans la nature & le génie de notre langue. Toutes les tentatives que quelques poëtes savans ont faites pour la bannir, & pour introduire l’usage des vers mesurés à la maniere des Grecs & des Romains, n’ont pas eu le moindre succès. Corneille & Racine ont employé la rime ; & je crains que si nous voulions ouvrir une autre carriere, ce seroit plutôt dans l’impuissance de marcher dans la route de ces beaux génies, que par le desir raisonnable de la nouveauté. Les Italiens & les Anglois pourroient mieux que nous se passer de rimer, parce que leurs langues ont des inversions, & leur poésie mille libertés qui nous manquent. Chaque langue a son génie particulier ; celui de la nôtre est la clarté, la précision & la délicatesse. Nous ne permettons nulle licence à notre poésie, qui doit marcher comme notre prose dans l’ordre timide de nos idées. Nous avons donc un besoin essentiel du retour des mêmes sons, pour que notre poésie ne soit pas confondue avec la prose. Tout le monde connoît ces beaux vers de Racine :