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narchie absolue, mais mitigée & bornée dans sa puissance. L’élection des rois de Rome, se faisoit par le peuple, après avoir pris les augures, & le sénat servoit en quelque sorte de barriere à l’autorité monarchique, qui ne pouvoit rien faire de considérable sans prendre son avis. Denys d’Halicarnasse, l. II. c. xiv. & l. VII. c. xxxviij. vous détaillera les privileges des rois de Rome ; je ne ferai que les indiquer.

Ils avoient droit, 1°. de présider à tout ce qui concernoit la religion, & d’en être l’arbitre souverain. 2°. D’être le conservateur des lois, des usages & du droit de la patrie. 3°. De juger toutes les affaires où il s’agissoit d’injures atroces faites à un citoyen. 4°. D’assembler le sénat & d’y présider ; de faire au peuple le rapport de ses decrets, & par-là, de les rendre autentiques. 5°. D’assembler le peuple pour le haranguer. 6°. De faire exécuter les décrets du sénat. Voilà tout ce qui regardoit les affaires civiles, & les tems de paix.

A l’égard de la guerre, le roi avoit un très-grand pouvoir, parce que tout ce qui la concerne demande une prompte exécution, & un grand secret, étant fort dangereux de mettre en délibération dans un conseil public, les projets d’un général d’armée. Malgré cela, le peuple romain étoit le souverain arbitre de la guerre & de la paix.

Les marques de la royauté étoient la couronne d’or, la robe de pourpre mêlée de blanc, la chaire curule d’ivoire, & le sceptre au haut duquel étoit la représentation d’une aigle. Il étoit accompagné de douze licteurs, portant sur leurs épaules un faisceau de baguettes, liées avec des courroies de cuir, & du milieu de chaque faisceau sortoit une hache. Ces licteurs lui servoient en même-tems de gardes, & d’exécuteurs de ses commandemens, & de la justice ; soit qu’il fallût trancher la tête, ou fouetter quelque coupable, car c’étoit les deux genres de supplices ordinaires chez les Romains ; alors ils délioient leurs faisceaux, & se servoient des courroies pour lier les criminels, des baguettes pour les fouetter, & de la hache pour trancher la tête. Quelques-uns prétendent que ces licteurs étoient de l’institution de Romulus ; d’autres, de Tullus Hostilius ; & d’autres, en plus grand nombre, à la tête desquels il faut mettre Florus, l. I. c. v. l’attribuent à Tarquin l’ancien.

Quoi qu’il en soit, les gardes que prit Romulus, & si l’on veut les licteurs armés d’une hache d’arme, couronnés de faisceaux de verges, désignoient le droit de glaive, symbole de la souveraineté ; mais sous cet appareil de la royauté, le pouvoir royal ne laissoit pas, en ce genre, d’être resserré dans des bornes assez étroites, & il n’avoit guere d’autre autorité que celle de convoquer le sénat, & les assemblées du peuple, d’y proposer les affaires, de marcher à la tête de l’armée quand la guerre avoit été résolue par un decret public, & d’ordonner de l’emploi des finances qui étoient sous la garde de deux trésoriers, qu’on appella depuis questeurs.

Les premiers soins de Romulus furent d’établir différentes lois, par rapport à la religion & au gouvernement civil, mais qui ne furent publiées qu’avec le consentement de tout le peuple romain, qui de tous les peuples du monde, se montra le plus fier dès son origine, & le plus jaloux de sa liberté. C’étoit lui qui, dans ses assemblées, autorisoit les lois qui avoient été dirigées par le roi & le sénat. Tout ce qui concernoit la guerre & la paix, la création des magistrats, l’élection même du souverain, dépendoit de ses suffrages. Le sénat s’étoit seulement reservé le pouvoir d’approuver ou de rejetter ses projets, qui, sans ce tempérament & le concours de ses lumieres, eussent été souvent trop précipités & trop tumultueux.

Telle étoit la constitution fondamentale de cet état, qui n’étoit ni purement monarchique, ni aussi en-

tierement républicain. Le roi, le sénat, & le peuple,

étoient pour ainsi-dire dans une dépendance réciproque ; & il résultoit de cette mutuelle dépendance un équilibre d’autorité qui modéroit celle du prince, & qui assuroit en même tems le pouvoir du sénat, & la liberté du peuple.

Déjà Rome commençoit à se rendre redoutable à ses voisins ; il ne lui manquoit que des femmes pour en assurer la durée. Romulus envoya des députés pour en demander aux Sabins, qui refuserent sa proposition ; il résolut de s’en venger : & pour y réussir, il ne trouva point de meilleur expédient que de célébrer à Rome des jeux solemnels en l’honneur de Neptune. Les Sabins ne manquerent pas d’accourir à cette solemnité ; mais pendant qu’ils étoient attachés à voir le spectacle, les Romains, par ordre de Romulus, enleverent toutes les filles, & mirent hors de Rome, les peres & les meres qui reclamoient en vain l’hospitalité violée. Leurs filles répandirent d’abord beaucoup de larmes, elles souffrirent ensuite qu’on les consolât ; le tems à la fin adoucit l’aversion qu’elles avoient pour leurs ravisseurs, dont elles firent depuis leurs époux légitimes. Il est vrai que l’enlevement des Sabines causa une guerre qui dura quelques années ; mais les deux peuples firent la paix, & n’en firent qu’un seul pour s’unir encore plus étroitement. Rome commença dès-lors à être regardée comme la plus puissante ville de l’Italie ; on y comptoit déjà jusqu’à quarante-sept mille habitans, tous soldats, tous animés du même esprit, & qui n’avoient pour objet que de conserver leur liberté, & de se rendre maîtres de celle de leurs voisins.

Cependant Romulus osa regner trop impérieusement sur ses sujets, & sur un peuple nouveau, qui vouloit bien lui obéir, mais qui prétendoit qu’il dépendît lui-même des lois dont il étoit convenu dans l’établissement de l’état. Ce prince au-contraire rappelloit à lui seul toute l’autorité qu’il eut dû partager avec le sénat & l’assemblée du peuple. Il fit la guerre à ceux de Comerin, de Fidene, & à ceux de Veïe, petite ville comprise entre les cinquante-trois peuples que Pline dit qui habitoient l’ancien Latium, mais qui étoient si peu considérables, qu’à peine avoient-ils un nom dans le tems même qu’ils subsistoient, si on en excepte Veïe, ville célebre de la Toscane. Romulus vainquit ces peuples les uns après les autres, prit leurs villes, en ruina quelques-unes, s’empara d’une partie du territoire des autres, dont il disposa depuis de sa seule autorité. Le sénat en fut offensé, & il souffroit impatiemment que le gouvernement se tournât en pure monarchie. Il se défit d’un prince qui devenoit trop absolu. Romulus âgée de cinquante-cinq ans, & après trente-sept années de regne, disparut, sans qu’on ait pû découvrir de quelle maniere on l’avoit fait périr. Le sénat, qui ne vouloit pas qu’on crût qu’il y eût contribué, lui dressa des autels après sa mort, & il fit un dieu de celui qu’il n’avoit pû souffrir pour souverain.

Après la mort de Romulus, il s’éleva deux partis dans Rome. Les anciens sénateurs demandoient pour monarque un romain d’origine ; les Sabins qui n’avoient point eu de rois depuis Tatius, en vouloient un de leur nation. Enfin après beaucoup de contestations, ils demeurerent d’accord que les anciens sénateurs nommeroient le roi de Rome, mais qu’ils seroient obligés de le choisir parmi les Sabins. Leur choix tomba sur un sabin de la ville de Cures, mais qui demeuroit à la campagne. Il s’appelloit Numa Pompilius, homme de bien, sage, modéré, équitable, & qui ne cherchant point à se donner de la considération par des conquêtes, se distingua par des vertus pacifiques. Il travailla pendant tout son regne, à la faveur d’une longue paix, à tourner les esprits du côté de la religion, & à inspirer aux Romains une