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ze périodes de mille ans chacune. Il créa dans les premiers mille ans, le ciel & la terre ; dans les seconds mille ans, le firmament ; dans les troisiemes, la mer & toutes les eaux ; dans les quatriemes, le soleil, la lune & les autres astres qui éclairent le ciel ; dans les cinquiemes, les oiseaux, les insectes, les reptiles, les quadrupedes, & tout ce qui vit dans l’air, dans les eaux & sur la terre. Le monde avoit six milles ans, que l’homme n’étoit pas encore. L’espece humaine subsistera jusqu’à la fin de la derniere période ; c’est alors que les tems seront consommés.

Les périodes de la création des étrusques correspondent exactement aux jours de la création de Moïse.

Il arriva sous Marius un phénomene étonnant. On entendit dans le ciel le son d’une trompette, aiguë & lugubre ; & les augures Etrusques consultés en inférerent le passage d’une période du monde à une autre, & quelque changement marqué dans la race des hommes.

Les divinités d’Isis & d’Osiris ont-elles été ignorées ou connues des Etrusques ? c’est une question que nous laissons à discuter aux érudits.

Les premiers Romains ont emprunté sans doute, des Sabins, des Etrusques, & des peuples circonvoisins, le peu d’idées raisonnables qu’ils ont eues ; mais qu’étoit-ce que la philosophie d’une poignée de brigands, réfugiés entre des collines, d’où ils ne s’échappoient par intervalles, que pour porter le fer, le feu, la terreur & le ravage chez les peuples malheureux qui les entouroient ? Romulus les renferma dans des murs qui furent arrosés du sang de son frere, Numa tourna leurs regards vers le ciel, & il en fit descendre les lois. Il éleva des autels ; il institua des danses, des jours de solemnité & des sacrifices. Il connut l’effet des prodiges sur l’esprit des peuples, & il en opéra ; il se retira dans les lieux écartés & déserts ; conféra avec les nymphes ; il eut des révélations ; il alluma le feu sacré ; il en confia le soin à des vestales ; il étudia le cours des astres, & il en tira la mesure des tems. Il tempéra les ames féroces de ses sujets par des exhortations, des institutions politiques & des cérémonies religieuses. Il éleva sa tête entre les dieux pour tenir les hommes prosternés à ses piés ; il se donna un caractere auguste, en alliant le rôle de pontife à celui de roi. Il immola les coupables avec le fer sacré dont il égorgeoit les victimes. Il écrivit, mais il voulut que ses livres fussent déposés avec son corps dans le tombeau, ce qui fut exécuté. Il y avoit cinq cens ans qu’ils y étoient, lorsque dans une longue inondation, la violence des eaux sépara les pierres du tombeau de Numa, & offrit au prêteur Petilius les volumes de ce législateur. On les lut ; on ne crut pas devoir en permettre la connoissance à la multitude, & on les brûla.

Numa disparoît d’entre les Romains ; Tullus Hostilius lui succede. Les brigandages recommencent. Toute idée de police & de religion s’éteint au milieu des armes, & la barbarie renaît. Ceux qui commandent n’échappent à l’indocile férocité des peuples, qu’en la tournant contre les nations voisines ; & les premiers rois cherchent leur sécurité dans la même politique que les derniers consuls. Quelle différence d’une contrée à une autre contrée ? A peine les Athéniens & les Grecs en général ont-ils été arrachés des cavernes & rassemblés en société, qu’on voit fleurir au milieu d’eux les Sciences & les Arts, & les progrès de l’esprit humain s’étendre de tous côtés, comme un grand incendie pendant la nuit, qui embrase & éclaire la nation, & qui attire l’attention des peuples circonvoisins. Les Romains au contraire restent abrutis jusqu’au tems où l’académicien Carnéade, le stoïcien Diogène, & le peripatéticien Critolaüs viennent solliciter au sénat la remise de la som-

me d’argent à laquelle leurs compatriotes avoient été

condamnés pour le dégât de la ville d’Orope. Publius Scipion, Nafica & Marius Marcellus étoient alors consuls, & Aulus-Albinus exerçoit la préture.

Ce fut un événement que l’apparition dans Rome des trois philosophes d’Athènes. On accourut pour les entendre. On distingua dans la foule, Lelius, Furius & Scipion, celui qui fut dans la suite surnommé l’Africain. La lumiere alloit prendre, lorsque Caton l’ancien, homme superstitieusement attaché à la grossiereté des premiers tems, & en qui les infirmités de la vieillesse augmentoient encore une mauvaise humeur naturelle, pressa la conclusion de l’affaire d’Orope, & fit congédier les ambassadeurs.

On enjoignit peu de tems après au préteur Pomponius, de veiller à ce qu’il n’y eût ni école, ni philosophe dans Rome, & l’on publia contre les rhéteurs ce fameux decret qu’Aulugelle nous a conservé ; il est conçu en ces termes : Sur la dénonciation qui nous a été faite, qu’il y avoit parmi nous des hommes qui accréditoient un nouveau genre de discipline ; qu’ils tenoient des écoles où la jeunesse romaine s’assembloit ; qu’ils se donnoient le titre de rhéteurs latins, & que nos enfans perdoient le tems à les entendre : nous avons pensé que nos ancêtres instruisoient eux-mêmes leurs enfans & qu’ils avoient pourvû aux écoles, où ils avoient jugé convenable qu’on les enseignât ; que ces nouveaux établissemens étoient contre les mœurs & les usages des premiers tems ; qu’ils étoient mauvais & qu’ils devoient nous déplaire ; en conséquence nous avons conclu à ce qu’il fût déclaré, & à ceux qui tenoient ces écoles nouvelles, & à ceux qui s’y rendent, qu’ils faisoient une chose qui nous déplaisoit.

Ceux qui souscrivirent à ce decret étoient bien éloignés de soupçonner qu’un jour les ouvrages de Ciceron, le poëme de Lucrece, les comédies de Plaute & de Térence, les vers d’Horace & de Virgile, les élégies de Tibulle, les madrigaux de Catulle, l’histoire de Saluste, de Tite-Live & de Tacite, les fables de Phedre, feroient plus d’honneur au nom romain que toutes ses conquêtes, & que la postérité ne pourroit arracher ses yeux remplis d’admiration de dessus les pages sacrées de ses auteurs, tandis qu’elle les détourneroit avec horreur de l’inscription de Pompée, après avoir égorgé trois millions d’hommes. Que reste-t-il de toute cette énorme grandeur de Rome ? La mémoire de quelques actions vertueuses, & quelques lignes d’une écriture immortelle pour distraire d’une longue suite d’atrocités.

L’éloquence pouvoit tout dans Athènes. Les hommes rustiques & grossiers qui commandoient dans Rome, craignirent que bientôt elle n’y exerçât le même despotisme. Il leur étoit bien plus facile de chasser les Philosophes, que de le devenir. Mais la premiere impression étoit faite, & ce fut inutilement que l’on renouvella quelquefois le decret de proscription. La jeunesse se porta avec d’autant plus de fureur à l’étude, qu’elle étoit défendue. Les tems montrerent que Caton & les peres conscripts qui avoient opiné après lui, avoient manqué doublement de jugement. Ils passerent ; & les jeunes gens qui s’étoient instruits secrétement, leur succéderent aux premieres fonctions de la république, & furent des protecteurs déclarés de la science. La conquête de la Grece acheva l’ouvrage. Les Romains devinrent les disciples de ceux dont ils s’étoient rendus les maîtres par la force des armes, & ils rapporterent sur leurs fronts le laurier de Bellone entrelacé de celui d’Apollon. Alexandre mettoit Homere sous son oreiller ; Scipion y mit Xénéphon. Ils gouterent particulierement l’austérité stoïcienne. Ils connurent successivement l’Epicuréisme, le Platonisme, le Pythagorisme, le Cynisme, l’Aristotélisme, & la Philosophie eut des sectateurs