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sa mort. Ainsi, c’est dans l’intervalle de la vie de ce grand roi & de celle du prétendu Turpin, qu’il faut placer les premieres idées de la chevalerie, & de tous les romans qu’elle a fait composer.

La chevalerie paroit encore avoir tiré son lustre de l’abus des légendes ; le caractere de l’esprit humain avide du merveilleux, en a augmenté la considération ; & les rois l’ont autorisée, en soumettant à quelques especes de formes, d’usages & de lois, des nobles qui enivrés de leur propre valeur, étoient portés à s’ériger en tyrans de leurs propres vassaux.

On ne négligea rien dans ces premiers tems, de ce qui pouvoit inspirer à ces hommes féroces, l’honneur, la justice, la défense de la veuve & de l’orphelin, enfin l’amour des dames. La réunion de tous ces points a produit successivement des usages & des lois qui servirent de frein à ces hommes qui n’en avoient aucun, & que leur indépendance jointe à la plus grande ignorance, rendoit fort à craindre.

Les idées & les ouvrages romanesques passerent de France en Angleterre. Geoffroi de Monmouth paroit être l’original du Brut.

Le roman de Sangreal composé par Robert de Broon est plus chargé d’amour & de galanterie que les précédens ; les idées romanesques gagnerent de plus en plus. C’est ce roman qui donna lieu aux principales avantures de la cour du roi Artus. Ces mêmes ouvrages se multiplierent, & devinrent en grande vogue sous le regne de Philippe le bel, né en 1268, & mort en 1314. Depuis ce tems-là ont paru tous nos autres romans de chevalerie, comme Amadis de Gaule, Palmerin d’Olive, Palmerin d’Angleterre, & tant d’autres, jusqu’au tems de Miguel Cervantès Sauvedra, espagnol.

Il avoit été secrétaire du duc d’Albe, & s’étant retiré à Madrid, il y fut traité sans considération par le duc de Lerme, premier ministre de Philippe III. roi d’Espagne. Alors Cervantes, pour se venger de ce ministre qui méprisoit les gens de lettres, & qui tranchoit du héros chevalier, composa le roman de dom Quichotte, ouvrage admirable, & satyre très-fine de toute la noblesse espagnole qui étoit alors entêtée de chevalerie. Il publia le premiere partie de ce roman ingénieux en 1605, la seconde en 1615, & mourut fort pauvre vers l’an 1620 ; mais sa reputation ne mourra jamais.

L’abolissement des tournois, les guerres civiles & étrangeres, la défense des combats singuliers, l’extinction de la magie, du sort & des enchantemens, le juste mépris des légendes, en un mot, une nouvelle face que prit la France & l’Europe sous le regne de Louis XIV. changea la bravoure & la galanterie romanesque dans une galanterie plus spirituelle & plus tranquille. On vint à ne plus goûter les faits inimitables d’Amadis.

Tant de châteaux forcés, de géans pourfendus,
De chevaliers occis, d’enchanteurs confondus

On se livra aux charmes des descriptions propres à inspirer la volupté de l’amour, à ces mouvemens heureux & paisibles, autrefois dépeints dans les romans grecs du moyen âge ; aux douceurs d’aimer ou d’être aimé, en un mot, à tous ces tendres sentimens qui sont décrits dans l’astrée de M. d’Urfé.

où dans un doux repos
L’amour occupe seul de plus charmans héros

Enfin l’on a vu paroître dernierement dans ce royaume un nouveau genre de galanterie hermaphrodite, qui n’est certainement pas flatteuse, ou, pour mieux dire, qui n’est qu’un mensonge peu délicat du plaisir des sens. (D. J.)

ROMANCE, s. f. (Littérat.) vieille historiette écrite en vers simples, faciles & naturels. La naïveté est le caractere principal de la romance. Ce poë-

me se chante ; & la musique françoise, lourde & niaise

est, à ce me semble, très-propre à la romance ; la romance est divisée par stances. M. de Montgrif en a composé un grand nombre. Elles sont toutes d’un goût exquis, & cette seule portion de ses ouvrages suffiroit pour lui faire une réputation bien méritée. Tout le monde sait par cœur la romance d’Alis & d’Alexis. On trouvera dans cette piece des modeles de presque toutes sortes de beautés, par exemple, de récit ;

Conseiller & notaïre
Arrivent tous ;
Le curé fait son ministere,
Ils sont époux.

de description :

En-lui toutes fleurs de jeunesse
Apparoissoient ;
Mais longue barbe, air de tristesse
Les ternissoient.
Si de jeunesse on doit attendre
Beau coloris ;
Pâleur qui marque une ame tendre,
A bien son prix.

de délicatesse & de vérité :

Pour chasser de la souvenance
L’ami secret,
On ressent bien de la souffrance
Pour peu d’effet :
Une si douce fantaisie
Toujours revient
En songeant qu’il faut qu’on l’oublie,
On s’en souvient.

de poésie, de peinture, de force, de pathétique & de rithme :

Depuis cet acte de sa rage,
Tout effrayé,
Dès qu’il fait nuit, il voit l’image
De sa moitié ;
Qui du doigt montrant la blessure
De son beau sein,
Appelle avec un long murmure,
Son assassin.

Il n’y a qu’une oreille faite au rithme de la poésie, & capable de sentir son effet, qui puisse apprécier l’énergie de ce petit vers tout effrayé, qui vient subitement s’interposer entre deux autres de mesure plus longue.

ROMANCHE la, (Géog. mod.) riviere de France, en Dauphiné. Elle a sa source dans les montagnes qui séparent le Briançonnois du Grésivaudan, & elle se jette dans le Drac, un peu au-dessus de Grenoble. (D. J.)

ROMANCIER, s. m. (Gram. & Litt.) auteur qui a composé des romans. On donnoit le même nom aux poëtes du dixieme siecle.

ROMAND le, (Géog. mod.) pays de la Suisse, borné par la Savoie, le Vallais, le pays de Gex & la Franche-Comté. Il est possédé par les Bernois & les Fribourgeois, ou plutôt presque entierement par les Bernois. Sa longueur est d’environ 24 lieues, à compter depuis Genève jusqu’à Morat ; ce qui appartient aux Bernois comprend plus de cent cinquante paroisses, & forme treize bailliages, sans compter ceux d’Orbe & de Grançon, que les Bernois possedent par indivis avec les Fribourgeois. (D. J.)

ROMANE langue, (Hist. des langues.) ou romance, & par quelques-uns romans ou romant ; c’étoit une langue composée de celtique & du latin, mais dans laquelle celle-ci l’emportoit assez pour qu’on