Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/437

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lui, où elle resta jusqu’à ce que le docteur Gluck, ministre de Marienbourg, passant par ce village, & voulant soulager le clerc, dont les revenus étoient fort petits, emmena la jeune fille, la traita comme si elle eût été son enfant ; & son épouse lui trouvant de bonnes inclinations, l’aima de son côté, & l’occupa à des choses proportionnées à son âge. Elle avoit appris à lire chez le clerc de Runghen ; mais elle ne parloit encore que la langue du pays, qui est un dialecte esclavon, quand elle le quitta. Elle apprit chez M. Gluck l’allemand en perfection, & s’occupoit à la lecture à ses heures de loisir.

Un sergent livonien au service de Suede lui fit la cour, & elle consentit à l’épouser, pourvu qu’il obtînt l’aveu de M. Gluck, qui le donna volontiers. Le sergent étoit d’assez bonne famille, avoit quelque bien, & étoit en passe d’être avancé. Le lendemain du mariage, les Russes, sous le commandement du lieutenant général Baur, se rendirent maîtres de Marienbourg.

L’auteur de la vie de Pierre I. rapporte que ce jour même le sergent fut tué sur la breche. Quoi qu’il en soit, le général ayant apperçu Catherine parmi les prisonnieres, remarqua quelque chose dans sa phisionomie qui le frappa ; il lui fit quelques questions sur sa condition, auxquelles elle répondit avec plus d’esprit qu’il n’est ordinaire aux personnes de son ordre. M. Baur lui déclara qu’il auroit soin qu’elle fût bien traitée, & prescrivit à ses gens de la conduire auprès des femmes de sa maison, & de la leur recommander. Dans la suite la voyant fort propre à gouverner un ménage, il lui donna une espece d’autorité sur ses domestiques, dont elle se fit extrèmement aimer par la douceur de son caractere.

Un jour le prince Menzikof, protecteur du général, la vit, demanda qui elle étoit, & en quelle qualité elle le servoit ; le général Baur lui raconta son histoire. Le prince le pria de la lui céder ; le général n’ayant rien à refuser à son altesse, fit appeller Catherine, & lui dit : voilà le prince Menzikof qui a besoin d’une personne telle que vous ; il est en état de vous faire plus de bien que moi, & je vous en veux assez pour vous placer chez lui. Elle répondit par une profonde révérence, qui marquoit sinon son consentement, du moins qu’elle ne croyoit pas avoir le pouvoir de dire non. Le prince Menzikof l’emmena avec lui, & la garda à son service jusqu’en 1703, que le czar en devint tellement épris, qu’il l’épousa. Son premier soin dans son élévation, fut de ne pas oublier ses bienfaiteurs, & en particulier M. Gluck & toute sa famille.

Elle se rendit bien-tôt maîtresse par ses manieres, du cœur de Pierre le grand ; elle le suivit & l’accompagna par-tout, partageant avec lui les fatigues de la guerre, des courses, & des voyages. Quand le czar se trouva enfermé en 1712 par l’armée des Turcs sur les bords de la riviere de Pruth, la czarine envoya négocier avec le grand-visir, & lui fit entrevoir une grosse somme d’argent pour récompense ; le ministre turc se laissa tenter, & la prudence du czar acheva le reste. En mémoire de cet événement, il voulut que la czarine instituât l’ordre de sainte Catherine, dont elle seroit le chef, & où il n’entreroit que des femmes.

Pierre I. mourut le 28 Janvier 1725, âgé de 53 ans, & laissa l’empire à son épouse qui fut reconnue par tous les ordres de l’état, souveraine impératrice de Russie. Cette princesse pendant la vie du czar, savoit l’adoucir, s’opposer à propos aux emportemens de sa colere, ou fléchir sa sévérité. Le prince jouissoit de ce rare bonheur, que le dangereux pouvoir de l’amour sur lui, ce pouvoir qui a deshonoré tant de grands hommes, n’étoit employé qu’à le rendre plus grand, excepté néanmoins lors-

qu’il fit périr Alexis son fils ; événement dans lequel

la czarine Catherine pouvoit avoir quelque chose à se reprocher.

Quoi qu’il en soit, elle fit oublier cet événement tragique, & régna seule après le czar Pierre I. sans recevoir aucun reproche de la bassesse de son extraction. Elle mourut en 1727, & laissa pour successeur par le pouvoir que Pierre lui en avoit laissé, Pierre II. petit-fils d’elle & de Pierre I. Pierre II. étant mort en 1730, Anne, duchesse de Curlande, fille de czar Jean, & grand-tante de Pierre II. lui succéda ; & étant morte en 1740, elle déclara pour son successeur Jean de Brunswic, petit-fils de sa sœur, âgé de trois mois, sous la régence d’Elisabeth de Meckelbourg, femme du duc de Brunswic sa niece, mere de Jean de Brunswic. Ainsi l’empire se perpétuoit dans la branche aînée d’Alexis ; mais cette régence ne dura guere, & en 1741 Elisabeth & son fils, furent dépossédés par Elisabeth Pétrowna, seconde fille de Pierre le grand.

Cette princesse a déclaré pour son successeur Charles-Pierre Ulric, duc de Holstein-Gottorp, fils de sa sœur, né en 1728, qu’elle a fait nommer grand duc de Russie en 1742. Ce Charles-Pierre Ulric avoit été appellé à la monarchie par la Suede à la mort du prince de Hesse mort sans enfans d’Ulric, sœur cadette de Charles XII. mais quand la couronne de Suede vint à vaquer, Charles avoit déja été déclaré héritier de l’empire aux droits de sa mere, fille aînée du czar, & avoit fait profession de la religion grecque. Il a épousé Catherine Alexiewna d’Anhalt-Zerbst, & regne actuellement (1761) ; mais, comme dit Leibnitz, le tems présent est gros de l’avenir. (Le chevalier de Jaucourt.)

RUNIQUES ou RUNES, Caracteres, (Hist. ancienne & Balles-lettres.) c’est ainsi qu’on nomme des caracteres très-différens de tous ceux qui nous sont connus dans une langue que l’on croit être la celtique, que l’on trouve gravés sur des rochers, sur des pierres, & sur des bâtons de bois, qui se rencontrent dans les pays septentrionaux de l’Europe, c’est-à-dire, en Dannemark, en Suede, en Norwege, & même dans la partie la plus septentrionale de la Tartarie.

Le mot rune ou runor, vient, dit-on, d’un mot de l’ancienne langue gothique, qui signifie couper, tailler. Quelques savans croient que les caracteres runiques n’ont été connus dans le nord, que lorsque la lumiere de l’Evangile fut portée aux peuples qui habitoient ces contrées ; il y en a même qui croient que les runes ne sont que les caracteres romains mal tracés. L’histoire romaine nous apprend que sous le regne de l’empereur Valens, un évêque des Goths établis dans la Thrace & la Mésie, nommé Ulphilas, traduisit la bible en langue gothique, & l’écrivit en caracteres runiques ; cela a fait que quelques-uns ont cru que c’étoit cet évêque qui avoit été l’inventeur de ces caracteres. Mais M. Mallet présume que Ulphilas n’a fait qu’ajouter quelques nouveaux caracteres à l’alphabet runique, déja connu des Goths ; cet alphabet n’étoit composé que de seize lettres ; par conséquent il ne pouvoit rendre plusieurs sons étrangers à la langue gothique qui devoient se trouver dans l’ouvrage d’Ulphilas. Il est certain, suivant la remarque du même auteur, que toutes les chroniques & les poésies du nord s’accordent à attribuer aux runes une antiquité très-reculée ; suivant ces monumens, c’est Odin le conquérant, le législateur, & le dieu de ces peuples septentrionaux, qui leur donna ces caracteres qu’il avoit vraissemblablement apportés de la Scythie sa patrie ; aussi trouve-t-on parmi les titres de ce dieu celui d’inventeur des runes. D’ailleurs on a plusieurs monumens qui prouvent que des rois payens du nord ont fait usage des runes ;