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ment soluble par ces deux menstrues, & n’est point miscible au menstrue huileux.

Enfin le safran contient une matiere fixe, qui est également soluble par l’esprit-de-vin & par l’eau ; ensorte que l’extrait de safran peut également s’obtenir par l’application convenable de l’un ou de l’autre de ces menstrues.

M. Cartheuser observe que le safran ne donne point d’huile essentielle ; ou du-moins qu’il n’a jamais retiré un pareil principe du safran ; car quant à ce que cet auteur ajoute, que si on le distille en une quantité considérable, celle d’une livre par exemple, on pourra obtenir jusqu’à une dragme & demie d’huile essentielle très-aromatique & très-pénétrante ; il ne rapporte ce fait que sur un témoignage d’autrui, sur un oui-dire.

Selon le même auteur, une once de bon safran donne environ six gros & demi de cette matiere également soluble par l’esprit-de-vin & par l’eau dont nous avons déja parlé, & qui est d’une nature véritablement singuliere, ayant, lorsqu’elle n’est rapprochée qu’en consistence médiocrement épaisse, l’aspect d’une huile très-rouge, une odeur très-pénétrante, une saveur amere aromatique très-vive, & étant capable d’être entierement redissoute, non-seulement dans l’eau & dans l’esprit de-vin, mais même dans l’huile, s’il en faut croire Boerhaave. C’est principalement cette miscibilité à l’huile qui, si elle est réelle, constitue la véritable singularité de cette substance ; ensorte que Boerhaave, qui est prodigieusement enclin à voir dans tous les produits & les phénomenes chimiques, des merveilles, des nouveautés, des prodiges, est pardonnable d’avoir trouvé cet extrait de safran, prorsus singulare quid, quoiqu’il eût bien pû se passer de commenter cette assertion en observant que cet extrait n’étoit ni une huile, ni un esprit, ni une gomme, ni une résine, ni une gomme résine, ni une cire, ni un baume.

Le safran est employé dans les cuisines à titre d’assaisonnement, chez quelques peuples de l’Europe, fort peu en France, du-moins dans les bonnes tables ; mais il est généralement employé comme remede. Il est même placé à ce titre dans le rang le plus distingué. Il est célébré du consentement unanime des Médecins, comme un remede des plus précieux, des plus efficaces, une panacée, ou remede universel. Il a été appellé or végétal, aromate des Philosophes. Boerhaave croit qu’il est le véritable aroph de Paracelse ; ce dernier mot n’est que l’abréviation d’aroma philosophorum.

Les qualités du safran plus reconnues, & pour lesquelles il est plus communément employé, sont les qualités cordiales, stomachiques, utérines, antispasmodiques, apéritives, pectorales, anodines, cicatrisantes.

On le mêle très-communément dans les opiates & les autres compositions cordiales, stomachiques, & sur-tout dans les emmenagogues & hystériques. On l’a souvent mêlé à l’opium, soit dans des compositions officinales, soit dans les prescriptions magistrales. Geoffroi doute si cette addition modere l’effet de l’opium, ou si elle l’augmente.

Entre autres vertus attribuées au safran, mais beaucoup moins constatées que celles dont nous venons de parler, on doit compter sa qualité pectorale, sa vertu spécifique contre la jaunisse, sa qualité lytontriptique, & sa vertu alexipharmaque.

La vertu emmenagogue & hystérique du safran nous paroît aussi beaucoup mieux prouvée par l’observation que par l’expérience d’Amatus Lusitanus, qui rapporte qu’une femme ayant pris pendant sa grossesse un médicament qui contenoit du safran, accoucha de deux filles teintes de couleur jaune ; & par celle de J. F. Hertode, qui rapporte dans sa cro-

cologie, qu’ayant mêlé pendant quelque tems du safran dans les alimens dont il nourrissoit une chienne

pleine, il trouva la liqueur de l’amnios & la peau des petits chiens teinte de jaune, tandis que le chyle contenu dans les veines lactées avoit sa couleur blanche ordinaire ; circonstance que M. Cartheuser trouve digne de remarque, & qui prouveroit en effet que le safran a une certaine tendance vers la matrice, si cette expérience étoit réitérée & suffisamment retournée ; car unique & isolée comme elle est, elle ne prouve certainement rien, & ne produit pas même une forte présomption.

Le safran est employé extérieurement comme fortifiant, tonique, résolutif, détersif, on le mêle assez communément au cataplasme de mica panis que l’on veut animer. Il est fort usité dans les collyres, & surtout dans ceux qu’on emploie comme préservatifs dans la petite vérole & la rougeole.

Les qualités pernicieuses du safran n’ont pas été moins observées, ni peut-être moins exagérées que ses vertus. Ce qu’on a dit de plus sage, c’est qu’il falloit n’user de ce remede que modérément & à propos ; car cette circonspection est nécessaire dans l’administration de tous les remedes actifs & véritablement efficaces. Sa dose a été fixée pour l’usage intérieur à un scrupule, ou tout au plus à un demi-grès en substance, & celle de sa teinture & de son extrait à proportion. Une plus haute dose a été regardée de tous les tems par les plus graves auteurs comme mortelle.

L’odeur du safran est généralement reconnue pour narcotique & enyvrante. Mille observations, soit écrites, soit répandues par tradition, prouvent que des personnes qui avoient respiré cette odeur très-concentrée, qui ont été enfermées par exemple, dans des magasins ou il y avoit une grande quantité de safran, qui se sont couchées sur une balle de safran, &c. que ces personnes, dis-je, ont contracté des maux de tête très-graves, quelquefois même incurables, ont eu l’esprit troublé, ont été attaquées d’un ris excessif & involontaire, & même sont mortes. Cette vertu singuliere de produire le ris a été aussi attribuée à son usage intérieur, & elle a été mise au nombre de ses propriétés salutaires, pourvû qu’on la contînt dans de justes bornes par une administration ménagée. Boerhaave s’en explique ainsi : moderato usu verum exhibet exhilarans. C’est dommage que cette qualité ne soit pas mieux constatée. Les expériences qui conduiroient à une vraie conviction n’ont certainement rien de rebutant.

Le safran est employé dans un très-grand nombre de préparations officinales, tant destinées à l’usage intérieur qu’à l’usage extérieur ; il est sur-tout un des principaux ingrédiens de l’élixir de propriété de Paracelse, de l’élixir de Garrhus, & des pilules de Rufus. Nous citons ces remedes par préférence, parce qu’étant très-peu composés, l’efficacité du safran y est plus sensible & plus réelle. Voyez ces articles.

Le safran donne son nom à un emplâtre, savoir l’emplâtre occicroceum, que nous avons décrit à l’article Emplatre. Voyez cet article. (b)

Safran batard, (Botanique.) κνίκος par les anciens, kartan par les Arabes, & carthamus par les Latins ; c’est cette espece de safran nommé carthamus officinalis, flore croceo, I. R. H. 457. Cnicus sativus, sive carthanum, C. B. P. 378.

La tige de cette plante est haute d’une coudée & demi, cylindrique, ferme, branchue garnie, de feuilles alternes, & en grand nombre, longues de deux pouces, larges de huit lignes, arrondies à leur base, & embrassant la tige, terminée en pointe aiguë, garnies de côtes & de nervures, lisses, & ayant à leur bord de petites épines un peu roides. Les fleurs naissent en maniere de tête à l’extrémité des rameaux. Leur ca-