Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/505

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cle vraiment philosophique. On voit dans la suite des tems les mêmes opinions tomber & renaître tour-à-tour, se faire place mutuellement, & accuser par cette révolution, le peu d’étendue & de certitude des connoissances humaines. La vérité trop difficile à saisir, ne présente le plus souvent qu’un de ses côtés ; elle voile les autres, & ne marche jamais sans l’erreur qui vient au-devant des hommes, pendant que celle là semble les éviter. Toutes les anciennes disputes sur le choix des veines, la quantité de sang qu’on devoit tirer, les cas où on devoit saigner, revinrent & repasserent dans l’espace de 30 ans, par les mains des plus savans médecins françois & étrangers. Celui qui y joua un des principaux rôles, fut M. Hecquet. Une thèse à laquelle il présida en 1704, dans laquelle il soutenoit que la saignée remédie au défaut de la transpiration insensible, fut le principe de la querelle. M. Andry en rendit compte dans le journal des savans, d’une maniere ironique, à laquelle le premier repliqua. Il le fit d’une maniere si aigre & si vive, qu’il ne put obtenir la permission de faire imprimer son ouvrage. Ce fut secrétement qu’il parut, sous le titre d’explication physique & méchanique des effets de la saignée, & de la boisson dans la cure des maladies ; avec une réponse aux mauvaises plaisanteries que le journaliste de Paris a faites sur cette explication de la saignée. Il donna en même tems au public une traduction de sa thèse. M. Andry dupliqua en 1710, par des remarques de médecine sur différens sujets ; spécialement sur ce qui regarde la saignée, la purgation & la boisson. Par ce dernier ouvrage la querelle resta éteinte.

Il n’avoit été question entre MM. Hecquet & Andry, que des cas où on devoit pratiquer la saignée ; le premier excita une nouvelle dispute avec M. Sylva. Ils aimoient trop tous les deux à verser du sang, pour être en différend sur la quantité ; ils combattirent sur le choix des veines. M. Hecquet publia en 1724, ses observations sur la saignée du pié, qu’il désapprouvoit au commencement de la petite vérole, des fievres malignes, & des autres grandes maladies. M. Sylva voulant justifier cette pratique, & expliquer la doctrine de la dérivation & de la révulsion, entendues à sa maniere, donna en 1727, son grand traité sur l’usage des saignées, muni des approbations les plus respectables. Le premier volume est dogmatique ; l’auteur y développe son système, & combat celui de M. Bianchi, qui huit années auparavant, avoit soutenu dans une lettre adressée à M. Bimi, sur les obstacles que le sang trouve dans son cours : 1°. que la circulation du sang étant empêchée dans une partie, toute la masse s’en ressent : 2°. qu’on doit saigner dans la partie la plus éloignée du mal, à-moins qu’il ne soit avantageux d’y exciter une inflammation plus forte ; ce qui excuse & explique le bon effet des saignées locales. L’autorité d’Hippocrate mal entendue, & de Tulpius, une pratique vague, l’expression des propositions précédentes, étoient les preuves dont M. Bianchi se servoit. M. Sylva se montra par-tout un partisan zélé de la saignée du pié, un ennemi déclaré des saignées faites sur la partie malade, qu’il appelle dérivatives. Forcé de convenir des avantages de la saignée de la jugulaire, il fit les plus grands efforts pour la faire quadrer avec ses calculs. Son second volume répond à M. Hecquet, qui vivement attaqué, fit à son tour imprimer trois années après, son Traité de la digestion, dont le discours préliminaire & trois lettres, servent à défendre son sentiment. Il composa dans sa retraite, une apologie de la saignée dans les maladies des yeux, & celles des vieillards, des femmes & des enfans. Il s’éleva de nouveau contre la saignée du pié, dans son Brigandage de la Médecine. Il n’étoit pas homme à revenir de ses idées ; il les soutenoit dans sa médecine naturelle,

qu’on imprimoit en 1736, lorsqu’il fut lui-même la dupe de son goût, nous dirions volontiers de sa fureur pour la saignée. On ne peut voir sans étonnement, qu’un homme de 76 ans, cassé, affoibli par les travaux du corps & de l’esprit, autant que par une longue & pieuse abstinence, ayant des éblouissemens, dont sa foiblesse nous paroît avoir été la cause, fût saigné quatre fois, & notamment quatre heures avant sa mort, dans une maladie d’un mois.

Pour en revenir à M. Sylva, nous dirons que s’il trouva des partisans dans M. Winslou, plusieurs autres membres célebres de la faculté de Paris, & quelques médecins étrangers, M. Hecquet ne fut pas le seul à s’élever contre lui. M. Chevalier, dans ses Recherches sur la saignée ; M. Sénac, dans ses lettres sur le choix des saignées, qu’il donna sous le nom de Julien Morisson ; dans les essais physiques, qu’il a ajoutés à l’anatomie d’Heister, & dans son Traité du cœur ; M. Quesnay, dans son excellent ouvrage sur les effets & l’usage de la saignée, qu’il publia d’abord en 1730, sous le titre d’observations ; M. Buttler, dans l’essai sur la saignée, imprimé en anglois ; ainsi que la théorie & pratique de M. Langrish ; M. Martin, dans son Traité de la Phlébotomie & de l’Artériotomie ; M. Jackson, dans sa Théorie de la Phlébotomie, le combattirent dans tous les points de sa doctrine. M. Œder prouva en 1749, dans une thèse inaugurale, que le sang qui acquiert plus de vitesse dans le vaisseau ouvert, entraîne dans son mouvement celui des vaisseaux voisins, d’autant plus fortement, qu’ils sont plus près de lui ; ce qui est directement opposé au sentiment de Bellini & de ses sectateurs. M. Hamberger prétendit que les expériences qu’il avoit faites avec un tube, auquel il avoit donné à-peu-près la forme de l’aorte, démontroient la fausseté de la dérivation & de la révulsion. D’où il concluoit que le choix des veines étoit indifférent, & que l’effet des saignées se bornoit à l’évacuation. Il renouvella par-là les opinions de Nicolas Florentin, Botal, Pétronius, Pechlin & Bohnius. M. Wats se joignit aux adversaires de M. Sylva, dans son Traité de la dérivation & de la révulsion, imprimé en anglois. M. de Haller a publié en 1756, un recueil d’expériences sur les effets de la saignée, qui confirment (comme nous l’avons dit), celles de de Heyde, qui contredisent en plusieurs points celles de M. Hamberger, les calculs de M M. Hecquet, Sylva, &c. Nous appuierons nos idées sur l’effet de la saignée, par ces expériences mêmes, qui portent avec elles toute l’autorité dont elles ont jamais pu être revêtues.

M. Tralles écrivit en 1735, sur la saignée à la jugulaire & à l’artere temporale, dont il rendit les avantages évidens. Il s’appuya par un post-scriptum, du sentiment de M. Sylva, quoiqu’il en désapprouvât les calculs, & plusieurs des conséquences qui excluoient l’Artériotomie.

M. Kloekof examina dans une dissertation, imprimée en 1747, cette question intéressante : quel doit être le terme de la saignée dans les fievres aiguës. Quoique le plus grand nombre des médecins, dont il rapporte les maximes, l’interdise en général après le trois, quatre ou cinquieme jour ; il conclut cependant avec raison, muni de leurs suffrages mêmes, qu’il est des cas (rares à la vérité), où on peut la pratiquer le dixieme jour.

Un anonyme a publié en 1759, un ouvrage sur l’abus de la saignée, auquel on doit des éloges. S’appuyant sur l’autorité des grands maîtres, il réduit l’usage de ce remede dans les bornes où l’ont maintenu le plus grand nombre de ceux dont la gloire a couronné les succès.

Il est tems que nous rendions compte de la doctrine des trois grandes lumieres de ce siecle : Stahl, Hoffman & Boerhaave. Aucun d’eux n’a traité ex