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plus essentiel de déterminer les cas où on devoit tirer du sang, & jusqu’à quel point.

L’ouvrage de Botal donna l’allarme à ce sujet. Il poussa dans son traité de curatione per sanguinis missionem, imprimé pour la premiere fois en 1582, l’abus de la saignée à un excès qu’on ne peut se persuader. En voulant trop prouver, il ne prouva qu’une chose, c’est que l’esprit & l’éloquence peuvent en imposer à ceux, qui destitués de l’expérience, ne font pas un usage assez grand de leur raison. Il avança que dans la cacochymie, l’hydropisie, les fievres quartes invétérées, les indigestions, les diarrhées, les suppurations intérieures, &c. la saignée étoit le grand remede. Il osa s’étayer des passages d’Hippocrate tronqués, choisis dans ses œuvres supposées. Il comparoit les veines à un puits, dont l’eau étoit d’autant meilleure, qu’elle étoit plus souvent renouvellée. Bonaventure Grangier, médecin de la faculté de Paris, s’éleva avec un grand succès contre Botal. Cette faculté le condamna authentiquement, lorsque son traité parut ; & cependant il l’entraîna après sa mort dans la plus grande partie de ses idées. Elle oublia les lois qu’Hippocrate, que Celse, Galien même, &c. avoient établies, auxquels les Fernel, les Houllier, les Duret s’étoient soumis (Ce dernier disoit familierement qu’il étoit petit seigneur). On la pratiqua avec une fureur qui n’est pas encore éteinte, contre laquelle on a vû successivement s’élever de bons ouvrages, & faire des efforts impuissans. La saignée qu’on n’osoit faire, au rapport de Pasquier, une seule fois qu’avec de grandes circonspections, fut prodiguée. La saine partie a su conserver ce milieu qui est le siége de la vérité ; mais plusieurs ont resté entraînés par le préjugé & le mauvais exemple.

La découverte de la circulation du sang, publiée en 1628 par Harvée, sembloit devoir apporter un nouveau jour sur une matiere qui y avoit autant de rapport ; mais elle ne servit qu’à aigrir, qu’à augmenter les disputes. Il y eut de grands débats à ce sujet, au milieu du siecle dernier, qui produisirent une foule d’ouvrages, la plupart trop médiocres pour n’être pas tombés dans l’oubli : on donna des deux côtés dans des excès opposés. Il en fut qui soutinrent qu’on pouvoit perdre le sang comme une liqueur inutile, tel fut Valerius Martinius ; pendant que d’autres, tels que Vanhelmont, Bontekoë, Gehema & Vulpin, prétendoient qu’il n’étoit aucun cas où on dût saigner : thèse renouvellée de nos jours.

Ces excès n’étoient point faits pour entraîner les vrais observateurs ; Sennert, Pison, Riviere, Bonnet, Sydenham, suivirent l’ancienne méthode, & furent modérés ; quoiqu’on puisse reprocher au dernier quelques choses à cet égard, & notamment lorsqu’il conseille la saignée dans l’asthme, les fleurs blanches, la passion hystérique, la diarrhée en général, & spécialement celle qui survient après la rougeole, où il paroît la pratiquer plutôt par routine, que par raison ou par expérience.

On voit avec peine Willis, cet homme de génie fait pour prescrire des lois en Médecine, fait pour découvrir, se soumettre aveuglément aux leçons de Botal, conseiller la saignée contre presque toutes les maladies : fere totam Pathologiam, de phleb. p. 173. Il fut repris vivement peu de tems après sa mort, par Luc-Antoine Portius, qui combattit à Rome, en 1682, ce sentiment des galénistes, trop répandus dans cette ville, par quatre dialogues où il faisoit entrer en lice Erasistrate & Vanhelmon, contre Galien & Willis. Quoique ce genre d’ouvrage soit peu fait pour les savans, par le tas de mots dont on est forcé de noyer les choses, ils méritent d’être lus par ceux en qui la fureur de verser du sang n’a pu être éteinte par l’observation & les malheurs. On y trouve beaucoup de jugement de la part de l’auteur, qui appuie

son sentiment par une apologie de Galien, dans laquelle il excuse ingénieusement ce grand homme, en combattant ses sectateurs avec des armes d’autant plus fortes, qu’il démontre que ceux-ci ont outré la doctrine de leur maître, & d’autant plus raisonnables, qu’il prend pour son principe cette vérité appliquable à tous les moyens de guérison, qu’il vaut beaucoup mieux pécher par défaut que par excès, & que ceux qui s’interdisent absolument la saignée, font une faute bien au-dessous de celle que commettent ceux qui la pratiquent contre tous les maux.

On vit au milieu de ces disputes, s’élever un homme savant, plein de génie, Bellini, qui voulant à l’exemple de Scaliger, appliquer les mathématiques à la Médecine, tomba par des erreurs de calcul, ou des fausses suppositions, dans les paradoxes les plus étranges. Il mit au jour, en 1683, son Traité de la saignée, qui contient onze propositions, avec la réponse & les preuves. Nous ferions tort à l’histoire de la saignée, si nous passions sous silence ces maximes qui ont entraîné le suffrage d’un grand nombre de savans médecins, & donné lieu aux disputes les plus vives.

Le sang, selon Bellini, coule avec plus de rapidité pendant la saignée dans l’artere qui correspond à la veine ouverte, & en s’y portant, ce qu’il appelle dérivation, il quitte les vaisseaux éloignés, ce qu’il nomme révulsion. Après la saignée, la dérivation & la révulsion sont moindres que pendant l’écoulement du sang, & enfin s’évanouissent. On doit saigner dans les inflammations, les rameaux qui ont la communication la plus éloignée avec la partie malade, pour ne point attirer le sang sur celle-ci. La saignée rafraîchit & humecte par l’évacuation qu’elle produit ; elle échauffe & desseche au contraire, lorsqu’elle rend au sang trop géné un mouvement rapide. Elle doit être mise en usage dans toutes les maladies où le sang est trop abondant, où il faut en augmenter la vélocité, rafraîchir, humecter, résoudre les obstructions, ou changer la nature du sang ; la saignée en augmente la vélocité. Il seroit plus avantageux d’ouvrir les arteres, que les veines dans les cas où la saignée est indiquée ; la crainte des accidens doit y faire suppléer par tous les autres moyens que la Médecine a en son pouvoir, tels que les scarifications, les sangsues, les ligatures, &c. les évacuans quelconques peuvent tenir lieu de la saignée. Le tems le plus sûr pour tirer du sang est le déclin de la maladie. On voit dans tout cet ouvrage un grand homme, prévenu de certains sentimens, qu’il soutient avec la vraissemblance que le génie sait donner aux maximes les plus fausses. Quelques erronées que paroissent la plupart de ces propositions, elles ont eu, comme nous l’avons dit, d’illustres défenseurs, parmi lesquels on doit compter Pitcarn, ce célebre médecin, dont il seroit à souhaiter que les élémens de médecine fussent physicopratiques, au lieu d’être physico-mathématiques, il étoit trop lié avec Bellini de cœur & de goût, pour ne pas l’être de sentiment.

De Hey de fut un adversaire redoutable de Bellini, il opposa l’expérience aux calculs, il s’attacha ainsi à combattre sa doctrine par les armes les plus fortes. Le recueil de ses expériences parut trois ans après le traité de ce dernier, c’est-à-dire en 1686, & fut sans réplique. M. de Haller a publié 70 ans après des expériences qui confirment celles de de Heyde.

L’histoire du xviij. siecle présente des faits d’autant plus intéressans, qu’ils sont le terme auquel on est parvenu, que de grands hommes, se faisant gloire de secouer tout préjugé, ont cherché la vérité par l’expérience sur des animaux vivans, l’observation sur les malades, le raisonnement & le calcul ; ce qui n’a point empéché un grand nombre de tomber dans des écarts entierement semblables à ceux des siecles précédens : la circulation des sentimens est un specta-