Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/509

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les contradictions qui ont été publiées à ce sujet. Nous avons vû ce lave-pié guérir dans un quart d’heure, comme par enchantement, un homme robuste, au milieu de son âge, sanguin, accablé par une violente douleur de tête, sans fievre, à qui on avoit tiré, sans le moindre soulagement, une livre de sang du bras ; il lui survint immédiatement après ce lave-pié, une multitude de furoncles aux jambes, l’épiderme de tout le corps se leva par écailles, & le malade fut guéri sans autre remede, sans rechute. Si la saphéne avoit été ouverte, on n’auroit pas manqué d’attribuer à la révulsion un effet aussi prompt & avantageux.

La ligature qu’on applique au col, lorsqu’on veut saigner la jugulaire externe, ne produit dans le cerveau qu’un engorgement léger, insensible, par la facilité que le sang trouve à sortir par la jugulaire externe opposée, & par les internes, parce que les carotides sont presque autant comprimées que ces veines, & parce qu’on n’interrompt jamais entierement le cours du sang dans la veine même qu’on veut ouvrir. Cet engorgement est bien-tôt détruit, & même surabondamment, par l’ouverture de la veine dans laquelle le sang circule alors avec plus de vélocité, sans en être retardé dans les autres veines du cou. La circulation devient donc par-là un peu plus rapide dans le cerveau ; le sang qui monte par les carotides & les vertébrales, rencontrant moins d’obstacles ; cependant la quantité du sang qui monte est encore inférieure à celle qui est évacuée, par l’effet du frottement, de la force d’inertie, & par le tems nécessaire pour que tout se répare, comme nous l’avons déja prouvé. La saignée de la jugulaire diminuera donc plus promptement que celle des autres veines, la pléthore du cerveau, quoiqu’elle y accélere le cours du sang. Cette accélération même sera utile dans quelques occasions pour entrainer le sang épais, colé contre les parois des vaisseaux ; delà naîtront plusieurs avantages qu’on éprouve dans les maladies du cerveau, où il y a des obstacles particuliers à la circulation ; ces obstacles se présentent assez souvent dans les différentes parties du corps : c’est alors que les saignées locales méritent la préférence & réussissent souvent.

La saignée des ranines a été abandonnée par la crainte des hémorrhagies difficiles à arrêter ; celle de la veine frontale, ou préparate, par son peu d’efficacité. On revient rarement à celle des yeux & du nez, par la difficulté d’en ouvrir les veines ; on doit cependant la surmonter dans les maladies de ces parties, où l’épaississement du sang en retarde la circulation, & attend pour être évacué un heureux effort de la nature, qui procurera une hémorrhagie que l’art doit accélérer. C’est sur ce principe que l’ouverture des hémorrhoïdes est avantageuse, lorsqu’elles sont très-douloureuses, enflammées, lorsque leur gonflement est considérable ou ancien.

On sent aisément combien peu de choix les veines du bras mériteroient, si elles étoient d’une égale grosseur, si leur situation mettoit également le chirurgien à l’abri des accidens. On choisira donc la céphalique, la médiane, la basilique, la veine du poignet, la salvatelle, suivant qu’elles réuniront ces deux avantages, pour opérer plus surement, & avec une moindre perte de sang, une défaillance souvent salutaire. On renverra le choix trop scrupuleux des veines aux anciens, dont on excusera les erreurs par l’ignorance dans laquelle ils étoient des lois de la circulation.

Nous avons vû l’artériotomie faite sans ligature, produire conformément aux expériences de de Heyde & de M. de Haller, les mêmes effets que la phlébotomie dans un sujet sain, sans ligature. Ces effets différeront, si l’artere est ouverte avec une ligature ;

dans ce dernier cas la partie, loin d’être engorgée, si la compression ne porte que sur l’artere, sera évidemment moins pleine de sang, puisqu’elle en recevra moins, & qu’une partie de celui qui est contenu dans les veines s’écoulera suivant son cours ordinaire, par l’impulsion qu’il aura déja reçu, par la contraction musculaire, & leur élasticité. Mais cette différence de la phlébotomie à l’artériotomie ne sera, eu égard à l’écoulement du sang, que momentanée, peu considérable ; puisque, comme nous l’avons déja dit, la saignée faite, tout se rétablit dans son cours naturel & proportionné.

La crainte des hémorrhagies, difficiles à arrêter par le défaut d’une compression assez forte, celle des anevrismes, & la profondeur des arteres, empêchent les Médecins de les ouvrir, si ce n’est aux tempes, où la compression est facile. Cette saignée a paru mériter à plusieurs de très-grands éloges. Nous croyons qu’elle est inférieure en tout à celle de la jugulaire ; aussi est elle presque généralement abandonnée.

Nous venons de suivre les principaux effets de la saignée, faite avec ou sans ligature, à l’artere ou à la veine d’un homme sain, par des ouvertures plus grandes que le diametre des vaisseaux, égales ou inférieures. Nous nous flattons de n’avoir suivi que l’expérience & le raisonnement le plus naturel ; il nous reste à examiner ses effets dans les différentes maladies. Pour ne point tomber dans des répétitions ennuyeuses, nous ne nous en occuperons, qu’en parlant de l’usage. Il nous paroît aisé de tirer des principes précédens, les conséquences qui doivent conduire dans la pratique de la médecine. Nous tâcherons de le faire avec aussi peu de préjugés, & de comparer notre théorie avec l’observation-pratique, qui peut seule être notre code, & la pierre de touche propre à décider du vrai ou du faux de notre théorie ; mais pour nous conduire & entraîner notre jugement, l’observation ne doit être, ni vague, ni rare ; elle doit être constante, fixe & décidée ; tâchons de la trouver telle.

Usage de la saignée. Il est peu de remedes dont on fasse un usage aussi grand, que de la saignée ; il en est peu sur lequel les Médecins ayent autant varié, comme nous l’avons fait voir, en traçant le sentiment de ceux même qui se sont le plus illustrés par leur science. Leurs oppositions & leurs erreurs nous font craindre un sort semblable, & de donner dans les écueils qui se présentent de toutes parts sur une mer fameuse en naufrages. Nous essayerons de suppléer par notre bonne foi, au lumieres de la plûpart de ceux qui ont traité ce sujet important.

Pour développer à fond l’usage de la saignée, il faudroit descendre dans le détail de toutes les maladies, & même dans leurs différens états. Ce champ seroit trop vaste : obligés de nous resserrer, nous verrons les maladies sous un autre jour, nous rechercherons ; 1°. les indications de la saignée ; 2°. les contre-indications ; 3°. le tems de la faire ; 4°. le choix du vaisseau ; 5°. la quantité de sang, 6°. le nombre des saignées qu’on doit faire. Mais avant de suivre ces points de vûe ; élevons-nous contre deux abus plus nuisibles à l’humanité, que la saignée faite à propos n’a jamais pû lui être utile, abus d’autant plus répréhensibles, que quoique très-communs, ils ne sont fondés que sur une aveugle routine, hors d’état de rendre raison de ses démarches. Ces abus sont les saignées prophilactiques ou de précaution, & celles qu’on se croit indispensablement obligé de faire précéder les médicamens évacuans.

La plûpart des bonnes femmes & quelques médecins, ignorant les efforts, les ressources de la nature, pour conserver l’économie animale, & en rétablir les dérangemens, se flattent de trouver dans la Médecine des secours d’autant plus efficaces, qu’ils