Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/510

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sont appliqués plus promptement. Parmi ces secours ils donnent le premier rang à la saignée. Croyant voir par-tout un sang vicié ou trop abondant, qu’il faut évacuer au moindre signal, dans la crainte de je ne sais quelles inflammations, putréfactions, &c. ils le versent avec une profusion qui prouve qu’ils sont incapables de soupçonner qu’en enlevant le sang, ils détruisent les forces nécessaires pour conserver la santé, ils donnent lieu à des stases, des obstructions ; au défaut de coction, aux maladies chroniques, & à une vieillesse prématurée. Saigner est, selon eux, une affaire de peu de conséquence, dont tout homme raisonnable peut être juge par sa propre sensation, dont il est difficile qu’il mésarrive. On diroit que réformateurs de la nature, ils lui reprochent sans cesse d’avoir trop rempli leurs vaisseaux de sang. Tant que le saigné par précaution jouit de toutes les forces d’un âge moyen, il s’apperçoit peu de ces fautes ; mais bien-tôt un âge plus avancé l’en fait repentir, & lui interdit un remede qu’il n’auroit peut-être jamais dû mettre en usage sur lui-même. Ces maux sont encore plus évidens dans le bas âge, ou lorsque l’enfant est contenu dans le ventre de sa mere. On ne peut se dissimuler qu’un grand nombre d’enfans dont la santé est foible, doivent leur mauvais état, aux hémorragies, aux saignées ou autres remedes de précaution que leurs meres ont souffert dans leur grossesse ; & cependant une femme du monde croiroit faire tort à sa posterité, si elle ne faisoit pendant ce tems, à la plus légere indisposition ou sans cela, une suite de remedes. Souvent on ne s’apperçoit pas des maux que semblables soins ont produits ; nous croyons même qu’ils ont été utiles & nécessaires : mais il n’est que trop commun de voir un grand nombre de maladies, devenues plus terribles par l’abattement des forces ; & des accouchemens prématurés, par l’enlevement du fluide qui donne le jeu à toute la machine. Et quand il n’y auroit d’autre inconvénient, que celui de faire quelque chose d’inutile & de desagréable, cette raison ne seroit-elle pas suffisante pour en détourner ? Vainement entasseroit-on contre nous une foule d’autorités, nous les recusons toutes ; & de raisonnemens bien plus spécieux que solides, nous en appellons à cette nature, dont tous les Médecins sensés se sont toujours regardés, comme les disciples & les aides, à cette véritable mere, qu’on traite souvent en marâtre. Nous demandons qu’on jette les yeux sur cette multitude de peuples plus robustes que nous, quoiqu’ils habitent pour la plûpart un climat qui ne réunit point les avantages du nôtre ; sur ces hommes, ces femmes du peuple ou de la campagne, d’autant plus heureux, que soustraits à des mains trop souvent ignorantes & quelquefois meurtrieres, ils ne connoissent pour tout préservatif des maladies, que l’instinct, qui redoute plus les saignées, que tous les autres remedes ; pour être convaincus par la comparaison, que l’homme est sorti des mains du Créateur, en état de se conserver en santé, par les seules lumieres du sentiment bien entendu, par les seuls efforts de la nature, & que dans les maladies ils doivent être sans cesse consultés. Enfin, quand même on étendroit l’usage de la médecine plus loin que nous ne pensons qu’on doive le faire, il n’en seroit pas moins vrai que jamais un homme en santé, quels que soient son temperament & sa situation, n’a besoin de saignées pour la conserver. D’ailleurs, c’est ici une affaire d’habitude : il est démontré que les saignées fréquentes sont une des plus grandes causes de la pléthore.

Le second abus se trouve dans les saignées qu’on fait précéder sous le nom de remedes généraux, avec les purgatifs par le bas, les vomitifs, &c. aux remedes particuliers, lorsqu’il n’y a point de contre-in-

dication grave. Abuser ainsi de la facilité qu’on a

d’ouvrir la veine, c’est regarder la saignée comme indifférente, & par conséquent inutile ; c’est du moins être esclave d’une mode si fort opposée à tous les principes de la Médecine, qu’elle est ridicule. Une conduite aussi erronée, fuit tous les raisonnemens, parce qu’elle n’est appuyée sur aucun ; & tout médecin sensé doit rougir d’avouer, qu’il a fait saigner son malade, par cette seule raison qu’il vouloit le faire vomir, le purger, lui faire prendre des sudorifiques, des bouillons, &c. & donner du large, du jeu à ces médicamens. De semblables maximes ne furent pas même enseignées par Botal. Mais les jeunes Médecins, trop dociles à suivre l’aveugle routine de leurs prédécesseurs, qui se sont distingués dans la ville où ils exercent, les copient jusque dans leurs défauts, & s’épargnent la peine de refléchir sur les motifs de leur conduite. Ils se conforment en cela au goût des femmes, qui accoutumées à perdre un sang superflu hors de la grossesse ou de l’allaitement, s’imaginent que la plûpart des maux qui les attaquent, viennent d’une diminution dans cet écoulement, quelquefois plus avantageuse, que nuisible, & le plus souvent, effet de la maladie, au lieu d’en être la cause. Un retour sur les maximes répandues dans tous les ouvrages de Médecine qui ont mérité d’être lûs, & le seul bon sens, détournent d’une méthode meurtriere, qui en affoiblissant les organes, précipite inévitablement, d’un tems plus ou moins long, la vieillesse ou la mort. Mais c’est trop discuter une pratique aussi peu conséquente ; tâchons d’établir sur ses ruines, des principes adoptés par la plus saine partie des Médecins.

Indications de la saignée. Si nous cherchons dans les causes de maladies, les indications de la saignée, nous trouvons que la trop grande abondance de sang, la pléthore générale ou particuliere, & sa consistence trop épaisse, coëneuse, inflammatoire, sont les deux seules qui exigent ce remede. La saignée agit dans le premier cas, par l’évacuation ; dans le second, par la spoliation ; les deux principaux effets qu’elle produit ; la dérivation & la révulsion devant être comptés pour des minimum momentanés, & par conséquent négligés.

Quoique nous n’admettions que ces deux indications générales pour la saignée, nous n’ignorons pas que la foule des Médecins enseigne qu’une vive douleur, l’insomnie, une fievre commençante ou trop forte, un excès de chaleur, les convulsions, les hémorragies, toute inflammation, sont autant d’indications pressantes pour la saignée ; mais nous savons encore mieux, que si les maux doivent être guéris par leurs contraires, la saignée ne convient dans aucun de ces cas ; à moins qu’il n’y ait en même-tems, pléthore ou consistence inflammatoire : qu’elle n’est-là qu’un palliatif dangereux par ses suites, qu’elle est le plus souvent inutile pour les guérir, & que ces différens symptomes doivent être appaisés par les anodins, les narcotiques, les rafraichissans, les relâchans, les astringens, les doux répercussifs & les délayans. Nous croyons que communément on juge mal des efforts de la nature, qu’on les croit excessifs, lorsqu’ils sont proportionnés à l’obstacle, & nous sommes convaincus avec Celse, que ces seuls efforts domptent souvent avec l’abstinence & le repos, de très-grandes maladies, multi magni morbi curantur abstinentiâ & quiete, Cels. après en avoir parcouru tous les tems, & effrayé mal-à-propos les assistans, & le médecin peu accoutumé à observer la marche de la nature, abandonnée à elle-même, sans le secours de la saignée, qui, loin de ralentir le mouvement du sang, l’accélere, à moins qu’on ne fasse tomber le malade en défaillance, ainsi qu’il est aisé de l’appercevoir dans les fievres intermittentes qui