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se changent en continues, ou bien ont des accès plus forts & plus longs, après la saignée. Cette observation sûre & constante, donnera peut-être la solution de ce problème, pourquoi les fievres intermittentes sont-elles beaucoup plus communes à la campagne, qu’à la ville ?

Le plus grand nombre de ceux qui exercent la Médecine, croiroit manquer aux lois les plus respectables, s’il s’abstenoit d’ouvrir la veine, lorsqu’il est appellé au secours d’un malade en qui la fievre se déclare ; & il accuse la maladie des foiblesses de la convalescence, tandis que les évacuations souffertes mal-à-propos n’y ont que trop souvent la plus grande part. Il croit reconnoître, ou du-moins il suppose alors des pléthores fausses, des raréfactions dans le sang. A entendre ces médecins, on croit voir tous les vaisseaux prêts à se rompre par la dilatation que quelques degrés de chaleur de plus peuvent procurer au sang ; & qui, s’ils l’avoient soumise au calcul, n’équivaudroit pas à l’augmentation de masse & de volume, qu’un verre d’eau avalé produiroit. Le rouge animé qui colore presque toujours la peau des fiévreux dans le commencement de leurs maladies, leur sert de preuve. Ils ne voyent pas dans l’intérieur la nature soulevée contre les obstacles & les irritations ; resserrant les vaisseaux intérieurs, & chassant sans aucun danger dans les cutanés un sang qui n’y est trop à l’étroit que pour quelque tems, qui l’est peut-être utilement, & qui sera nécessaire dans la suite de la maladie. Ils oublient que ces efforts sont salutaires, s’ils sont modérés, & que dans peu le sang qu’on croit surabondant, se trouvera être en trop petite quantité. Les hémorragies critiques leur servent de preuve, & ne sont que le principe de l’illusion, parce qu’ils négligent de faire attention, que, pour que les évacuations soient salutaires, il faut qu’elles soient faites dans les lieux & dans les tems convenables ; qu’elles ne doivent pas être estimées par leur quantité, mais par leur qualité ; & qu’enfin les hémorragies surviennent souvent fort heureusement, malgré les saignées répétées.

Tout ce que nous avançons ici, aura l’air paradoxe pour plusieurs, jusqu’à ce qu’ils l’ayent comparé avec la doctrine d’Hippocrate, & encore mieux avec l’observation qui nous doit tous juger.

Après avoir puisé les indications de la saignée dans les causes, cherchons-les dans les symptômes qui annoncent la pléthore & la consistence inflammatoire.

La nourriture abondante & recherchée, le peu d’exercice, auquel les hommes qu’on exclut du peuple, se livrent en général, donnent fréquemment lieu chez eux à la pléthore générale, qu’on reconnoît par la couleur haute des joues & de la peau, les douleurs gravatives de la tête, les éblouissemens, les vertiges, l’assoupissement, la force, la dureté & le gênement du pouls. La pléthore particuliere a pour signes, la tumeur, la rougeur, la douleur gravative, quelquefois pulsative & fixe d’une partie. La consistence inflammatoire doit être soupçonnée toutes les fois qu’avec une douleur fixe, le malade éprouve une fievre aiguë, ce qui nous paroît être un symptome commun à toutes les inflammations extérieures. On n’en doutera plus, si les symptomes sont graves & le sujet pléthorique. Dans ces deux cas, la partie rouge surabonde, la nature, lorsqu’il y a pléthore, se débarrasse de la portion du sang la plus tenue, du serum qui peut plus aisément enfiler les couloirs excréteurs ; pendant que la plus épaisse est continuellement fournie, accrue par les alimens trop nourrissans, trop abondans, ou que faute d’exercice, elle n’est pas décomposée & évacuée.

Lorsque la pléthore est légere, l’abstinence, la nourriture végétale & l’exercice en sont un remede bien préferable à la saignée ; mais parvenue à un certain point, elle exige qu’on diminue subitement la trop grande proportion de la partie rouge avec la sérosité, dans la crainte de voir survenir des hémorrhagies, des stases, des épanchemens mortels ou du-moins dangereux, des anevrismes, des apoplexies & des inflammations se former dans les parties du corps dont les vaisseaux sanguins sont le moins perméables. Cette pléthore exige qu’on tire du sang par une large ouverture ; du bras si elle est générale, de la partie malade si elle est devenue particuliere. Cependant si on ne se précautionne pas contre les retours, en en évitant les causes, on la verra revenir d’autant plus vîte, d’autant plus fréquemment qu’on aura davantage accoutumé le malade à la saignée. La nature se prête à tout, elle suit en général le mouvement qu’on lui imprime. Tirer souvent du sang, c’est lui en demander une réparation plus prompte ; mais qu’on ne s’y trompe pas, il y a toujours à perdre ; la quantité de sang croîtra par la dilatation des orifices, des veines lactées, par une moindre élaboration, par des excrétions diminuées ; ce sang ne sera donc jamais aussi pur qu’il eût été, si on en eût prévenu ou corrigé l’abondance par toute autre voie que par la saignée. Nous appellons à l’expérience de ceux qui ont eu trop de facilité à se soumettre à de fréquentes saignées ; qu’ils disent si le besoin n’a pas crû avec le remede, & si une foiblesse précipitée n’en a pas été la suite, sur-tout si on leur a fait perdre sans pitié un sang trop précieux, dans l’âge où le corps se développoit, où les fibres attendoient l’addition de nouvelles fibres portées par le sang, pour s’écarter & donner de l’accroissement. Ménageons donc une liqueur précieuse à tout âge, mais spécialement dans le plus tendre & dans le plus avancé ; n’ayons recours à la saignée que dans les cas où le mal est inguérissable par tout autre reméde, & dans ceux qui présenteroient trop de danger à tenter d’autres moyens.

Lorsque la fievre se déclare avec la pléthore, ces dangers augmentent ; & on doit alors, dans la crainte des inflammations, des hémorrhagies symptomatiques, &c. qui ne tarderoient pas d’arriver, tirer du sang pour les prévenir. Mais sans pléthore générale ou particuliere, ou sans inflammation, on ne doit faire aucune saignée. C’est une maxime qui nous paroît démontrée par l’observation la plus grossiere des maladies abandonnées à la nature, comparée avec celle des fievres qu’on croit ne pouvoir appaiser qu’en versant le sang, comme si c’étoit une liqueur qui ne peut jamais pécher que par la quantité ; comme si la soustraction de sa plus grande partie, & l’abattement des forces qu’elle procure, étoient des moyens plus sûrs de le dépurer que la coction que la nature fait de sa portion viciée. Nous aurons lieu d’examiner la pléthore particuliere, en parlant du choix des veines : passons aux inflammations.

Il est tellement faux que toute inflammation exige des saignées répétées dans ses différens tems, que sans parler de celles qui sont légeres, superficielles, nous avançons hardiment qu’elles nuisent dans plusieurs qui sont graves & internes, & qu’il en est même dans lesquelles elle est interdite. Si vous refusez de nous en croire ; si vous croyez, qu’abandonnés à une hypothèse, nous en suivons les conséquences sans prendre garde à l’expérience des grands médecins ; consultez les ouvrages de ceux qui n’ont pas été livrés, comme Botal, avec fureur à la saignée ; ouvrez Baillou, praticien aussi sage qu’heureux & éclairé, qui exerçoit la Médecine dans le pays, où la mode & les faux principes ont voulu que la sai-