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employer plus de semence, que quand on laisse 16 pouces entre les rangs ; car il faut que chaque pié de sainfoin ait assez d’espace autour de lui, pour étendre ses racines, & tirer la substance qui lui est nécessaire, sans être incommodé par les piés voisins.

Le sainfoin s’accommode de presque toutes sortes de terres, excepté des marécageuses ; mais il vient mieux dans les bonnes terres que dans les maigres, & il se plaît singulierement dans les terres qui ont beaucoup de fond.

Quoique cette plante ne soit pas délicate, il ne faut pas s’imaginer qu’on soit dispensé de bien labourer la terre où on doit la semer. Au contraire, comme immédiatement après sa germination elle jette quantité de racines en terre, il est bon qu’elle la trouve bien labourée, & le plus profondément qu’il est possible.

On peut semer le sainfoin dans toutes les saisons de l’année ; mais quand on le seme en automne, il y a à craindre qu’il ne soit endommagé par les gelées. Si on le seme l’été, il arrive souvent que la graine reste longtems en terre sans germer ; ou si elle leve, la sécheresse ordinaire dans cette saison, fait languir les jeunes plantes. Ainsi, le mieux est de semer le sainfoin au printems, quand les grandes gelées ne sont plus à craindre.

Nous avons dit qu’il convenoit de semer le sainfoin par rangées, deux à deux, qui soient écartées les unes des autres de 8 pouces, & de laisser 30 ou 32 pouces d’intervalle entre chaque deux rangées ; enfin qu’il convenoit de faire ensorte que dans la longueur des rangées, les piés du sainfoin fussent éloignés les uns des autres de huit pouces. Il seroit difficile de remplir toutes ces vues en grand, sans le secours du nouveau semoir.

On peut encore, au moyen de cet instrument, placer les grains dans le fond des petits sillons qui sont ouverts par les socs du semoir, & ne les recouvrir que de la petite quantité de terre qu’on sait être convenable. Par ce moyen la jeune plante se trouve au fond d’une petite rigole, ce qui est fort avantageux, non-seulement à cause de l’eau qui s’y ramasse ; mais encore, parce que cette rigole se remplissant dans la suite, la plante se trouve rehaussée par de nouvelle terre.

Il ne sera pas nécessaire de labourer tous les intervalles à la fois, mais tantôt les uns, tantôt les autres ; de cette façon l’on ne laboureroit qu’une cinquieme partie de terrein, ensorte que le sainfoin pourra subsister trente ans dans une même terre, ce qui la rendra bien plus propre à recevoir les autres grains qu’on y voudra mettre dans la suite.

Le sainfoin mérite bien qu’on donne des soins à sa culture, car c’est assurément une des plus profitables plantes qu’on puisse cultiver. La luzerne ne peut venir que dans les terres fraîches, humides, & très substantielles. Le trefle ne réussit que dans les bonnes terres : au lieu que le sainfoin s’accommode de toutes sortes de terres ; & quoiqu’il vienne mieux dans les unes que les autres, il subsiste dans les plus mauvaises.

Le sainfoin a cet avantage sur les prés ordinaires, qu’il fournit beaucoup plus d’herbe. Outre cela, on parvient plus fréquemment à le fanner à-propos ; car le pois de brebis, la vesse, la luzerne, le trefle, & même les foins ordinaires, doivent être fauchés, quand ces différentes plantes sont parvenues à leur maturité ; si l’on différoit, on courroit risque de tout perdre : que le tems soit à la pluie ou non, il faut les faucher, au risque de voir l’herbe pourrir sur le champ, si la pluie continue. Il n’en est pas de même du sainfoin ; car on peut le faucher en différens états avec un profit presqu’égal.

1°. On peut faucher le sainfoin avant que les fleurs soient du tout épanouies. Alors on a un fourrage fin qui est admirable pour les bêtes à cornes ; & ces sainfoins fauchés de bonne heure, fournissent un beau regain qui dédommage amplement de ce qu’on a perdu, en ne laissant pas parvenir la plante à toute sa longueur.

M. Tull prétend même que ce fourrage est si bon, qu’on peut se dispenser de donner de l’avoine aux chevaux, quand on leur fournit de cette nourriture. Il assure qu’il a entretenu pendant toute une année un attelage de chevaux en bon état, en ne leur donnant que de ce foin, quoiqu’ils fussent occupés à des travaux pénibles. Il ajoute qu’il a engraissé des moutons avec la même nourriture, plus promptement que ceux qu’on nourrissoit avec du grain. Mais on ne peut avoir de ce bon foin, que quand on le cultive suivant sa méthode : l’autre monte en fleur presqu’au sortir de terre.

2°. Si le tems est disposé à la pluie, on peut différer à faucher le sainfoin quand il est en fleur. Ce fourrage est encore fort bon pour les vaches, mais il faut prendre garde en le fannant de faire tomber la fleur, car les bestiaux en son très-friands, & cette partie qui se détache aisément, les engage à manger le reste.

3°. Si la pluie continue, on peut laisser le sainfoin sur pied, jusqu’à ce qu’il soit entre fleur & graine. Alors la récolte est plus abondante ; non-seulement parce que la plante est parvenue à toute sa grandeur ; mais encore parce que l’herbe étant mieux formée, elle diminue moins en se séchant. Il est vrai que le fourrage n’est pas si délicat ; mais les chevaux s’en accommodent bien, parce qu’ils aiment à trouver sous la dent les graines de sainfoin qui commencent à se former.

4°. Si le tems continue à être à la pluie, plutôt que de s’exposer à voir pourrir sur terre son sainfoin, il vaut mieux le laisser sur pié. Car la graine mûrit & dédommage en bonne partie de la perte du fourrage ; non-seulement parce que cette graine peut se vendre à ceux qui veulent semer du sainfoin, mais encore parce que deux boisseaux de cette graine nourrissent aussi bien les chevaux, que trois boisseaux d’avoine : & généralement tous les bestiaux en sont très-friands, aussi bien que les volailles.

Lorsque la paille de ce sainfoin qui a fourni de la graine a été serrée à-propos, elle peut encore servir de fourrage au gros bétail. Ils la préferent au gros foin de prés-bas, & à la paille du froment ; mais pour qu’ils la mangent bien, il la faut hacher à-peu-près comme on fait la paille en Espagne, ou la battre avec des maillets, comme on fait le jonc marin dans quelques provinces.

Il nous reste à dire quelque chose de la façon de fanner le sainfoin. La faux le range par des especes de bandes, qu’on nomme des ondins, parce qu’on les compare aux ondes qui se forment sur l’eau. Dans le tems de hâle, le dessus des ondins est sec, un ou deux jours après qu’il a été fauché. Lorsqu’il est en cet état, le matin après que la rosée a été dissipée, on retourne les ondins l’un vers l’autre. Cette opération se fait assez vîte, en passant un bâton sous les ondins pour les renverser.

On les renverse l’un vers l’autre, pour que les deux ondins se trouvent sur la partie du champ qui n’a pas été labourée, & pour qu’il y ait moins de foin perdu ; parce que, quand on le ramasse, il suffit de faire passer le rateau, ou pour parler comme les fermiers, le faucher sur les espaces.

Sitôt que les ondins retournés sont secs, on les ramasse avant la rosée du soir en petits meulons, qu’on appelle des oisons, parce qu’étant ainsi disposés, ils ressemblent à un troupeau d’oies répandues dans un