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Cependant il arrive quelque chose d’assez singulier lorsqu’on brûle la salamandre. A peine est-elle sur le feu, qu’elle paroît couverte de ce lait dont nous avons parlé, qui se raréfiant à la chaleur, ne peut plus être contenu dans ses petits réservoirs ; il s’échape de tous côtés, mais en abondance sur la tête, & sur tous les mamelons, & se durcit d’abord, quelquefois en forme de perles.

C’est cet écoulement qui a vraissemblablement donné lieu à la fable de la salamandre ; toutefois il s’en faut beaucoup, que le lait dont il s’agit ici, sorte en assez grande quantité, pour éteindre le moindre feu ; mais il y a eu des tems, où il n’en falloit guere davantage, pour faire un animal incombustible. Ainsi, l’on auroit dû se dispenser de rapporter dans les Transactions philosophiques, n°. 21. & dans l’abrégé de Lowthorp, vol. II. p. 86. la fausse expérience du chevalier Corvini, faite à Rome, sur une salamandre d’Italie, qui se garantit, dit-on, de la violence du feu deux fois de suite ; la seconde fois pendant deux heures, & vécut encore pendant neuf mois depuis ce tems-là. Les ouvrages des sociétés, & sur-tout des sociétés de l’ordre de celles d’Angleterre, doivent avoir pour objet de nous préserver des préjugés, bien loin d’en étendre le cours.

Elle vit au contraire dans l’eau glacée. Non-seulement les salamandres ne vivent pas dans le feu, mais tout au contraire, elles vivent ordinairement, & pendant assez long-tems, dans l’eau qui s’est glacée par le froid. A mesure que l’eau dégele, on les voit expirer plus d’air que d’ordinaire, parce qu’elles en avoient fait une plus grande provision dans leurs poumons, tandis que l’eau se geloit. On dit qu’on a trouvé quelquefois en été dans des morceaux de glaces, tirées des glacieres, des grenouilles qui vivoient encore : on rapporte aussi dans l’histoire de l’acad. des Sciences, année 1719, qu’on a vu dans le tronc bien sec d’un arbre, un crapaud très-vivant, & très-agile. Si ces deux derniers faits, qui sont peut-être faux, se trouvent un jour confirmés, cette propriété seroit commune à ces différens animaux.

Elle subsiste long-tems sans manger. Les salamandres peuvent vivre plus de six mois sans manger, comme M. du Fay l’a expérimenté. Ce n’est pas qu’il eût dessein de les priver d’alimens, pour éprouver leur sobriété, mais il ne savoit de quoi les nourrir. Tout-au-plus elles se sont quelquefois accommodées ou de mouches à demi-mortes, ou de la plante nommée lentille aquatique, ou de ce frai de grenouille, dont naissent ces petits lésards noirs, auxquels on voit pousser les pattes, dans le tems qu’ils ne sont pas plus gros que des lentilles, mais tout cela, elles le prenoient sans avidité, & s’en passoient bien.

Elle change fréquemment de peau. Les salamandres qui sont dans l’eau, de quelqu’âge & de quelqu’espece qu’elles soient, changent de peau tous les quatre ou cinq jours au printems & en été, & environ tous les 15 jours en hiver, ce qui est peut-être une chose particuliere à cet animal ; elles s’aident de leur gueule & de leurs pattes pour se dépouiller, & l’on trouve quelquefois de ces peaux entieres, qui sont très-minces, flottantes sur l’eau. Cette peau étendue sur un verre plan, & vue au microscope, paroît transparente, & toute formée de très-petites écailles.

Il arrive quelquefois aux salamandres un accident particulier ; il leur reste à l’extrémité d’une patte, un bout de l’ancienne peau, dont elles n’ont pu se défaire : ce bout se corrompt, leur pourrit cette patte, qui tombe ensuite, & elle ne s’en porte pas plus mal ; tout indique qu’elles ont la vie très-dure.

Elle a des ouies qui s’effacent au bout d’un certain tems. Dans un certain tems de l’âge d’une salamandre, on lui voit, lorsqu’elle est dans l’eau, deux petits pennaches, deux petites houpes frangées, qui se

tiennent droites, placées des deux côtés de sa tête, précisément comme le sont les ouies des poissons ; & ce sont en effet des ouies, des organes de la respiration ; mais ce qui est très-singulier, au bout de trois semaines, ces organes s’effacent, disparoissent, & n’ont par conséquent plus de fonction. Il semble alors que les salamandres fassent plus d’effort pour sortir de l’eau, qui ne leur est plus si propre, cependant elles y vivent toujours. M. du Fay en a conservé pendant plusieurs mois, après la perte de leur ouies, dans de l’eau où il les avoit mises. Il est vrai qu’elles paroissent aimer mieux la terre, mais peut-être aussi cette nouvelle eau leur convenoit-elle moins que celles où elles étoient nées. Le lésard est le seul animal que l’on sache, qui perde ses ouies de poisson ; mais il les perd pour devenir grenouille, & en se dépouillant d’une enveloppe générale, à laquelle ses ouies étoient attachées ; ce qui est bien différent de la salamandre.

Elle périt si on lui jette du sel sur le corps. Quoiqu’elles aient la vie extrémement dure, on a trouvé le poison qui leur est mortel, c’est du sel en poudre. Wurf bainius l’a dit le premier, & M. du Fay en a vérifié l’expérience. Il n’y a pour les tuer, qu’à leur jetter du sel pulvérisé sur le corps ; on voit assez par les mouvemens qu’elles se donnent, combien elles en sont incommodées ; il sort de toute leur peau, cette liqueur visqueuse, qu’on a cru qui les préservoit du feu, & elles meurent en 3 minutes.

L’histoire naturelle des salamandres demande de nouvelles recherches. La salamandre pourra sans doute fournir encore un grand nombre d’observations, & il y en avoit plusieurs dans les papiers de M. Duverney, trouvés après sa mort, qui n’ont point été imprimées. Nous n’avons touché que quelques-unes des propriétés connues de ce reptile ; mais combien y en a-t-il, qui nous sont inconnues ? Combien de faits qui la concernent, qui méritent d’être approfondis ? Tel est, par exemple, celui de sa génération ; s’il y a des salamandres vivipares, n’y en auroit-il pas aussi d’ovipares ? Des physiciens ont trouvé des petits formés dans leurs corps ; d’autres disent avoir vu des salamandres frayer à la maniere des poissons.

La salamandre a fourni de nouveaux termes inintelligibles à la science hermétique. Au reste, il n’étoit guere possible que la célébrité de cet animal ne vînt à fournir des termes au langage des alchimistes & des chimistes, & c’est ce qui est arrivé. Ainsi, dans la philosophie hermétique, la salamandre qui est conçue & qui vit dans le feu, dénote ou le soufre incombustible, ou la pierre parfaite au rouge, qui sont autant de mots inintelligibles. En chimie, le sang de la salamandre, désigne les vapeurs rouges, qui, dans la distillation de l’esprit de nitre, remplissent le récipient de nuées rouges ; ce sont les parties les plus fixes & le plus fortes de l’esprit ; mais ce terme offre une chimere ; car le nitre ne donne point de vapeurs dans la distillation.

Elle n’a point de vertus médicinales. Entre les médecins qui se sont imaginés que la salamandre n’étoit pas sans quelque vertu médicinale, les uns l’ont mise au nombre des dépilatoires en l’appliquant extérieurement. Les autres ont recommandé ses cendres pour la cure des ulceres scrophuleux, en en saupoudrant les parties malades. D’autres encore en ont vanté la poudre, pour faciliter l’évulsion des dents ; mais il est inutile de faire une liste de puérilités.

Auteurs. Ce n’est pas Aldrovandi, Gesner, Rondelet, Charlton, Jonston, &c. qu’il faut lire sur la salamandre ; c’est Wurfsbainius (Jok Pauli) salamandrologia, Norib. 1683. in-4°. avec figures, & mieux encore les mémoires de MM. de Maupertuis & du Fay, qui sont dans le recueil de l’acad. des Sciences, an-