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plus, pour lesquels il faut consommer 2100 piés de bois, que l’on eût épargnés dans la totalité en se servant d’une eau à 16 degrés.

Ce léger calcul suffit pour démontrer que si l’on bouillissoit des eaux à 2, 3 & 4 degrés, la dépense en bois excéderoit de beaucoup la valeur du sel que l’on retireroit. Mais on a trouvé le moyen de les employer avantageusement, en les faisant passer par des bâtimens de graduations ; ainsi nommés, parce que les eaux s’y graduent, c’est-à-dire, y acquierent de nouveaux degré de salure, à mesure que l’air, emportant leurs parties douces, qui sont les plus légeres, les fait diminuer en volume.

Les bâtimens de graduation de la saline de Montmorot sont divisés en trois aîles, ou corps séparés, étendus sur quatre niveaux, & placés à différentes expositions.

L’aîle de Lons-le-Saunier, alignée de l’est-sud-est à l’ouest-nord-ouest, a 147 fermes, ou 1764 piés de longueur. Elle ne reçoit uniquement que les eaux à 2 degrés, provenant de Lons-le-Saunier. On appelle ferme une étendue de 12 piés renfermée entre deux piliers.

L’aîle du puits Cornoz, alignée du sud au nord, contient 78 fermes, ou 936 piés. Elle reçoit les eaux des deux puits Cornoz & de l’étang du Saloir.

L’aîle de Montmorot, alignée du sud-sud-ouest au nord-nord-est, a sur deux différens niveaux 162 fermes ou 1944 piés : plus basse que les deux autres aîles, elle reçoit leurs eaux, déja graduées en partie, & acheve de leur faire acquerir le dernier degré de salure qu’elles doivent avoir, pour être de-là renvoyées aux baisoirs ou bassins construits près des poëles.

Ces trois aîles ont ensemble 1944 piés de longueur, sur la hauteur commune de 25 piés, & communiquent l’une à l’autre par des canaux de bois qui conduisent les eaux à-proportion des besoins & de la graduation plus ou moins favorable.

Dans toute la longueur de chaque bâtiment regne un bassin ou réservoir construit en madriers de sapin joints & serrés avec soin, pour recevoir & retenir les eaux salées. Il est posé horisontalement sur des piliers de pierre, & a 24 piés de largeur dans œuvre sur 1 pié 6 pouces de profondeur : les trois contiennent ensemble 17688 muids d’eau.

Au-dessus & dans le milieu des bassins sont élevées deux masses paralleles d’épines, distantes de trois piés l’une de l’autre ; elles ont chacune 4 piés 9 pouces de largeur dans le bas, & 3 piés 3 pouces dans le haut, & forment une ligne de 22 piés & demi de hauteur sur la même longueur que les bassins.

L’on a placé au sommet de chaque colonne d’épines, des cheneaux de 10 pouces de profondeur, sur un pié de largeur. Ils sont percés des deux côtés de 3 en 3 piés, & distribuent par des robinets les eaux qui coulent dans d’autres petits cheneaux, creusés de 6 lignes, longs de 3 piés, sur 2 à 3 pouces de large, & crenelés par les bords. C’est par ces petites entailles que ceux-ci partagent les eaux qu’ils reçoivent, & les étendent goutte-à-goutte sur toutes les surfaces d’épines, dont les pointes les subdivisent encore & les atténuent à l’infini.

Au milieu de ces deux rangs de cheneaux, & sur le vuide qui se trouve entre les deux masses d’épines, est un plancher pour faire le service des graduations, ouvrir & fermer les robinets, suivant le vent plus ou moins fort, & le côté d’où il vient. Tout l’édifice est surmonté d’un couvert, pour empêcher les eaux pluviales de se mêler avec les salées.

Cinq roues de 28 piés de diametres, que fait mouvoir successivement la petite riviere de Valiere, portent à leur axe des manivelles de fonte qui, en tournant, tirent & poussent des balanciers, dont le mou-

vement prolongé jusque dans les bâtimens, y fait

jouer 40 pompes. Elles sont dressées dans les bassins, d’où elles élevent les eaux salées dans les cheneaux graduans, & leur en fournissent à-proportion de ce qu’ils en distribuent sur les épines.

L’art de graduer consiste donc à étendre les surfaces des eaux, & à les exposer à l’air, pour les faire tomber en pluie à-travers une longue masse d’épines. Par-là les parties les plus légeres, qui sont les douces, se volatilisent & se dissipent, tandis que les autres, plus pesantes par le sel qu’elles contiennent, se précipitent dans le bassin, d’où elles sont remontées pour être de nouveau exposées à l’air, jusqu’à ce qu’elles aient acquis le degré de salure que l’on se propose. Celui auquel on les bouillit communément à Montmorot, est de 12 à 13 ; lorsqu’on leur en fait acquérir davantage, elles n’ont pas le tems de se dégager entierement des parties étrangeres, grasses & terreuses, qui doivent tomber au fond de la poële avant que le sel se déclare.

Il entre ordinairement par jour aux bâtimens de graduation 1200 muids d’eau, & il s’en évapore 900, ce qui feroit par 100 piés de bâtiment, une évaporation d’environ 18 muids d’eau : on a tiré ce jour commun sur l’année entiere de 1759.

Il faut observer qu’il y a des tems, tels que ceux des fortes gelées, où l’on ne gradue point du tout, parce que l’eau se gelant dans les pompes & sur les épines, feroit briser toute la machine. Mais la violence même du froid qui empêche l’évaporation des eaux, y supplée en les graduant par congélation. On perd alors en entier les eaux foibles du puits de Lonsle saunier, & l’on remplit les bassins avec celles des puits Cornoz & de l’étang du Saloir, qui sont à 6 & à 9 degrés. Il n’y a que le flegme, ou les parties douces qu’elles contiennent qui se gelent. Quand elles le sont, on casse la glace, & l’on renvoie aux baisoirs, ou reservoirs établis près des poëles, l’eau salée, qui dans les grands froids acquiert ainsi par la seule congélation, jusqu’à 4 & 5 degrés de plus. Mais le degré n’est pas égal dans tous les bassins ; il est toujours relatif à la quantité des parties douces contenues dans l’eau, & qui sont les seules susceptibles de gelée : en sorte que l’on acquiert quelquefois du degré sur les eaux foiblement salées, tandis qu’on n’en acquiert point de sensible sur celles qui le sont beaucoup.

Les tems les plus favorables pour la graduation, sont les tems secs avec un air modéré. Les grands vents perdent beaucoup d’eau ; ils la jettent hors des bâtimens, & emportent à la fois les parties salées & les douces. Lorsque l’air est très humide, & pendant les brouillards fort épais, l’eau, loin d’acquérir de nouveaux degrés, perd quelquefois un peu de ceux qu’elle avoit déjà. Elle se gradue, mais foiblement, par les tems presque calmes. L’air, comme un corps spongieux, passant sur les surfaces de l’eau, s’imbibe & se charge de leurs parties les plus légeres. Aussi les grandes chaleurs ne produisent-elles pas la graduation la plus avantageuse, parce que l’air se trouvant alors condensé par les exhalaisons de la terre, perd de sa porosité, & conséquemment de son effet.

Nous pensons qu’il y auroit un moyen de tirer encore un plus grand avantage des différentes températures de l’air, dont dépend absolument la graduation. Il faudroit construire un bâtiment à trois rangs paralleles d’épines, où les vents les plus violens gradueroient toutes les eaux, sans les perdre. S’ils emportoient celles de la premiere & de la seconde ligne, ils les laisseroient tomber à la troisieme, qui achevant de rompre leur impétuosité déjà affoiblie, ne leur laisseroit plus jetter au-dehors que les parties de l’eau les plus légeres. Un second bâtiment à deux rangs d’épines, serviroit pour les tems où l’air est mé-