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Ces propriétés sont de se crystalliser en aiguilles, d’exciter un sentiment de fraîcheur sur la langue, & de se décomposer par le contact d’un phlogistique allumé, auquel son acide s’unit & se dissipe avec bruit.

Ce sel se forme sur la superficie de la terre, dans les caves, celliers, écuries, & autres lieux couverts imprégnés de substances végétales & animales, & où l’air a accès. Les vieux murs formés de matieres qui ont éprouvé l’action du feu, comme le plâtre & la chaux, en contiennent aussi beaucoup.

L’air, suivant le célebre M. Hellot, est l’agent principal qui forme ce sel, non qu’il en contienne en soi, mais comme développant par une sorte de fermentation qu’il excite dans ces matieres, les principes prochains du nitre qui y sont renfermés ; de même dans le suc des raisins ce n’est point l’air qui y dépose le spiritueux inflammable, mais il le développe & le fait en quelque façon éclore par la fermentation ; & aucun art n’auroit pû l’en tirer sans son entremise.

On peut augmenter la quantité du salpêtre que les terres produisent naturellement, en les abreuvant d’eaux provenant de la putréfaction d’animaux & de plantes ; mais il faut que ces terres soient à couvert, pour les garantir de la pluie, qui dissoudroit & entraîneroit le salpêtre à mesure qu’il se formeroit, & que le lieu soit frais, pour le condenser & lui faire prendre corps. Par la même raison les terres exposées à la pluie ne donnent aucun salpêtre : on n’y trouve en les lessivant & après l’évaporation, qu’une matiere grasse & un peu de sel approchant du sel gemme.

Il faut aussi remuer souvent les terres à la pelle, pour donner lieu à l’air de les pénétrer, & d’y développer les principes nitreux ; plus elles seront remuées, plus elles produiront de salpêtre : dans celles qui ne le sont point, il ne s’en forme qu’à la superficie. On commence au bout de deux mois à y trouver du salpêtre, & elles en acquierent toujours jusqu’à ce qu’elles en soient entierement rassasiées.

L’auteur de cet article vient de découvrir que le sel commun avoit aussi la propriété de produire du salpêtre : que son acide devenoit nitreux, & qu’il en acquéroit toutes les qualités par l’entremise de l’air, étant mêlé avec de la terre.

Pour s’en assurer par l’expérience, il a pris de la terre de jardin & en a fait cinq tas égaux dans un lieu couvert.

Le premier a été exactement lessivé à froid, & on n’y a ajouté aucune autre matiere qu’un peu d’eau pure dont on l’a arrosé lorsque la terre a paru trop desséchée.

Le second a été laissé tel qu’il étoit sortant du jardin ; on l’a seulement arrosé de tems en tems d’un peu d’eau pure comme le premier.

Le troisieme a été différentes fois humecté d’urine.

Le quatrieme a été humecté par égale portion d’urine & d’eau, dans laquelle on avoit fait dissoudre du sel commun jusqu’à saturation.

Et le cinquieme a été seulement humecté d’eau salée.

On a remué ces terres à la pelle trois fois la semaine pendant six mois ; & au bout de ce tems les ayant lessivées, elles ont donné du salpêtre dans les proportions ci-après ; savoir,

Le premier tas 1.
Le deuxieme, 2.
Le troisieme, 3.
Le quatrieme, 6.
Et le cinquieme, 4.

Ces expériences, qui prouvent une sorte de conversion du sel commun en salpêtre, font présumer que ces sels pourroient bien être les mêmes dans leur

principe, & qu’ils ne different entr’eux que par une plus grande quantité d’acide volatil qu’une fermentation plus parfaite fournit au salpêtre.

Deux observations paroissent encore appuyer cette conjecture ; la premiere est que le salpêtre se rapproche du sel commun à mesure qu’on le dépouille de son acide, & qu’il devient semblable à ce sel lorsqu’il en est presqu’entierement dépouillé, & qu’au contraire le sel commun se nitrifie à mesure que la fermentation lui fournit cet esprit acide.

La seconde est qu’il ne se forme jamais de salpétre sans sel commun, même dans la terre qui auroit été exactement lessivée & dépouillée de l’un & de l’autre de ces sels. Ces faits rendent assez probable l’opinion que le sel commun n’est qu’un nitre imparfait.

Peut-être pourroit-on tirer parti de cette découverte, en établissant des halles ou angards, pour y former du salpêtre avec les matieres & par les moyens qui viennent d’être indiqués : il couteroit peu d’en faire l’expérience dans un seul angard ; & en calculant d’après les épreuves que l’on y feroit, on verroit quel seroit l’objet du produit du salpêtre, & de l’économie des frais de formation.

Si la chose se trouvoit praticable, & qu’en multipliant les angards on pût se procurer à moins de frais la quantité de salpêtre que l’on voudroit, il en résulteroit encore les avantages ci-après.

1°. De ne plus tirer de salpêtre de l’étranger.

2°. Que les paysans ne seroient plus exposés à voir tous les lieux bas de leurs maisons bouleversés par les salpétriers, ou à leur donner de l’argent pour en être exemptés, sous prétexte que les terres ne sont pas bonnes.

3°. Que les terres salpétreuses étant un excellent engrais, les paysans s’en serviroient très-utilement pour fertiliser leurs champs, s’ils en connoissoient la propriété, & s’ils savoient que de nouvelles terres mises à la place de celles-ci, auroient acquis au bout de deux ans pour les caves & celliers, & d’une année pour les étables & écuries, assez de nitre pour tenir lieu du meilleur fumier : mais ils ne le soupçonnent pas ; & si la chose avoit lieu, il faudroit les en instruire, les seigneurs décimateurs y seroient intéressés.

Le salpêtre se tire des terres par le moyen d’une lessive à froid ; pour faciliter l’écoulement des eaux, & empêcher que la terre ne bouche le trou du cuvier, on place dedans au-devant du trou, une piece de fond de tonneau en travers, & on remplit l’intervalle avec de petites pierres ou menus platras ; on y met des cendres à-peu-près la sixieme partie de sa hauteur, en même tems qu’elles servent à dégraisser le salpêtre, elles fournissent à la partie acide l’alkali fixe dont elle pourroit manquer ; il n’en faut cependant pas trop mettre, une plus grande quantité l’absorberoit ; on acheve de remplir le cuvier de terres salpétreuses, ou de platras broyés & passés à la claie. Lorsque c’est de la terre, elle doit auparavant avoir été bien ameublie, & il faut la mettre très-légèrement dans le cuvier ; car pour peu qu’elle fût pressée, l’eau ne passeroit point, ou ne passeroit que très-lentement. On la couvre de paille pour empêcher que l’eau ne la comprime lorsqu’on la verse dessus ; on y coule peu-à-peu la quantité d’eau nécessaire pour dissoudre le salpêtre, & pour rendre cette eau plus chargée de nitre, on la passe sur un second cuvier à mesure qu’elle s’écoule du premier, de même du second sur un troisieme, & du troisieme sur un quatrieme. Elle est alors chargée de salpêtre autant qu’elle le peut être si les terres sont bonnes. De ce quatrieme cuvier on la porte dans une chaudiere sur le feu, où on la fait bouillir en l’écumant avec soin, jusqu’à ce qu’elle ait pris assez de consistance pour se congeler lorsqu’on en laisse tomber une goutte sur une assiete ; alors on