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approche des poles, & qui l’est le plus sous l’équateur ou dans la Zone torride. Plusieurs raisons concourent à cette différence de salure.

1°. Le soleil étant plus chaud sous la zone torride, attire plus de vapeurs que dans les climats septentrionaux, & ces vapeurs sont toutes d’eaux douces ; car les particules de sel ne s’évaporent pas si facilement à cause de leur pesanteur ; par conséquent l’eau qui reste dans l’Océan doit être plus salée sous l’équateur que vers les poles, où il ne s’exhale pas tant d’eau douce, parce que la chaleur du soleil y est plus foible.

La seconde cause est la chaleur & la fraîcheur de l’eau, car la même eau, le bœuf mariné, les mets salés, le sont plus quand ils sont chauds que quand ils sont froids, comme chacun peut l’avoir expérimenté, parce que la chaleur ou les particules de feu agitent & aiguisent les particules de sel contenues dans ces viandes, & les séparent les unes des autres, de maniere qu’elles affectent & piquent plus fortement la langue. Donc comme l’eau de la mer est plus chaude vers l’équateur & plus froide vers les poles, il s’ensuit que quand on supposeroit toutes les parties de l’Océan également salées, elles doivent néanmoins le paroître davantage vers l’équateur, & plus douces vers les poles.

3°. La troisieme cause est la qualité plus ou moins grande de sel qui se trouve dans le bassin de la mer ; car comme on ne trouve pas par-tout des mines de sel dans la terre, ni même une égale quantité de sel dans les endroits où on en rencontre, on doit supposer la même chose dans l’Océan, où il y a des côtes dont le lit n’est pas si plein de sel que d’autres. C’est pourquoi où il se rencontre une plus grande quantité de sel au fond de l’Océan, l’eau doit y être plus salée, parce qu’elle est plus imprégnée de ce minéral, comme il est aisé de le concevoir. Par cette raison l’eau de mer est extrèmement salée auprès de l’île d’Ormus, parce que cette île est toute de sel. Mais y a-t-il une plus grande quantité de mines de sel sous l’eau, sous la zone torride, que sous les poles ? C’est ce qu’on ne peut pas dire certainement, faute d’observations. Bien des gens pensent que cela est probable, à cause de la plus grande chaleur du soleil qui attire les particules douces : quoi qu’il en soit, cette raison me paroît bien foible.

4°. Une quatrieme cause est la fréquence ou la rareté de la pluie & de la neige : l’une & l’autre tombent fort souvent dans les pays septentrionaux ; mais sous la zone torride il n’y a point de pluie du tout dans certaines saisons de l’année, & elles sont continuelles dans les autres tems. Donc l’Océan dans ces derniers endroits n’est pas si salé auprès des côtes dans les mois pluvieux que dans les saisons seches. Il y a même différens endroits aux Indes sur la côte de Malabar, où l’eau de la mer est assez douce dans la saison pluvieuse, à cause de la grande quantité d’eau qui tombe du mont Gate, & qui se jette dans la mer. C’est la raison qui fait qu’en différens tems de l’année les mêmes parties de l’Océan ont différens degrès de salure ; mais comme il y a presque toute l’année des pluies & des neiges dans les pays septentrionaux, la mer y est moins salée que sous la zone torride.

5°. La cinquieme cause est la différence de qualité que l’eau a de dissoudre le sel & l’incorporer avec elle, car l’eau chaude dissout le sel bien plus vîte que la froide ; & conséquemment quand il y auroit la même quantité de sel sous l’eau dans le bassin de la mer auprès des poles que vers l’équateur, l’eau qui y est plus froide ne peut pas sitôt le dissoudre en particules très-menues, & l’incorporer avec elle, que sous la zone torride, où l’eau est plus chaude.

6°. La sixieme cause est la quantité de rivieres considérables qui se déchargent dans la mer ; mais elles

ne font de changement que sur les côtes, car le milieu de l’Océan n’en est que médiocrement affecté Les marins rapportent que sur la côte du Brésil, où Rio de la Plata se jette dans la mer, l’Océan perd son goût salé jusqu’à près de quinze lieues de distance de la côte. On peut en dire autant de l’Océan africain sur la côte de Congo, & dans plusieurs autres lieux, comme vers Malabar dans l’Inde, ainsi qu’on l’a observé ci-devant, &c. On peut ajouter à toutes ces causes les sources d’eau douce qui sortent en quelques endroits du fond de la mer.

Ces causes prises séparément ou toutes ensemble, mettent une grande différence de salure dans les différentes parties de l’Océan, & c’est par elles qu’on est en état d’expliquer cette variété.

On peut en tirer la raison, pourquoi l’eau de l’Océan germanique & de celui du nord ne donne pas tant de sel quand on la fait bouillir, que celle de l’Océan occidental vers l’Espagne, les îles Canaries, & le cap Verd en Afrique, d’où les Hollandois tirent une grande quantité de sel, qu’ils transportent dans plusieurs pays septentrionaux ? Parce que ces côtes sont plus voisines de la zone torride que les autres, quoique peut-être le bassin de la mer y contienne une égale quantité de sel.

L’eau de la mer dans l’Océan éthiopique, vis-à-vis la Guinée, donne en la faisant bouillir une seule fois un sel blanc aussi fin que le sucre, & tel que ni l’Océan espagnol, ni aucun autre en Europe, n’en peut produire d’une seule opération.

On demande si l’eau de la mer est plus douce au fond, & pourquoi on tire dans quelques endroits de l’eau douce du fond de la mer ?

On répond à ces questions que l’eau de la mer n’est pas plus douce au fond qu’à la surface, si ce n’est en quelques endroits particuliers où il se trouve apparemment des sources d’eau douce ; car il est contre la nature que l’eau salée flotte au-dessus de l’eau douce, qui est moins pesante.

M. Hook a inventé un instrument pour découvrir quelle est la salure de la mer à quelque profondeur que ce soit. On le trouve décrit dans les Trans. phil. n°. 9. & n°. 24. ou dans l’abrégé de Lowthorp, vol. 2. p. 260.

On demande si l’on peut désaler l’eau de la mer ; je réponds que la chose est possible.

M. Hanton a trouvé le premier le secret de rendre douce l’eau de la mer. Ce secret consiste d’abord dans une précipitation faite avec l’huile de tartre qu’il fait tirer à peu de frais ; ensuite il distille l’eau de mer : son fourneau tient fort peu de place, & est construit de maniere qu’avec un peu de bois ou de charbon, il peut distiller vingt-quatre pots d’eau, mesure de France, en un jour ; & pour la rafraîchir, il a une nouvelle invention par laquelle au lieu de faire passer le tuyau par un vase plein d’eau, suivant la coutume, il le fait passer par un trou pratiqué exprès hors du vaisseau, & rentrer par un autre, de sorte que c’est l’eau de la mer qui fait l’office de réfrigérant. Par ce moyen on épargne la place qu’occupe ordinairement le réfrigérant, ainsi que l’embarras de changer l’eau quand le tuyau l’a échauffée. Mais en troisieme lieu, il joint aux deux opérations précédentes la filtration, pour corriger la malignité de l’eau : cette filtration se fait au moyen d’une terre particuliere qu’il mêle & détrempe avec l’eau distillée, & enfin qu’il laisse se précipiter au fond.

Il prétend que cette eau de mer distillée est assez salubre, & il le prouve, 1°. par l’expérience, en ayant fait boire à des hommes & à des animaux, sans qu’elle leur ait fait aucun mal. 2°. Par la raison fondée sur ce que cette terre particuliere mêlée avec l’eau distillée, émousse les pointes des esprits volatils du sel, & leur servant pour ainsi dire d’étui,