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de son corps. Si on introduit de l’air dans cette partie par la bouche de la sangsue, l’air entre dans un tuyau droit qui est au centre, & qui s’ouvre des deux côtés dans des sacs ou cellules bien plus larges que le tuyau principal. Ces sacs sont faits d’une membrane mince jusque vers la queue de l’animal, où la membrane est fortifiée de quelques fibres circulaires fort distinctes. Si on fait de ces sacs autant d’estomacs, on en pourra compter jusqu’à 24 dans une sangsue assez grosse.

Il y a apparence que le sang sucé par la sangsue séjourne long-tems dans les réservoirs, comme une provision de nourriture. M. Morand assure avoir la preuve, qu’il y est resté quelques mois presque entierement caillé, plus noir que dans l’état naturel, & sans aucune mauvaise odeur ; & comme le sang d’un animal quelconque est le résultat de la nourriture qu’il a digerée, on pourroit croire que la sangsue ne vivant que du sang, n’a pas besoin d’une grande dépuration de la matiere qui lui sert de nourriture. Au moins est-il vrai qu’on ne connoît point d’anus ou d’ouverture qui en fasse la fonction ; & s’il est absolument nécessaire que quelques parties hétérogenes s’en séparent, apparemment que cela se fait par une transpiration perpétuelle au-travers de sa peau, sur laquelle il s’amasse une matiere gluante qui s’épaissit par degrés, & se sépare par filamens dans l’eau où l’on conserve des sangsues.

Comme cette matiere en se délayant dans l’eau, ne forme que de petits lambeaux déchiquetés, M. Morand, pour rendre cette dépouille plus sensible, a mis des sangsues dans de l’huile, & les y a laissées plusieurs jours : elles y ont vécu, & lorsqu’il les a remises dans l’eau, elles ont quitté cette pellicule qui représentoit alors une dépouille entiere de l’animal, comme seroit la peau d’une anguille.

On voit à l’occasion de cette expérience, qu’il n’en est pas des sangsues comme des vers terrestres, & qu’elles n’ont pas leurs trachées à la surface extérieure du corps. Il est vraissemblable qu’elles respirent par la bouche, mais de savoir quelle partie leur sert de poumons, c’est ce qui n’est pas encore connu, non plus que d’autres singularités qui les regardent. On ne sait de leur génération que ce qu’en rapporte Rai, qui dit qu’on trouve quelquefois de jeunes sangsues fort petites attachées ensemble par le ventre en maniere de grappes. (D. J.)

Sangsue, (Médecine thérapeutique.) on se sert des sangsues en médecine pour faire dans certaines parties du corps des saignées peu abondantes.

Ce moyen de tirer du sang paroît avoir été inconnu à Hippocrate & aux médecins qui l’ont suivi, jusqu’à Themison. Depuis ce dernier auteur, on s’en est servi dans plusieurs maladies, plus ou moins, suivant les sectes & les pays. Les méthodiques en faisoient un très-grand usage, les Italiens s’en servent plus souvent que nous.

Lorsqu’on veut appliquer les sangsues, on choisit les plus petites de celles qui sont rayées sur le dos, & qui naissent dans l’eau la moins bourbeuse. On les affame en les tenant pendant quelques heures hors de l’eau. On excite par cette diete leur besoin de prendre de la nourriture ; on frotte doucement en lavant la partie à laquelle on veut qu’elles s’attachent. Alors on prend une sangsue avec un linge par la queue, & on la porte sur l’endroit frotté, où on la fait descendre par une bouteille à col étroit, un tube, un roseau sur cette partie. Si elle refuse de s’y attacher, on y verse quelques gouttes de sang de poulet, de pigeon, &c. ou de lait ; on pique légerement la partie avec une épingle pour en faire sortir un peu de sang ; & enfin à son nouveau refus, on passe à d’autres, ou on attend qu’un jeûne plus long lui ait rendu le goût pour le sang qu’on veut qu’elle succe. Lorsque la

sangsue est rassasiée, elle tombe d’elle-même. On l’engagera à tirer une plus grande quantité de sang en lui coupant la queue ; elle perdra par cette plaie une partie de celui qu’elle vient de succer, & elle cherchera à réparer cette perte. On répete cette application de sangsues, jusqu’à ce que l’indication soit satisfaite. Si elles tardoient trop de se détacher, on ne l’arracheroit pas avec violence, crainte d’attirer une inflammation, mais on jetteroit une petite quantité d’eau salée, de salive, d’huile de tartre, de cendres, &c. sur sa tête. Il reste après la sortie des sangsues une petite plaie que leur trompe a causée, qui fournit quelquefois un hémorragie, qu’on entretient par la vapeur de l’eau chaude, par le bain d’eau tiede, qu’on guerit communément par les astringens vulnéraires les plus doux, par la charpie rapée, l’esprit de vin. On s’est vu cependant quelquefois obligé d’employer les plus forts.

L’application des sangsues doit être recommandée toutes les fois qu’on veut faire de petites saignées locales dans une partie où il y a une pléthore particuliere (voyez Saignée, Pléthore), & où la situation des vaisseaux, l’état foible & cachétique du malade, la longueur de la maladie ne permettent pas d’ouvrir des gros vaisseaux. C’est ainsi qu’elles sont utiles aux tempes & derriere les oreilles dans les délires, douleurs de tête, qu’elles réussissent contre les maladies inflammatoires des yeux, étant appliquées au grand angle ; qu’elles sont un excellent remede contre les maux multipliés que la suppression du flux hémorroïdal peut produire, en les présentant aux tumeurs que forment ces varices. Elles ont même un avantage dans tous ces cas au-dessus de la saignée, c’est d’attirer les humeurs sur la partie où on les applique, par l’irritation qu’elles causent. On se sert également des sangsues pour tirer du sang du bras, du pié des enfans, & de ceux qui craignent la saignée, ou dont les vaisseaux sont difficiles à ouvrir ; on les applique au haut de la cuisse pour procurer le cours des regles au col pour guérir de l’esquinancie ; mais ces derniers usages sont assez généralement abandonnés en France.

Sangsue, (Chirurg.) Les Chirurgiens dans l’application des sangsues, préferent les plus petites aux grosses, en ce que leur piquure est moins douloureuse ; & entre les petites on choisit celles qui sont marquetées de lignes sur le dos.

Il n’est pas impossible que les anciens aient appris à saigner de ces insectes ; car tout le monde sait que lorsque les chevaux sont attirés au printems par l’herbe verte dans les étangs & dans les rivieres, de grosses sangsues qu’on appelle sangsues de chevaux, s’attachent à leurs jambes & à leurs flancs, leur percent une veine, leur procurent une hémorrhagie abondante, & qu’ils en deviennent plus sains & plus vigoureux.

Si contre toute vraissemblance Thémison n’est pas le premier qui se soit servi de sangsues, il est du moins le premier qui en fait mention ; Hippocrate n’en a point parlé ; & Cœlius Aurelianus n’en dit rien dans les extraits qu’il a faits des écrits de ceux qui ont pratiqué la médecine depuis Hippocrate jusqu’à Thémison. Les disciples de Thémison se servoient de sangsues en plusieurs occasions ; ils appliquoient quelquefois les ventouses à la partie d’où les sangsues s’étoient détachées, pour en tirer une plus grande quantité de sang. Galien ne fait aucune mention de ce remede, apparemment parce qu’il étoit particulier à la secte méthodique qu’il méprisoit. J’avoue qu’il en est parlé dans un petit traite imparfait intitulé, de cucurbitulis, de scarificatione, de sanguisugis, &c. qu’on attribue à Galien, mais sans aucun fondement ; car Oribase qui a écrit des sangsues, l. VII. dit avoir tiré ce qu’il en rapporte, d’Antille & de Me-