Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/629

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d’exercer des fonctions qui ne conviennent pas, qui sont déplacées, comme si une femme décrépite est encore sujette à l’évacuation menstruale, ou le redevient, ou si quelqu’un est porté au sommeil extraordinairement hors le tems qui lui est destiné ; par conséquent, la même fonction, qui étant exercée convenablement, est un effet de la bonne santé, devient un signe, un symptome de maladie, lorsqu’elle se fait à contretems.

La perfection de la santé ne suppose donc pas une même maniere d’être, dans les différens individus qui en jouissent ; l’exercice des fonctions dans chaque sujet, a quelque chose de commun, à la vérité, pour chaque action en particulier, mais il est susceptible aussi de bien des différences, non-seulement par rapport à l’âge, au sexe, au tempérament, comme on vient de le dire ; mais encore par rapport aux sujets de même âge, de même sexe, de même tempérament, selon les différentes situations, les différentes circonstances où ils se trouvent ; ainsi chacun a sa maniere de manger, de digérer, quoique chacun ait les mêmes organes pour ces fonctions.

La santé ne consiste donc pas dans un point précis de perfection commune à tous les sujets, dans l’exercice de toutes leurs fonctions ; mais elle admet une sorte de latitude d’extension, qui renferme un nombre très-considérable & indéterminé de combinaisons, qui établissent bien des varietés dans la maniere d’être en bonne santé, comprises entre l’état robuste de l’athlete le plus éloigné de celui de maladie, & l’état qui approche le plus de la disposition où la santé cesse par la lésion de quelque fonction.

Il suit de-là qu’il n’existe point d’état de santé qui puisse convenir à tout le monde ; chacun a sa maniere de se bien porter, parce que cet état dépend d’une certaine proportion dans les solides & les fluides, dans leurs actions & leurs mouvemens, qui est propre à chaque individu. Comme l’on ne peut pas trouver deux visages parfaitement semblables, dit à ce sujet Boerhaave, instit. med. semeiot. comment. §. 889. de même il y a toujours des différences entre le cœur, le poumon d’un homme, & le cœur, le poumon d’un autre homme.

Que l’on se représente deux personnes en parfaite santé, si l’on essaie de faire passer les humeurs, c’est-à-dire la masse du sang de l’un de ces sujets, dans le corps de l’autre, & réciproquement, même sans leur faire éprouver aucune altération, comme par le moyen de la transfusion, si fameuse dans le siecle dernier, ils seront sur le champ tous les deux malades, dès que chacun d’eux sera dans le cas d’avoir dans ses vaisseaux, du fluide qui lui est étranger ; mais si l’on pouvoit tout de suite rendre à chacun ce qui lui appartient, sans aucun changement, ils récouvreroient chacun la santé dont ils jouissoient avant l’échange.

C’est le concours des qualités dans les organes & les humeurs propres à chaque individu, qui rend cet échange impraticable (Voyez Transfusion) ; c’est cette proportion particuliere entre les parties dans chaque sujet, qui constitue ce que les anciens entendoient pas idiosyncrasie, & ce que nous appellons tempérament (Voyez Idiosyncrasie, Tempérament), qui fait que l’exercice des fonctions d’un homme differe sensiblement de ce qui se passe au même égard dans un autre homme, quoiqu’ils soient tous les deux dans un état de santé bien décidée.

Les mêmes organes operent cependant dans l’un & dans l’autre le changement des matieres destinées à la nourriture, en humeurs d’une nature propre à cet effet. Cependant des mêmes alimens il ne résulte pas des humeurs absolument semblables, lorsqu’ils sont travaillés & digérés dans deux corps différens.

Tel homme vit de plantes & de fruits avec de

l’eau, & se porte bien ; tel autre se nourrit de viande & de toutes sortes d’autres alimens, avec des liqueurs spiritueuses, & se porte bien aussi : donnez à celui-ci qui est habitué à son genre de vie des végétaux pour toute nourriture, il deviendra bientôt malade ; comme celui qui est accoutumé à vivre frugalement, s’il passe à l’usage de tous les genres d’alimens qui constituent ce qu’on appelle la bonne chere.

Ainsi on ne peut dire en général d’aucune espece de nourriture, qu’elle convient pour la santé préférablement à toute autre, parce que chacun a une façon de vivre, de se nourrir qui lui est propre, & qui differe plus ou moins de celle d’un autre. Voyez Régime.

La différence des constitutions des tempéramens, n’empêche pas cependant qu’il n’y ait des signes généraux auxquels on peut connoître une bonne santé, parce que dans l’économie animale la variété des moyens ne laisse pas de produire des effets qui paroissent semblables, dont la différence réelle n’est pas assez caractérisée pour se rendre sensible : c’est le résultat de plusieurs effets dont les modifications ne sont pas susceptibles d’être apperçues, d’être saisies, qui forment ces signes visibles, par le moyen desquels on ne peut & on ne fait que juger en gros de l’état des choses.

Ainsi c’est par la facilité avec laquelle l’on sent que se fait l’exercice des fonctions du corps & de l’ame ; par la satisfaction que l’on a de son existence physique & morale ; par la convenance & la constance de cet exercice ; par le témoignage que l’on rend de ce sentiment, & le rapport de ces effets, que l’on peut faire connoître que l’on jouit d’une vie aussi saine, aussi parfaite qu’il est possible. Les trois premieres de ces conditions sont aisées à établir, par l’examen de l’état actuel dans lequel on se trouve ; mais il n’en est pas de même de la derniere, qui ne peut être que préssentie pour l’avenir, à en juger par le passé ; en tant que l’on connoît la bonne disposition du sujet, & la force de son tempérament, qui le rend propre à résister aux fatigues, aux injures de l’air, à la faim, à la soif, par conséquent aux differentes causes qui peuvent altérer, détruire la santé : d’où l’on peut inférer que puisque dans ce sujet les choses non-naturelles tendent constamment à devenir & deviennent naturelles, c’est-à-dire que l’usage des choses dont l’influence est inévitable ou nécessaire, ne cesse de tourner au profit de la santé, à l’avantage de l’individu, pour sa conservation, & pour celle des dispositions à contribuer à la propagation de l’espece ; cet état se soutiendra long-tems.

Il suit de-là que les signes par lesquels on peut présager une vie saine & longue, sont aussi ordinairement les marques d’une santé actuelle bien solide, bien affermie. Les hommes d’une complexion maigre, mais charnue, sont le plus disposés à une bonne santé : les personnes qui avec assez d’embonpoint en apparence, sont d’un complexion délicate, ont des muscles grêles, peu compactes, perdent aisément, par de très-petites indispositions, cette apparence de santé, qui ne dépend que de la graisse qui se ramasse sous les tégumens. Dans cette disposition on est très susceptible de maladie, ce qui forme une constitution très-éloignée d’être parfaite, lors même qu’elle semble accompagnée des signes de la santé.

La force de la faculté qui constitue la vie, c’est-à-dire de la nature, se dissipe chaque jour plus ou moins par l’exercice des fonctions ; mais dans la santé la nourriture & le sommeil réparent cette perte par la formation & le nouvel approvisionnement qui se fait du fluide nerveux : la vie se soutient tant que la nature a des forces suffisantes pour surmonter les résistances de la machine animale, par conséquent celles qu’opposent au mouvement les solides & les fluides