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en Espagne par le comte Julien. On les nomme également Sarrasins à cause de leur origine, & Maures, parce qu’ils étoient établis dans les trois Mauritanies.

Le comte Julien étoit chez eux en ambassade, lorsque sa fille fut deshonorée par Rodrigue roi d’Espagne. Le comte outragé s’adressa à eux pour le venger, & commandés par un émir, ils conquirent toute l’Espagne, après avoir gagné en 714 la célebre bataille où Rodrigue perdit la vie. L’archevêque Opas prêta serment de fidélité aux Sarrasins, & conserva sous eux beaucoup d’autorité sur les églises chrétiennes que les vainqueurs tolérerent.

L’Espagne, à la réserve des cavernes & des roches de l’Asturie, fut soumise en 14 mois à l’empire des califes. Ensuite, sous Abdérame, vers l’an 734, d’autres Sarrasins subjuguerent la moitié de la France ; & quoique dans la suite ils furent affoiblis par les victoires de Charles Martel, & par leurs divisions, ils ne laisserent pas de conserver des places dans la Provence.

« En 828, les mêmes Sarrasins qui avoient subjugué l’Espagne, firent des incursions en Sicile, & désolerent cette île, sans que les empereurs grecs, ni ceux d’occident, pussent alors les en chasser. Ces conquérans alloient se rendre maîtres de l’Italie, s’ils avoient été unis ; mais leurs fautes sauverent Rome, comme celles des Carthaginois la sauverent autrefois.

» Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte nombreuse : ils entrent par l’embouchure du Tibre ; & ne trouvant qu’un pays presque desert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors, & ayant pillé la riche église de saint Pierre hors des murs, ils leverent le siége pour aller combattre une armée de François qui venoit secourir Rome, sous un général de l’empereur Lothaire. L’armée françoise fut battue ; mais la ville rafraîchie fut manquée ; & cette expédition qui devoit être une conquête, ne devint par leur mesintelligence, qu’une simple incursion ».

Cependant ils étoient alors redoutables à-la-fois à Rome & à Constantinople ; maîtres de la Perse, de la Syrie, de l’Arabie, de toutes les côtes d’Afrique jusqu’au mont Atlas, & des trois quarts de l’Espagne. Il faut lire l’histoire de ces peuples & de leurs conquêtes par M. Ockléy ; elle a été imprimée à Paris, en 1748, 2. vol. in-4°.

Ce que je ne puis m’empêcher de remarquer, c’est que cette nation ne songea pas plutôt à devenir la maîtresse du monde, qu’à l’exemple des autres, qui avant elle en avoient fait la conquête, elle se déclara d’une maniere particuliere en faveur des Sciences ; elle donna retraite aux Lettres chassées de Rome & d’Athènes. On cultiva la Philosophie dans les académies du Caire, de Constantine, de Sigilsmèse, de Basora, d’Hubbede, de Fez, de Maroc, de Tunis, de Tripoli, d’Alexandrie, & de Coufah.

Malheureusement les Sarrasins l’avoient reçue fort altérée des mains des derniers interpretes, & ils n’étoient point en état de la rétablir dans son véritable sens. Ils y trouvoient trop d’obstacles, & dans leur langue, qui leur rendoit le tour des langues étrangeres difficile à entendre, & dans le caractere de leur génie, plus propre à courir après le merveilleux, ou à approfondir des subtilités, qu’à s’arrêter à des vérités solides.

Leur théologie rouloit sur des idées abstraites ; ils se perdoient dans leurs recherches profondes sur les noms de Dieu & des anges : ils tournoient en astrologie judiciaire, la connoissance qu’ils avoient du ciel : enfin, attachant des mysteres & des secrets à de simples symboles, ils croyoient posséder l’art de venir à bout de leurs desseins, par un usage arbitraire de lettres ou de nombres.

Les juifs jouirent en orient de la plus grande tolérance, sous la domination des Sarrasins. Persécutés par-tout ailleurs, ils avoient une ressource dans la bonté des califes, soit que les Mahométans usassent de cette indulgence, en considération de ce que leur prophete s’étoit servi d’un juif pour rédiger l’alcoran ; soit que ce fût un effet de la douceur qu’inspire naturellement l’amour des Lettres. Les juifs eurent la permission d’établir leurs académies de Frora & de Piendébita, au voisinage de Coufah & de Bagdat, où les princes Sarrasins tenoient successivement le siége de leur empire.

Ils emprunterent de leurs nouveaux maîtres l’usage de la Grammaire, & employerent alors la massore à l’exemple des Sarrasins, qui avoient ajouté des points à l’alcoran du tems d’Omar : ils firent aussi des traductions de livres arabes.

Enfin, comme les Sarrasins aimoient sur-tout l’Astronomie & la Médecine, les juifs s’appliquerent avec succès à ces deux sciences, qui ont été souvent depuis une source de gloire & de richesses pour plusieurs particuliers de cette nation. (Le chevalier de Jaucourt).

Sarrasins ou Arabes, philosophie des, (Hist. de la Philosophie.) voyez ce que nous en avons déja dit à l’article Arabes, où nous avons conduit l’histoire philosophique de ces peuples depuis sa premiere origine, jusqu’au tems de l’islamisme. C’est à ce moment que nous allons la reprendre. Les sciences s’éteignoient par-tout ; une longue suite de conquérans divers avoient bouleversé les empires subsistans, & laissé après eux l’ignorance & la misere ; les Chrétiens même s’étoient abrutis, lorsque les Sarrasins feuilleterent les livres d’Aristote, & releverent la Philosophie défaillante.

Les Arabes n’ont connu l’écriture que peu de tems avant la fondation de l’égire. Antérieurement à cette époque on peut les regarder comme des idolâtres grossiers, sur lesquels un homme qui avoit quelque éloquence naturelle pouvoit tout. Tels furent Sahan, Wayei, & sur-tout Kossus : ceux qu’ils désignerent par le titre de chated, étoient pâtres, astrologues, musiciens, médecins, poëtes, législateurs & prêtres ; caracteres qu’on ne trouve jamais réunis dans une même personne, que chez les peuples barbares & sauvages. Ouvrez les fastes des nations ; & lorsqu’ils vous entretiendront d’un homme chargé d’interpreter la volonté des dieux, de les invoquer dans les tems de calamités générales, de chanter les faits mémorables, d’ordonner des entreprises, d’infliger des châtimens, de décerner des récompenses, de prescrire des lois ecclésiastiques, politiques & civiles, de marquer des jours de repos & de travail, de lier ou d’absoudre, d’assembler ou de disperser, d’armer ou de desarmer, d’imposer les mains pour guérir ou pour exterminer ; concluez que c’est le tems de la profonde ignorance. A mesure que la lumiere s’accroîtra, vous verrez ces fonctions importantes se séparer ; un homme commandera ; un autre sacrifiera ; un troisieme guérira ; un quatrieme plus sacré les immortalisera par ses chants.

Les Arabes avoient peut-être avant l’islamisme quelques teintures de poésie & d’astrologie, telles qu’on peut les supposer à un peuple qui parle une langue fixée, mais qui ignore l’art d’écrire.

Ce fut un habitant d’Ambare, appellé Moramere, qui inventa les caracteres arabes peu de tems avant la naissance de Mahomet, & cette découverte demeura si secrette entre les mains des coraishites, qu’à peine se trouvoit-il quelqu’un qui sût lire l’alcoran lorsque les exemplaires commencerent à s’en multiplier. Alors la nation étoit partagée en deux classes, l’une d’érudits, qui savoient lire, & l’autre d’idiots. Les premiers résidoient à Médine, les seconds à la