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christianisme, comme si une religion divine avoit à redouter une attaque aussi foible. Ajoutons qu’un tribunal odieux, établi dans le midi de l’Europe, y forçoit les Muses au silence. Heureusement que la raison bannie du Latium par des armes impies, franchit ses anciennes bornes, & se réfugia dans des climats plus tempérés : « c’est-là qu’elle éclaira de beaux génies qui préparerent de loin, dans l’ombre du silence, la lumiere dont le monde devoit être éclairé par degrés insensibles.

L’immortel Bacon examina les divers objets de toutes les sciences naturelles, & justifia la nécessité de la physique expérimentale, à laquelle on ne pensoit point encore. Ennemi des systèmes, il sut borner la philosophie à la science des choses utiles, & recommanda par-tout l’étude de la nature. Au célebre chancelier d’Angleterre, succeda l’illustre Descartes, qui s’égara sans doute en théorie, mais qui acquit une grande gloire par l’application qu’il fit de l’algebre à la géométrie. Newton parut enfin, bannit de la physique les hypothèses vagues, découvrit la force qui retient les planetes dans leurs orbites, calcula la cause de leurs mouvemens, dévoila la vraie théorie du monde ; & créateur d’une optique toute nouvelle, il fit connoître la lumiere aux hommes en la décomposant. Lock créa la métaphysique à-peu-près comme Newton avoit créé la physique. Il réduisit cette science à ce qu’elle doit être en effet, la physique expérimentale de l’ame. Ses principes aussi simples que des axiomes, sont les mêmes pour les philosophes & pour le peuple ». Disc. prelim. de l’Encyclopédie.

Plusieurs autres savans ont infiniment contribué par leurs travaux, au progrès des sciences, & ont pour ainsi-dire levé un coin du voile qui nous cachoit la vérité. De ce nombre sont Leibnitz, qui suivant l’opinion de l’Allemagne, partage avec Newton l’invention du calcul différenciel ; « Galilée à qui la géographie doit tant de choses utiles ; Harvey que la découverte de la circulation du sang rend immortel ; Huyghens, qui par des ouvrages pleins de force & de génie, a bien mérité de la physique ; Pascal, auteur d’un morceau sur la cycloïde, qu’on doit regarder comme un prodige de sagacité, d’un traité de l’équilibre des liqueur & de la pesanteur de l’air, qui nous a ouvert une science nouvelle ; Boyle, le pere de la physique expérimentale, plusieurs autres enfin, parmi lesquels je ne dois pas oublier Boerhaave, le reformateur de la médecine ». On sait aussi tout ce que le droit naturel, la morale & la politique doivent à Grotius, Puffendorf, Thomasius, & autres écrivains célebres.

Voilà quel étoit l’état des sciences au commencement de ce siecle. Portées rapidement du premier essor à leur faîte, elles ont dégénéré avec la même promptitude, comme si elles étoient des plantes étrangeres à la nature, qui doivent sécher sur pié, & disparoître dans le sein de l’oubli, tandis que les arts méchaniques, enracinés pour ainsi-dire dans les besoins de l’homme, ont un esprit de vie qui les soutient contre les ravages du tems.

Les sciences offrent aux yeux une belle avenue, mais fort courte, & qui finit par un désert aride. Comme parmi nous leur midi s’est trouvé fort près de leur levant, leur couchant n’est pas éloigné de leur midi. On vit à Rome la même révolution ; soixante ans après le regne d’Auguste, Quintilien écrivoit déjà sur la chûte de l’éloquence, & Longin qui fleurissoit sous Galien, fit un chapitre sur les causes de la décadence de l’esprit. Cependant les récompenses des beaux-arts n’étoient point tombées chez les Romains. Semblablement nos académies subsistent toujours, mais elles ont dans leur institution des vices qui les ruinent. Ici l’inégalité des rangs est fixée par

des statuts du prince ; lorsqu’on n’y devroit connoître d’autre supériorité que celle du génie. Là se rend un tribut perpétuel d’éloges fastidieux, honteux langage de la servitude ! Souvent dans ces mêmes académies, la récompense du mérite est enlevée par les menées de l’intrigue ou de l’hypocrisie. La cupidité, la vanité, la jalousie, la cabale, se sont encore emparés de nos sociétés littéraires, plus que la noble ambition de s’y distinguer par ses talens ; la sagacité a dégénéré en suffisance, l’amour du beau, en amour du faux bel esprit : in deterius quotidiè data res est.

D’ailleurs ce n’est point au centre du luxe que les sciences établissent toujours leur domicile ; s’il en étoit ainsi, les connoîtroit on glorieusement aux bords des lieux où le Rhein vient le perdre, dans le voisinage des îles Orcades, & de celui du mont Adule ? Il ne faut pas pour être savant, arroser l’ame comme nous faisons, de quelques idées superficielles ; il la faut teindre de connoissances qui ne s’acquierent que par les veilles & les travaux.

Ajoutons que la noblesse du royaume, plongée dans la mollesse & l’oisiveté, a trouvé que l’ignorance étoit un état paisible, & elle n’a pas manqué d’en acréditer merveilleusement le parti. Aristote, Platon, Solon, Périclès, Démocrite, Hippocrate, Scipion, Cicéron, Hortensius, Lucullus, César, Pline, & tant d’autres grecs & romains, ne se croyoient pas en droit, parce qu’ils étoient de grands seigneurs, de négliger les sciences, & de vivre dans une glorieuse stupidité. Tout au contraire, ils firent cet honneur à leur rang & à leur fortune, de ne les employer qu’à acquérir des lumieres ; ils savoient bien que les gens éclairés conduisent par-tout les aveugles. Mais une nation qui dominée par l’exemple, fait gloire de préférer la légereté & les agrémens frivoles, au mérite que l’étude & les occupations sérieuses peuvent donner à l’esprit ; une telle nation, dis-je, doit tomber dans la barbarie. Aussi faut-il croire que dans cette nation, l’amour des sciences n’étoit sous Louis XIV. qu’une nouvelle mode ; du moins leur culture a passé comme une mode. Quelqu’autre Louis, dans la révolution des tems, pourra la faire naître, & la changer en un goût durable ; car c’est au génie éclairé des monarques, & à leurs mains bienfaisantes, qu’il appartient de fonder aux sciences des temples, qui attirent sans cesse la vénération de l’univers. Heureux les princes qui sauront ainsi mériter de l’humanité ! (Le chevalier de Jaucourt.)

Science en Dieu, (Théolog.) c’est l’attribut par lequel il connoît toutes choses, de quelque nature qu’elles soient. Dieu a une science parfaite & infinie ; il connoit tout ce qu’il y a de possible, tout ce qu’il y a de réel, tout ce qu’il y a de futur, soit absolu, soit conditionnel.

Quoique la science de Dieu considérée en elle-même soit un acte très simple, & comme un coup-d’œil net & juste par lequel tout est présent devant lui, cependant les divers objets qu’elle embrasse, ont fait distinguer aux Théologiens trois sortes de sciences en Dieu ; savoir, la science de simple intelligence, la science de vision, & une troisieme que quelques-uns appellent science moyenne.

La science de simple intelligence est celle par laquelle Dieu voit les choses purement possibles qui n’existent, ni n’existeront jamais. C’est l’attribut par lequel Dieu a la représentation simultanée & adéquate de tous les possibles. Pour le concevoir, autant que nous en sommes capables, il faut faire attention 1°. au nombre immense des possibles, 2°. à ce qu’emporte leur représentation distincte.

1°. Quant au nombre immense des possibles, l’univers étant l’enchaînure de toutes les choses tant simultanées que successives, pour arriver par la contemplation de la nature à une sorte de détermination