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lement cause directive, mais non pas efficiente, des choses qui arrivent ou qui doivent arriver, parce que selon l’axiome reçu, les choses ne sont pas futures, parce que Dieu les prévoit, mais Dieu les prévoit, parce qu’elles sont futures.

Mais comme les choses futures sont ou futures absolument, ou futures conditionnellement, & qu’entre ces dernieres il en est qui arriveront certainement, parce que la condition dont elles dépendent, sera posée, & d’autres qui n’arriveront pas, parce que la condition dont elles dépendent, ne sera pas posée : quelques théologiens ont distingué en Dieu une troisieme espece de science qu’ils nomment la science des conditionnels, scientia conditionatorum.

Ils définissent cette science des conditionnels, la connoissance que Dieu a des choses considérées du côté de leur essence, de leur nature ou de leur existence réelle, mais sous une certaine supposition, laquelle entraîne une condition, qui cependant ne sera jamais accomplie.

Ainsi, disent-ils, lorsque David fuyant la persécution de Saül, demanda à Dieu si les habitans de Ceila, ville où il s’étoit retiré, le livreroient à ses ennemis, Dieu qui savoit ce qui arriveroit à David, au cas qu’il continuât de rester à Ceïla, lui répondit : ils vous livreront, tradent. Ce que Dieu savoit, ajoutent-ils, par la science des conditionnels.

Le p. Daniel remarque que les vérités qui font l’objet de la science des conditionnels, sont fort différentes de celles que la science de simple intelligence ou celle de vision, ont pour objet ; que c’est une troisieme classe d’idées mitoyenne entre les choses purement possibles, & les choses qui existent ou existeront absolument. Mais les Thomistes & les Augustiniens leur répondent que de deux choses l’une : ou les conditionnels sont futurs sous une condition qui doit être remplie, & qui le sera effectivement, & en ce cas ils rentrent dans la classe des futurs absolus : ou ils sont futurs sous une condition qui ne sera jamais remplie, & alors il faut les ranger dans le nombre des choses purement possibles.

Au reste ces derniers ne refusent pas d’admettre cette science des conditionnels, comme une opinion philosophique, mais ils la combattent fortement considérée comme opinion théologique, c’est-à-dire, comme nécessaire pour éclaircir les questions de la prédestination, de la réprobation & de la grace.

La science des conditionnels considérée sous ce rapport, est appellée dans les écoles science moyenne, scientia media. Les Molinistes qui l’ont imaginée, la définissent : la connoissance des conditionnels par laquelle Dieu voit ce que la créature libre fera, ou ne fera pas de bien ou de mal conditionnellement, c’est-à-dire, si dans telles ou telles circonstances Dieu lui accorde telle ou telle grace. Ils la supposent antérieure à tout decret absolu & efficace en Dieu, & qu’elle dirige Dieu dans la formation de ses decrets. Cette opinion a ses défenseurs & ses adversaires, dont on peut voir les raisons pour & contre dans tous les théologiens modernes ; & il est libre de la soutenir dans les écoles, quelques efforts qu’on ait fait pour la noircir & pour la décrier. Voyez Augustiniens, Thomistes, Molinistes, &c.

Science secrete, (Hist. de l’Egl.) c’est selon Clément d’Alexandrie, la doctrine particuliere qui ne devoit être communiquée qu’aux parfaits, trop sublime & trop excellente pour le vulgaire, parce qu’elle est au-dessus de lui. Il paroît que ce pere de l’Eglise est un des premiers qui ait tâché d’introduire la discipline de la science secrete chez les chrétiens ; car avant lui, personne ne l’imagina ; mais Clément s’écarta de l’usage reçu, & se fit des principes à part, semblables à ceux des payens, qui cachoient leurs mysteres, & qui enveloppoient la science d’énigmes.

Leur exemple l’entraîna, & on le voit aisément par ce mot de Pindare qu’il rapporte lui même pour étayer son opinion : n’exposez point les anciennes doctrines en présence de tout le monde ; la voie du silence est la plus sûre.

D’ailleurs, c’étoit une ancienne coutume des sages, de voiler la sagesse, & de ne la communiquer que par des emblèmes, par des figures énigmatiques, & par des sentences obscures. Les Egyptiens le faisoient ; Pythagore l’avoit fait à leur exemple. Hipparque ayant osé décrier les dogmes de Pythagore, & les expliquer dans un livre exprès, on le chassa de l’école, & on lui éleva un tombeau, comme s’il eût été mort. Il y avoit des ouvrages d’Epicure qu’on tenoit secrets ; il y en avoit de Zenon, & d’autres philosophes. Ainsi Clément d’Alexandrie se persuada sans peine, qu’il y avoit aussi des doctrines secretes qu’il ne falloit communiquer que de vive voix de chrétien à chrétien, digne de les recevoir.

Cependant il ne faut pas s’imaginer, que ces doctrines secretes, que S. Clément ne permet de communiquer qu’aux parfaits, soient des vérités de la foi, ou des vérités essentielles, puisqu’on les prêchoit à tout le monde ; mais ce qu’il nomme doctrines secretes, sont les explications mystiques des lois, des cerémonies, en général de celles qui avoient été instituées dans le vieux Testament, ou ce qui avoit été dit mystiquement par les prophetes. C’étoit là la science secrete, dont il ne falloit parler qu’aux initiés. C’étoit là la tradition que J. C. avoit enseignée a ses disciples, la sagesse mystérieuse. Ce que S. Clément avoit permis de divulguer & d’enseigner à tous ; c’est ce que S. Paul appelle le lait, c’est-à-dire la doctrine des cathéchumenes, la foi, l’espérance, la charité ; mais ce qui, selon lui, ne devoit point être divulgué ; c’est ce que l’apôtre appelle viande solide, c’est-à-dire la connoissance des secrets, ou la compréhension de l’essence divine. Voilà, continue t-il, cette science secrete dont J. C. fit part à ses disciples depuis sa résurrection.

Quoi qu’il en soit de toutes les idées de Clément d’Alexandrie sur la science secrete, il est constant que les chrétiens n’ont jamais caché leurs mysteres aux infideles. S. Paul n’avoit point cette pratique ; elle ne fut point d’usage du tems de Tertullien, de Minucius Felix, & de Justin martyr ; ce dernier déclare qu’il seroit bien fâché qu’on l’accusât de rien dissimuler par malice, ou par affectation ; mais Clément d’Alexandrie se fraya une nouvelle route, & l’applanit si bien par son crédit & par son érudition, qu’il trouva des sectateurs, & S. Chrysostome lui-même tout homme sensé qu’il étoit. On peut voir la dissertation de Casaubon sur le silence mystérieux, exercit. XII. n° 43. (D. J.)

Sciences, jeux instructifs pour apprendre les, (Litter.) C’est ainsi qu’on a nommé divers jeux de cartes, & même de dez, imaginés pour apprendre aux enfans & aux jeunes gens, non-seulement les sciences qui ne demandent que des yeux & de la mémoire, telles que l’histoire, la géographie, la chronologie, le blason, la fable ; mais ce qu’il y a de plus singulier, les sciences mêmes qui demandent le plus de raisonnement & d’application, telles que la logique & le droit.

Le premier qui ait cherché la méthode d’apprendre les sciences par des figures, & à rendre utile pour l’esprit le jeu de cartes, est un cordelier allemand, nommé Thomas Mürner, né à Strasbourg. Ce religieux enseignant au commencement du xvj siecle la philosophie en Suisse, s’apperçut que les jeunes gens étoient rebutés des écrits d’un Espagnol, qu’on leur donnoit pour apprendre les termes de la dialectique. Il en fit une nouvelle par images & par figures, en forme de jeu de cartes, afin que le plaisir engageant