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ses bontés sur vous. Pour vous en convaincre, considerez-le sous ces différens rapports.

Que fait une mere pour l’enfant qui naît d’elle ? C’est Dieu qui fait tout. Lorsqu’il posoit la terre & les cieux sur leurs fondemens ; il avoit dès-lors cet enfant en vue, & le disposoit déjà à la longue chaîne d’évenemens qui devoit se terminer à sa naissance. Il faisoit plus, il le créoit en paitrissant le limon dont il forma son premier pere. L’instant est venu de faire éclore ce germe. C’est dans le sein d’une telle mere qu’il lui a plu de le placer, lui-même a pris soin de le fomenter & de le développer.

Dieu est le pere de tous les hommes, bien plus que chaque homme en particulier ne l’est de ses enfans. Choisissons le plus tendre & le plus parfait de tous les peres. Mais qu’est-il auprès de Dieu ? Lorsqu’un pere veille à la conservation de son fils, c’est Dieu qui le conserve ; lorsqu’il s’applique à l’instruire, c’est Dieu qui lui ouvre l’intelligence ; lorsqu’il l’entretient des charmes de sa vertu, c’est Dieu qui la lui fait aimer.

Si nous mettons en comparaison avec la vérité éternelle d’où procédent toutes nos connoissances, les maîtres qui nous guident & qui nous instruisent, soutiendront-ils mieux le parallele ? Ce n’est ni au travail de ceux qui nous enseignent, ni à nos propres travaux que nous devons la découverte des vérités ; Dieu les a rendues communes à tous les hommes : chacun les possede & peut se les rendre présentes : il n’est besoin pour cet effet que d’y réfléchir. S’il en est quelques-unes de plus abstraites, ce sont des trésors que Dieu a cachés plus avant que les autres, mais qui ne viennent pas moins de lui, puisqu’en creusant nous les trouvons au fond de notre ame, & que notre ame est son ouvrage. L’ouvrier fouille la mine, le physicien dirige ses opérations, mais ni l’un ni l’autre n’ont fourni l’or qu’elle enferme.

S’il est quelqu’un qui ait disputé à Dieu le titre de bienfaiteur, il ne faut pas se mettre en devoir de le combattre. La lumiere dont il jouit, l’air qu’il respire, tout ce qui contribue à sa conservation & à ses plaisirs, les cieux, la terre, la nature entiere destinés à son usage, déposent contre lui & le confondent assez. Il ne pense lui-même, ne parle, & n’agit que parce que Dieu lui a donné la faculté ; & sans cette providence contre laquelle il s’éleve, il seroit encore dans le néant, & la terre ne seroit pas chargée du poids importun d’un ingrat.

Tout ce que fait un ami pour la personne sur qui s’est fixée son affection, c’est de l’aimer, de lui vouloir du bien & de lui en faire. Or, c’est ce que nous venons de prouver de Dieu par rapport à nous. Mais que cette qualité d’ami si tendre & si flateuse pour nous, ne diminue rien du respect infini que nous doit inspirer l’idée de sa grandeur suprème. Moins dédaigneux que les monarques de la terre, ami de ses sujets, il veut que ses sujets soient les siens, mais il ne leur permet pas d’oublier qu’il est leur souverain-maître, & c’est à ce titre qu’il exige leurs hommages.

Ce n’est pas précisément parce que Dieu est grand que nous lui devons des hommages, c’est parce que nous sommes ses vassaux, & qu’il est notre souverain maître. Dieu seul possede sur le monde entier un domaine universel, dont celui des rois de la terre, n’est tout-au-plus que l’ombre. Ceux-ci tiennent leur pouvoir au-moins dans l’origine de la volonté des peuples. Dieu ne tient sa puissance que de lui-même. Il a dit, que le monde soit fait, & le monde a été fait. Voilà le titre primordial de sa royauté. Nos rois sont maîtres des corps, mais Dieu commande aux cœurs. Ils font agir, mais il fait vouloir : autant son empire sur nous est supérieur à celui de nos sou-

verains, autant lui devons-nous rendre de plus profonds

hommages. Ces hommages dûs à Dieu, sont ce qu’on appelle autrement culte ou religion. On en distingue de deux sortes, l’un intérieur, & l’autre extérieur. L’un & l’autre est d’obligation. L’intérieur est invariable ; l’extérieur dépend des mœurs, des tems & de la religion.

Le culte intérieur réside dans l’ame, & c’est le seul qui honore Dieu. Il est fondé sur l’admiration qu’excite en nous l’idée de sa grandeur infinie, sur le ressentiment de ses bienfaits & l’aveu de sa souveraineté. Le cœur pénétré de ces sentimens les lui exprime par des extases d’admiration, des saillies d’amour, & des protestations de reconnoissance & de soumission. Voilà le langage du cœur, voilà ses hymnes, ses prieres, ses sacrifices. Voilà ce culte dont il est capable, & le seul digne de la divine majesté. C’est aussi celui que J. C. est venu substituer aux cérémonies judaïques, comme il paroît par cette belle réponse qu’il fit à une femme samaritaine, lorsqu’elle lui demanda, si c’étoit sur la montagne de Sion ou sur celle de Sémeron qu’il falloit adorer : « le tems vient, lui dit-il, que les vrais adorateurs adoreront en esprit & en vérité ».

On objecte que Dieu est infiniment au-dessus de l’homme, qu’il n’y a aucune proportion entre eux, que Dieu n’a pas besoin de notre culte, qu’enfin ce culte d’une volonté bornée est indigne de l’Etre infini & parfait. Qui sommes-nous, disent ces téméraires raisonneurs, qui fondent leur respect pour la divinité sur l’anéantissement de son culte ? Qui sommes-nous pour oser croire que Dieu descende jusqu’à nous faire part de ses secrets, & penser qu’il s’intéresse à nos vaines opinions ? Vils atomes que nous sommes en sa présence, que lui font nos hommages ? Quel besoin a-t-il de notre culte ? Que lui importe de notre ignorance, & même de nos mœurs ? Peuvent-elles troubler son répos inaltérable, ou rien diminuer de sa grandeur & de sa gloire ? S’il nous a faits, ce n’a été que pour exercer l’énergie de ses attributs, l’immensité de son pouvoir, & non pour être l’objet de nos connoissances. Quiconque juge autrement est séduit par ses préjugés, & connoît aussi peu la nature de son être propre, que celle de l’Etre suprème. Ainsi, la religion qui se flatte d’être le lien du commerce entre deux êtres si infiniment disproportionnés, n’est à le bien prendre qu’une production de l’orgueil & de l’amour effréné de soi-même. Voici la réponse.

Il y a un Dieu, c’est-à-dire, un être infiniment parfait ; cet Etre connoît l’étendue sans bornes de ses perfections. A part qu’il est juste, car la justice entre dans la perfection infinie, il doit un amour infini à l’infinité de ses perfections infinies, son amour ne peut même avoir d’autre objet qu’elles. J’en conclus d’abord que s’il a fait quelque ouvrage hors de lui, il ne l’a fait que pour l’amour de lui, car telle est sa grandeur qu’il ne sauroit agir que pour lui seul, & comme tout vient de lui, il faut que tout se termine & retombe à lui, autrement l’ordre seroit violé. J’en conclus en second lieu, que l’Etre infiniment parfait, puisqu’il a tiré les hommes du néant, ne les a créés que pour lui, car s’il agissoit sans se proposer de fin, comme il agiroit d’une façon aveugle, sa sagesse en seroit blessée ; & s’il agissoit pour une fin moins noble, moins haute que lui, il s’aviliroit par son action même & se dégraderoit. Je vais plus loin. Cet Etre suprême, à qui nous devons l’existence, nous a faits intelligens & capables d’aimer. Il est donc vrai encore qu’il veut, & qu’il ne peut ne pas vouloir, d’une part, que nous employions notre intelligence à le connoître & à l’admirer ; de l’autre, que nous employions notre volonté & à l’aimer, & à lui obéir. L’ordre demande que notre intelligence soit