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& les devoirs des hommes les uns envers les autres, & envers eux-mêmes considérés comme créatures de l’Etre suprême. Voyez Raison, Déïste, Morale, Éthique. Voyez l’article qui suit Religion naturelle.

La religion revélée est celle qui nous instruit de nos devoirs envers Dieu, envers les autres hommes, & envers nous-mêmes, par quelques moyens surnaturels, comme par une déclaration expresse de Dieu même, qui s’explique par la bouche de ses envoyés & de ses prophetes, pour découvrir aux hommes des choses qu’ils n’auroient jamais connu, ni pu connoître par les lumieres naturelles. Voyez Révélation. C’est cette derniere qu’on nomme par distinction religion. Voyez l’article Christianisme.

L’une & l’autre supposent un Dieu, une providence, une vie future, des récompenses & des punitions ; mais la derniere suppose de plus une mission immédiate de Dieu lui-même, attestée par des miracles ou des prophéties. Voyez Miracle & Prophétie.

Les Déistes prétendent que la religion naturelle est suffisante pour nous éclairer sur la nature de Dieu, & pour régler nos mœurs d’une maniere agréable à ses yeux. Les auteurs qui ont écrit sur cette matiere, & qui jugent la religion naturelle insuffisante, appuient la nécessité de la révélation sur ces quatre points. 1o. Sur la foiblesse de l’esprit humain, sensible par la chûte du premier homme, & par les égaremens des philosophes, 2o. Sur la difficulté où sont la plupart des hommes de se former une juste idée de la divinité, & des devoirs qui lui sont dûs. 3o. Sur l’aveu des instituteurs des religions, qui ont tous donné pour marque de la vérité de leur doctrine des colloques prétendus ou réels avec la divinité, quoique d’ailleurs ils ayent appuyé leur religion sur la force du raisonnement. 4o. Sur la sagesse de l’Etre suprême qui ayant établi une religion pour le salut des hommes, n’a pu la réparer après sa décadence par un moyen plus sûr que celui de la révélation. Mais quelque plausibles que soient ces raisons, la voie la plus courte à cet égard, est de démontrer aux déistes l’existence & la vérité de cette révélation. Il faut alors qu’ils conviennent que Dieu l’a jugée nécessaire pour éclairer les hommes ; puisque d’une part ils reconnoissent l’existence de Dieu, & que de l’autre ils conviennent que Dieu ne fait rien d’inutile.

La religion revélée, considérée dans son véritable point de vûe, est la connoissance du vrai Dieu comme créateur, conservateur & redempteur du monde, du culte que nous lui devons en ces qualités, & des devoirs que sa loi nous prescrit, tant par rapport aux autres hommes, que par rapport à nous-mêmes.

Les principales religions qui ont régné, ou regnent encore dans le monde, sont le Judaïsme, le Christianisme, le Paganisme & le Mahométisme. Voyez tous ces mots sous leurs titres particuliers.

Le terme religion, se prend en l’Ecriture de trois manieres. 1o. Pour le culte extérieur & cérémoniel de la religion judaïque, comme dans ces passages : hæc est religio phase, voici quelle est la cérémonie de la pâque. Quæ est ista religio ? que signifie cette cérémonie ? Exod. xij. 43.

2o. Pour la vraie religion, la meilleure maniere de servir & d’honorer Dieu. C’est en ce sens que S. Paul dit qu’il a vécu dans la secte des Pharisiens, qui passe pour la plus parfaite religion des Juifs. Actes xxvij. 5.

3o. Enfin, religion dans l’Ecriture, de même que dans les auteurs profanes, se prend quelquefois pour marquer la superstition. Ainsi le même apôtre dit : N’imitez pas ceux qui affectent de s’humilier devant les anges, & qui leur rendent un culte superstitieux : Nemo vos seducat volens in humilitate & religione angelorum, &c. Epist. ad Colos. xj. 18.

Religion naturelle, (Morale.) la religion naturelle consiste dans l’accomplissement des devoirs qui nous lient à la divinité. Je les réduis à trois, à l’amour, à la reconnoissance & aux hommages. Pour sa bonté je lui dois de l’amour, pour ses bienfaits de la reconnoissance, & pour sa majesté des hommages.

Il n’est point d’amour désintéressé. Quiconque a supposé qu’on puisse aimer quelqu’un pour lui-même, ne se connoissoit guere en affection. L’amour ne naît que du rapport entre deux objets, dont l’un contribue au bonheur de l’autre. Laissons le quiétiste aimer son dieu, à l’instant même que sa justice inexorable le livre pour toujours à la fureur des flammes, c’est pousser trop loin le rafinement de l’amour divin. Toutes les perfections de Dieu, dont il ne résulte rien pour notre avantage peuvent bien nous causer de l’admiration, & nous imprimer du respect, mais elles ne peuvent pas nous inspirer de l’amour. Ce n’est pas précisément parce qu’il est tout-puissant, parce qu’il est grand, parce qu’il est sage que je l’aime, c’est parce qu’il est bon, parce qu’il m’aime lui-même, & m’en donne des témoignages à chaque instant. S’il ne m’aimoit pas, que me serviroit sa toute-puissance, sa grandeur, sa sagesse ? Tout lui seroit possible, mais il ne seroit rien pour moi. Sa souveraine majesté ne serviroit qu’à me rendre vil à ses yeux, il se plairoit à écraser ma petitesse du poids de sa grandeur ; il sauroit les moyens de me rendre heureux, mais il les négligeroit. Qu’il m’aime au-contraire, tous ses attributs me deviennent précieux, sa sagesse prend des mesures pour mon bonheur, sa toute-puissance les exécute sans obstacles, sa majesté suprème me rend son amour d’un prix infini.

Mais est-il bien constant que Dieu aime les hommes ? Les faveurs sans nombre qu’il leur prodigue ne permettent pas d’en douter, mais cette preuve trouvera sa place plus bas. Employons ici d’autres argumens. Demander si Dieu aime les hommes, c’est demander s’il est bon, c’est mettre en question s’il existe, car comment concevoir un Dieu qui ne soit pas bon ? Un bon prince aime ses sujets, un bon pere aime ses enfans, & Dieu pourroit ne pas aimer les hommes ? Dans quel esprit un pareil soupçon peut-il naître, si ce n’est dans ceux qui font de Dieu un être capricieux & barbare, qui se joue impitoyablement du sort des humains ? Un tel Dieu mériteroit notre haine & non notre amour.

Dieu, dites-vous, ne doit rien aux hommes. Soit. Mais il se doit à lui-même ; il faut indispensablement qu’il soit juste & bienfaisant. Ses perfections ne sont point de son choix, il est nécessairement tout ce qu’il est, il est le plus parfait de tous les êtres, ou il n’est rien. Mais je connois qu’il m’aime, par l’amour que je sens pour lui, c’est parce qu’il m’aime qu’il a gravé dans mon cœur ce sentiment, le plus précieux de ses dons. Son amour est le principe d’union, comme il en doit être le motif.

Dans le commerce des hommes l’amour & la reconnoissance sont deux sentimens distincts. On peut aimer quelqu’un sans en avoir reçu des bienfaits, on peut en recevoir des bienfaits sans l’aimer, sans être ingrat ; il n’en est pas de même par rapport à Dieu. Notre reconnoissance ne sauroit aller sans amour, ni notre amour sans reconnoissance, parce que Dieu est tout-à-la fois un être aimable & bienfaisant. Vous savez gré à votre mere de vous avoir donné le jour, à votre pere de pourvoir à vos besoins, à vos bienfaiteurs de leurs secours généreux, à vos amis de leur attachement ; or dieu seul est véritablement votre mere, votre pere, votre maître, votre bienfaiteur & votre ami ; & ceux que vous honorez de ces noms ne sont, à proprement parler, que les instrumens de