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les médailles d’argent de Pescennius Niger & de Julia Domna, rapportées par M. Patin.

Mais le chef-d’œuvre d’Euphranor étoit sa statue de Paris. Il indiqua, dit Pline, par son ouvrage, le juge des déesses, l’amant d’Hélene & le vainqueur d’Achille. Que de beautés dans cet éloge ! Et que l’idée seule de caractériser ces trois choses étoit agréable de la part de l’artiste ! je dis l’idée, car tant de différentes expressions étoient impossibles à exécuter à la lettre, mais c’est beaucoup que de les faire penser.

Au reste, Euphranor n’excelloit pas moins en Peinture qu’en Sculpture, & nous n’avons pas oublié son nom dans la liste des peintres célebres de l’antiquité.

Euthychide, sicyonien, de l’école de Lysippe, fit pour Denis, tyran de Syracuse, la statue de Timosthène athlete, qui remporta le prix du stade aux jeux olympiques. C’est ce même Euthychide, dit Pausanias, qui a fait pour les Syriens d’Antioche cette statue de la Fortune, qui est en si grande vénération parmi les peuples. Mais le chef-d’œuvre de cet artiste est la statue du fleuve Eurotas, qu’il exécuta en bronze d’une maniere si parfaite, que le travail, dit Pline, étoit encore plus coulant que les eaux de ce fleuve ; c’est un bel éloge du dessein, de la composition & de l’exécution, sur-tout quand il s’agit de représenter un fleuve ; c’est d’ailleurs tout ce qu’on peut demander à l’art que de trouver dans la nature des choses qui répondent à celles que l’imagination a créées. On dit aujourd’hui un dessein coulant, & on le dit encore avec plus de grace, quand il est placé dans les figures auxquelles il convient par leur estence.

Euthycrate, natif de Sycione, fils & disciple de Lysippe, imita son pere dans l’exacte observation des regles de la Sculpture, & aima mieux, selon Pline, s’attacher scrupuleusement à la correction, qu’aux agrémens & à l’élégance. Il tailla pour la ville de Delphes deux superbes statues, l’une d’Hercule & l’autre d’Alexandre. On vantoit encore singulierement sa grande chasse des Thespis & des Thespiades. Il fit plusieurs figures de Médée dans son char à quatre chevaux ; plusieurs représentacions de meutes de chiens, & un grouppe d’un combat à cheval qu’on mit à l’entrée de l’antre où se rendoient les oracles de Trophonius.

Léocharès, contemporain & rival de Scopas, vivoit dans la c. olympiade ; il fut un des quatre excellens sculpteurs qui travaillerent à ce superbe tombeau de Mausole, roi de Carie, que l’on a regardé comme une des sept merveilles du monde. On admiroit encore au Pirée deux de ses statues, une de Jupiter, & une autre qui représentoit le peuple d’Athènes.

Mais admirez comme Pline parle d’un autre ouvrage de Léocharès : cet artiste, dit-il, exécuta un aigle enlevant Ganimede, sentant le mérite du poids dont il est chargé, & la grandeur de celui auquel il le porte, craignant de blesser avec ses ongles les habits même du jeune phrygien.

Cette composition ne paroît pas seulement possible & simple, mais charmante à M. le comte de Caylus, qui de plus ne doute point que l’exécution n’ait répondu parfaitement à la beauté de l’idée, & je trouve encore, continue-t-il, que dans la description du fleuve Eurotas représentée par Eutychides, dans celle de Ganymede, Pline a peint les délicatesses de l’art & celles de l’esprit.

Léontius fit un ouvrage à Syracuse qui représentoit un homme boitant par les souffrances que lui causoit un ulcere ; sur quoi Pline, l. XXXIV. c. viij. dit : Syracusis autem claudicantem, cujus ulceris dolorem sentire etiam spectantes videntur ; ce récit prouve au-moins que l’ouvrage de Léontius ne laissoit rien à

desirer pour l’expression. Quelqu’un trouvera peut-être la métaphore de Pline un peu forte : mais les amateurs des arts ont des façons de parler vives, enthousiastes, & qui ne servent que mieux à peindre le sentiment.

Lysias fit un char à quatre chevaux, dans lequel Apollon & Diane étoient placés, & ce bel ouvrage étoit d’un seul bloc. Auguste le mit sur l’arc qu’il consacra à la mémoire de son pere, & le renferma dans un petit temple environné de colonnes. C’est Pline qui fait ce récit. L’arc dont il parle comme d’une nouvelle invention pour porter des statues, étoit apparemment d’une médiocre grandeur, & se réduisoit à un grand socle ou piédestal chargé de la figure du monument. Ce corps solide devoit cependant avoir une certaine hauteur, pour indiquer une plus grande idée de magnificence que des colonnes & des piédestaux ordinaires, d’autant même que ces corps étoient encore plus susceptibles de tous les bas-reliefs dont on vouloit les enrichir.

Lysippe natif de Sycione & contemporain d’Alexandre ; c’étoit à lui & à Apelle seulement qu’il étoit permis de représenter ce conquérant. Lysippe fit plusieurs statues de ce prince, suivant ses différens âges. L’empereur Néron posséda la plus précieuse ; mais comme elle n’étoit que de bronze, il crut que l’or en l’enrichissant la rendroit plus belle ; il arriva tout au contraire, que la nouvelle parure gâta la statue, & qu’on fut forcé d’enlever l’or, ce qui dégrada beaucoup cette antique par les taches & les cicatrices qui y resterent.

Lysippe travailloit avec autant de génie que de facilité. Une imitation trop servile de la nature étant un défaut plutôt qu’une beauté, il savoit lui donner plus de graces & d’agrémens qu’elle n’a coutume d’en avoir. Ce célebre artiste avoit représenté un homme sortant du bain, morceau précieux qui faisoit un des plus grands ornemens des thermes d’Agrippa. Tibere fit enlever cette piece admirable pour en embellir son palais ; mais le peuple ne put s’accoutumer à ne plus voir ce chef-d’œuvre de l’art, & força l’empereur de le restituer.

Duris rapporte que Lysippe, ce sont les paroles de Pline, n’a point eu de maître ; Tullius apparemment Cicéron, soutient qu’il en a eu un, mais que dans les commencemens qu’il étudioit son art, la réponse du peintre Eupompus lui donna un excellent précepte ; car lui ayant demandé quel étoit celui des anciens dont il lui conseilloit de suivre la maniere, il lui montra une multitude d’hommes, & lui indiqua par-là qu’il ne falloit suivre que la nature. Toutes les parties de l’esprit ont autant besoin que les arts de cette grande vérité, & tous ceux qui n’ont pas eu la nature en vûe n’ont présenté que de faux brillans, & leurs succès n’ont jamais été que passagers.

Après la liste d’une partie des grands & des beaux ouvrages de Lysippe, Pline finit par dire : il a beaucoup embelli l’art statuaire par la façon légere dont il a traité les cheveux, par la diminution des têtes que les anciens tenoient fortes, & par les corps traités plus légers & plus sveltes pour faire paroître ses statues plus grandes.

Mais ce qui semble fort étonnant est la quantité d’ouvrages que Lysippe exécuta. Il fit six cens dix morceaux de sculpture, qui tous auroient rendu célebre l’artiste qui n’en auroit fait qu’un seul, ajoute Pline, l. XXXIV. c. vij. tantæ omnia artis, ut claritatem possent dare vel singula.

Il fut aisé de savoir leur nombre, car il avoit coutume de mettre à part un denier d’or, quand il avoit produit un nouvel ouvrage, & son héritier en fit le calcul après sa mort ; cependant ce fait mérite d’être expliqué ; voici donc ce qu’en pense M. de Caylus.