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vanité. On a donc écrit qu’un espagnol s’est laissé enfermer la nuit dans l’église de S. Pierre de Rome pour jouir d’une figure qui est au tombeau du pape Paul III. elle est de la main de Guillaume della Porta, éleve de Michel-Ange, mais sculpteur assez sec, & sa statue n’est pas trop belle ; cependant comme elle étoit trop nue, on la couvrit d’une draperie de bronze.

Rhæcus de Samos, eut pour fils Théodore & Telecles ; voilà les premiers des grecs qui ayent eu l’art de fondre une statue. Avant eux on faisoit, dit Pausanias, une statue comme un habit, successivement & par pieces, non d’un seul jet. Il résulte de-là qu’avant la guerre de Troie, les hommes ne connoissoient pas encore le secret de fondre le métal, & de le jetter en moule. Rhoecus, Telecles, & Théodore florissoient du tems de Polycrate. Or Polycrate, contemporain de Cambyse, vivoit en la 64 olympiade 500 ans avant l’ere chrétienne.

Salpion, athénien ; c’est à lui qu’on attribue ce beau vase antique qu’on voit à Gaïette, ville maritime du royaume de Naples, où il sert pour les fonts de baptême dans la grande église. Ce superbe morceau de sculpture avoit été construit, à ce qu’on pense, pour contenir l’eau lustrale dans quelque ancien temple des payens.

Saurus & Batrachus, architectes & sculpteurs célebres de Lacédémone, entreprirent de bâtir & d’orner à leurs dépens les temples de Rome qui étoient entre les portiques d’Octavie, & se flatterent d’y pouvoir mettre leur nom ; cependant quelque dépense qu’ils eussent faite, & quelle que fût leur habileté, on leur refusa impitoyablement ce qu’ils demandoient, & toute leur adresse se borna à semer en maniere d’ornement, des lézards & des grenouilles sur les bases & les chapiteaux de toutes les colonnes. Le nom de Saurus étoit désigné par le lézard, que les Grecs nomment σαῦρος, & celui de Batrachus par la grenouille, qu’ils appellent βάτραχος.

Scopas naquit à Paros ; & fleurissoit à Ephese vers la centieme olympiade. Il travailla avec d’illustres concurrens au fameux mausolée qu’Artémise fit ériger à Mausole son mari, mort la 106 olympiade dans la ville d’Halycarnasse. Sa colonne pour le temple de Diane d’Ephese passoit pour la plus belle de toutes ; mais sa Vénus qui fut dans la suite transportée à Rome, étoit son chef-d’œuvre. On a même pretendu qu’elle égaloit en beauté celle de Praxitele. Outre Vénus, Scopas avoit fait un Phaëton, un Apollon, une Vesta avec deux filles assises à terre à ses côtés, un Neptune, une Thétis, un Achille, un Mars, & la plûpart de ces statues étoient à Rome. L’Amour, Pothos (le Desir) & Phaëton étoient encore trois statues de ses mains, qu’on voyoit avec admiration dans le temple de Vénus Praxis à Mégare. Cet excellent artiste les avoit réprésentées aussi diversement que ces trois choses sont différentes ; mais il faut représenter le détail entier que Pline nous a donné des ouvrages de ce grand maître.

Il fit, dit-il, Vénus, Pothos & Phaëton, qui sont adorés en Samothrace avec les cérémonies les plus saintes : l’Apollon palatin, la Vesta assise, ayant auprès d’elle deux vestales assises à terre : ce dernier morceau est très-célebre. Scopas a répété les deux vestales ; elles sont dans les bâtimens d’Asinius Pollio, où l’on voit de plus une canéphore ; mais ce que l’on trouve supérieur, & que l’on voit dans le temple de C. N. Domitius, au cirque de Flaminius, ce sont les figures de Neptune, de Thétis, d’Achille, des Néréïdes assises sur des dauphins & des chevaux marins, des tritons avec une trompe à la suite de Phorcus ; enfin plusieurs autres choses convenables aux divinités de la mer. Pline dit de ce morceau, qui selon toute apparence avoit été traité en bas-relief,

magnum & præclarum opus, etiamsi totius vitæ fuisset. Ouvrage qui seroit admirable, quand il auroit occupé toute la vie d’un homme.

Nous ne connoissons pas, continue-t-il, tous les morceaux qui sont sortis de la main de cet artiste ; cependant il a exécuté Mars assis & de proportion colossale. Cette statue est placée dans le temple de Brutus Gallaïcus, dans le même cirque où l’on voit de plus une Vénus nue capable de rendre célebre tous les autres lieux qui pourroient la posseder ; mais l’air de grandeur & de magnificence qui regne par-tout dans la ville de Rome, peut seul étouffer la réputation de ces grands morceaux : il n’est pas possible de les admirer & de les contempler ; le mouvement des affaires détourne sans cesse, & l’admiration des chefs-d’œuvres a besoin du silence & de la tranquillité de l’esprit.

Cette peinture du mouvement de la ville de Rome est peut-être plus frappante que toutes celles qui se trouvent dans aucun autre auteur.

On ne sait, continue Pline, si c’est à Scopas ou à Praxitele que l’on doit attribuer la Niobé mourante avec ses enfans ; ce grouppe est placé dans le temple d’Apollon Sosien. Le sujet de Niobé se voit encore partie dans la vigne de Médicis à Rome ; mais il est douteux si ces restes appartiennent à celui dont parle Pline.

On ignore aussi, continue toujours cet auteur, lequel de ces deux artistes, Scopas ou Praxitele, a fait le Janus que l’on voit au temple d’Auguste, & que ce prince avoit fait apporter d’Egypte : on le sait d’autant moins que l’on a fait dorer la figure.

Voilà, dit M. de Caylus, une raison tirée de l’art ; car il est constant que toute couleur, dorure ou vernis appliqué sur une statue, ôte des finesses, empêche de distinguer la touche, émousse les vives arêtes, denature l’expression de la chair, & par conséquent empêche souvent les connoisseurs de l’attribuer à un maître plutôt qu’à un autre. Les anciens allioient encore quelquefois, dans les ouvrages de sculpture en ronde-bosse, les marbres de couleur, l’or, l’ivoire & le bronze. Les modernes ont heureusement banni cette fausse magnificence, qui diminue, interrompt l’effet, & ne produit aux yeux qu’un papillotage sans goût.

Je reviens à Scopas, pour dire, en finissant son article, que son nom acquit de plus en plus de la célébrité, non-seulement par ses ouvrages qui subsisterent, mais parce qu’il avoit eu des émules & des rivaux d’un grand mérite. Horace, ode viij. liv. IV. en fait lui-même un bel éloge. « Si j’avois, dit-il, un cabinet enrichi des chefs-d’œuvres de Parrhasius ou de Scopas… »

Divite me scilicet artium,
Quas aut Parrhasius, aut Scopas.

Silanion, né à Athènes, vivoit du tems d’Alexandre le grand, & se rendit très-habile dans son art, sans avoir eu de maître. Les historiens parlent de la statue d’un certain Satyrus qui avoit souvent remporté le prix aux jeux de la Grèce, de celle de l’athlete Démarate, de celle d’Achille, & de celle d’un Epistates exerçant les lutteurs. Cicéron vante extrémement la Sapho de bronze de ce célebre statuaire. Verrès l’avoit enlevée du prytanée de Syracuse. Pline raconte que le même Silanion avoit jetté en bronze la statue d’Apollodore son confrere, homme emporté contre lui-même, & à qui il arrivoit souvent de briser ses propres ouvrages, parce qu’il ne pouvoit les porter à la souveraine perfection dont il avoit l’idée dans l’esprit ; Silanion représenta d’une maniere si vive cet emportement, que l’on croyoit voir, non Apollodore, mais la colere en personne : hoc in eo expressit, nec hominem ex aere fecit, sed iracundiam, dit