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Pline. Silanion écrivit un traité des proportions, suivant le témoignage de Vitruve.

Socrate. Je me garderai bien d’envier à la sculpture l’honneur qu’elle a eu de compter ce grand homme parmi ses éleves. Il étoit fils d’un statuaire, & il le fut lui-même avant que de s’attacher à la physique & à la morale. Il disoit que la sculpture lui avoit enseigné les premiers preceptes de la philosophie. On lui attribuoit communément les trois graces qu’on conservoit dans la citadelle d’Athènes ; elles n’étoient point nues, mais couvertes. Le plus sage des Grecs n’est pas le seul de son nom qui ait cultivé la sculpture ; il y avoit près de Thèbes une chapelle bâtie par Pindare, en l’honneur de Cybèle, la statue de la déesse étoit l’ouvrage de deux thébaïtes, nommés Socrate & Aristomede ; elle étoit de marbre du mont Centélique, & on ne pouvoit la voir qu’une fois l’année.

Strongilion est de tous les statuaires celui qui réussissoit le mieux à représenter des chevaux & des bœufs.

Téleclès & Théodore ; les Egyptiens, selon Diodore de Sicile, liv. I. assurent que les plus fameux des anciens sculpteurs de la Grece, ont pris des leçons chez eux. Tels furent entre autres Téleclès & Théodore de Samos, fils de Rhœcus, qui ont fait la statue d’Apollon Pythien, qu’on voit à Samos. Téleclès, si nous les en croyons, fit à Samos une moitié de cette statue, pendant que son frere Théodore travailloit l’autre à Ephèse ; & le rapport de ces deux moitiés se trouva si parfait, que toute la figure paroissoit être d’une seule main. Ils ajoutent que cette pratique singuliere, peu connue des sculpteurs grecs, est très en vogue parmi les artistes égyptiens ; ceux ci ne jugent pas comme les Grecs, d’une figure, par le simple coup d’œil, mais rapportant les proportions du petit au grand, ils taillent séparément, & dans la derniere justesse, toutes les pierres qui doivent former une statue. C’est pour cela qu’ils ont divisé le corps humain en vingt-une parties & un quart, en donnant à chacune d’elles, une grandeur relative à celle des autres, & du tout ensemble ; ainsi quand les ouvriers sont une fois convenus entr’eux de la hauteur de la figure, ils vont exécuter chacun chez soi les parties dont ils sont chargés, & elles s’ajustent ensemble d’une maniere étonnante pour ceux qui ne sont pas au fait de cette pratique ; or les deux moitiés de l’Apollon de Samos, travaillées à part dans le goût égyptien, se joignent, dit-on, suivant toute la hauteur du corps, & quoiqu’il ait les deux bras étendus, & qu’il soit dans l’attitude d’un homme qui marche, sa figure entiere est dans la plus exacte proportion ; enfin cet ouvrage cede peu aux chefs-d’œuvres de l’Egypte même, qui lui ont servi de modele.

On a de la peine à comprendre ce que Diodore rapporte ici des sculpteurs égyptiens, dit M. de Caylus, dans ses reflexions sur ce passage ; comment, ajoute-t-il, des artistes travaillans séparement, en des lieux distans l’un de l’autre, & sans se communiquer leurs opérations, pouvoient-ils chacun faire une moitié de statue, dont la réunion composoit un tout parfait ?

Si l’on croit la chose probable, il faut du moins supposer un fait que Diodore a passé sous silence ; c’est qu’il y avoit en premier lieu un modele arrêté, & sur lequel chacun s’étoit reglé. N’est-ce pas en effet ce que cet historien a prétendu faire entendre, lorsqu’il dit que les sculpteurs égyptiens, en prenant leurs mesures, rapportent les proportions du petit au grand, comme le font encore aujourd’hui nos sculpteurs. Les Grecs au-contraire, dit Diodore, jugent d’une figure par le simple coup d’œil ; ce qui veut dire qu’ils travaillent sans modele, chose difficile, mais possible.

Au reste, le travail dont il s’agit devenoit d’autant

plus facile à exécuter, que la statue de l’Apollon pythien, qu’ils avoient ainsi travaillée, étoit, à ce que rapporte le même auteur, dans le goût des statues égyptiennes, c’est-à-dire qu’elle étoit les bras étendus, & collés le long du corps, les jambes, l’une en avant, l’autre en arriere, dans l’attitude de quelqu’un qui se prépare à marcher ; & c’est ainsi en effet que sont la plûpart des statues égyptiennes ; elles ne varient presque point d’attitude ; les ouvriers étant une fois convenus des mesures & des proportions générales, pouvoient travailler en quelque façon à coup sûr, & même disposer les différentes pierres qui devoient composer une statue colossale ; car il seroit ridicule de penser que les statues dont il s’agit ici, fussent des statues de grandeur naturelle. Un seul bloc, & un seul ouvrier devoient suffire pour chacune ; au lieu que pour une statue hors de proportion, il étoit naturel de distribuer les différentes parties dont elle étoit composée, à différens ouvriers.

Voilà l’utilité que les sculpteurs égyptiens tiroient de ces regles de proportion dont ils étoient convenus entre eux, regles qui ne peuvent pas s’entendre des justes proportions du corps humain, parce que les Grecs les connoissoient aussi-bien qu’eux, & les suivoient avec encore plus d’exactitude. Tout ce qu’il y avoit donc de différent entre les uns & les autres, c’étoit la maniere d’opérer : les Grecs travailloient sans s’assujettir à prendre des mesures sur un modele ; les Egyptiens au-contraire, faisoient de petits modeles, qui leur servoient à faire les statues en grand ; de-là vient, dit Diodore, que les sculpteurs qui devoient travailler sur un même ouvrage, étant convenus de la grandeur que doit avoir cet ouvrage, se séparent, & sans doute, comme je crois le pouvoir ajouter, emportent chacun une copie du modele convenu ; enfin après avoir travaillé séparément, ils rapportent chacun les pieces qu’ils ont faites, & lorsqu’elles sont rejointes, elles forment un tout exact : pratique bien capable de causer de la surprise & de l’admiration à ceux qui ne sont pas au fait de cette opération.

Il n’y a donc rien que de très-faisable & de très vraissemblable dans ce récit : on observe cependant que les statues qui nous restent des Egyptiens, ne sont toutes que d’un seul bloc ; mais ce sont celles qui sont d’une grandeur naturelle, & qui n’ont dû être l’ouvrage que d’un seul artiste ; par conséquent la pratique des sculpteurs égyptiens, dont parle Diodore, n’étoit pas générale, elle n’étoit d’usage que pour les statues colossales. Il en reste quelques-unes de cette derniere espece dans la haute Egypte, qui sont en effet composées de plusieurs blocs de marbre, du moins autant qu’on en peut juger sur les desseins. Or ces colonnes peuvent avoir été travaillées dans différens atteliers, partie par partie, & de la façon dont le dit Diodore. Ainsi en restraignant à ces sortes de statues la pratique dont il est question, il ne sera pas difficile de comprendre ce que rapporte l’historien ; & le merveilleux qui y paroît attaché, disparoîtra sans peine. Mém. de l’acad. des Inscr. tom. XIX.

Téléphanes, phocéen, n’a point fait parler de lui, & la raison du silence qu’on a gardé sur le vrai mérite de cet artiste, dit Pline, l. XXXIV c. viij. c’est qu’il avoit travaillé pour les rois Xerxès & Darius. Bien des gens pourroient regarder cette punition comme une espece d’humeur mal entendue ; mais cette convention générale, parfaitement exécutée par tous les peuples de la Grèce, peint bien les Grecs. Elle leur fait d’autant plus d’honneur, que leur goût pour les arts & pour les bons artistes n’étoit pas douteux.

Théodore, dont j’ai déja parlé, frere de Téleclès, & qui executa le labyrinthe de Samos, réunissoit les