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On a dit d’eux qu’ils ne connoissoient pas de crime plus grand que le vol ; qu’ils vivoient sous des tentes ; que laissant paître au hasard leurs troupeaux, la seule richesse qu’ils eussent, ils n’étoient sûrs de rien s’il étoit permis de voler ; qu’ils ne faisoient nul cas de l’or ni de l’argent ; qu’ils vivoient de miel & de lait ; qu’ils ignoroient l’usage de la laine & des vêtemens ; qu’ils se couvroient de la peau des animaux dans les grands froids ; qu’ils étoient innocens & justes ; & que réduits aux seuls besoins de la nature, ils ne desiroient rien au-delà.

Nous nous occuperons donc moins dans cet endroit, de l’histoire de la Philosophie, que de l’éloge de la nature humaine, lorsqu’elle est abandonnée à elle-même, sans loi, sans prêtres & sans roi.

Les scythes grossiers ont joui d’un bonheur que les peuples de la Grece n’ont point connu. Quoi donc ! l’ignorance des vices seroit-elle préférable à la connoissance de la vertu ; & les hommes deviennent-ils méchans & malheureux, à mesure que leur esprit se perfectionne & que les simulacres de la divinité se dégrossissent parmi eux ? Il y avoit sans doute des ames bien perfides & bien noires autour du Jupiter de Phidias ; mais la pierre brute & informe du scythe fut quelquefois arrosée du sang humain. Cependant, à parler vrai, j’aime mieux un crime atroce & momentané, qu’une corruption policée & permanente ; un violent accès de fievre, que des taches de gangrene.

Les Scythes ont eu quelqu’idée de Dieu. Ils ont admis une autre vie ; ils en concluoient qu’il valoit mieux mourir que de vivre : cette opinion ajoutoit à leur courage naturel. Ils se réjouissoient à la vûe d’un tombeau.

Le nom d’Abaris, scythe hyperboréen, prêtre d’Apollon, & fils de Scute, fut célebre dans la Grece. Qui est-ce qui n’a pas entendu parler de la fleche merveilleuse à l’aide de laquelle il traversoit sans peine les contrées les plus éloignées ; de ses vertus contre la peste ; du voyage d’Abaris en Grece & en Italie ; de son entretien avec Pythagore ; du don qu’il lui fit de sa fleche ; des conseils qu’il reçut du philosophe en échange ? Pythagore reçoit le présent d’Abaris avec dédain, & lui montre sa cuisse d’or. Il apprend au barbare la Physique & la Théologie ; il lui persuade de substituer à ses exstispices, la divination par les nombres. On les transporte tous les deux à la cour de Phalaris ; ils y disputent ; & il se trouve presque de nos jours, de graves personnages qui, partant de ces fables comme de faits historiques bien constatés, cherchent à fixer l’époque de la fameuse peste de la Grece, le regne de Phalaris & l’olympiade de Pythagore.

S’il y eut jamais un véritable Abaris ; si cet homme n’est pas un de ces imposteurs qui couroient alors les contrées, & qui en imposoient aux peuples grossiers, il vécut dans la iij. olympiade.

Au reste, dans les tems postérieurs, lorsque la religion chrétienne s’établit, & que toutes les sectes des philosophes s’éleverent contr’elle, on ne manqua pas de reveiller, d’orner tous ces prétendus miracles, & de les opposer à ceux de J. C. Voyez dans Origène avec quel succès.

Anacharsis est mieux connu. Il étoit scythe, fils de Caduste & d’une greque, frere du roi des Perses, & de cette tribu de la nation qu’on appelloit nomades, de leur vie errante & vagabonde ; il préféra l’étude de la Philosophie à l’empire. Il vint à Athènes la premiere année de la xlvij. olympiade ; il y trouva Toxaris un de ses compatriotes, qui le présenta à Solon qui gouvernoit alors, & qui eut occasion de s’appercevoir qu’un scythe ne manquoit ni de lumieres, ni de sagesse. Solon se plut à instruire Anacharsia, à l’introduire dans les plus grandes maisons d’A-

thènes ; & il réussit à lui procurer de l’estime & de là

considération au point qu’il fut le seul barbare à qui les Athéniens accorderent le droit de bourgeoisie : De son côté Anacharsis reconnut ces services par l’attachement le plus vrai, & par l’imitation rigoureuse des vertus de son bienfaiteur ; ce fut un homme ferme & sententieux. Les Grecs en ont raconté bien des fables. Anacharsis ne se fixa point dans Athènes, il voyagea ; il étudia les mœurs des peuples, & reprit le chemin de son pays par Cizique, où il promit des sacrifices à la mere des dieux dont on célébroit la fête dans cette ville, si elle lui accordoit un heureux retour. Arrivé en Scythie, il satisfit à son vœu ; mais ses compatriotes qui abhorroient les mœurs étrangeres, en furent indignés ; & Saulnis son frere, le perça d’une fleche. Il disoit en mourant : « La sagesse qui a fait ma sécurité dans la Grece, a fait ma perte dans la Scythie ». Parmi les sciences auxquelles il s’étoit appliqué, il n’avoit pas négligé la Médecine. Ce ne fut point à proprement parler, un philosophe systématique ; mais un homme de bien. Comme il étoit destiné par sa naissance aux premiers postes, il avoit tourné ses réflexions particulierement vers la politique & la religion. Il écrivit en vers, car c’étoit l’usage de son tems, des lois, de la sobriété & de la guerre. On lui fait honneur de quelques inventions méchaniques. Les épîtres qu’on lui attribue, sentent l’école des sophistes.

La réputation des Grecs avoit attiré Toxaris dans Athènes. Il quitta ses parens, sa femme & ses enfans, pour venir considerer de près des hommes dont il avoit entendu tant de merveilles. Il s’attacha à Solon, qui ne lui refusa point ses conseils. Ce législateur trouva même dans cet homme tant de droiture & de candeur, qu’il ne put lui refuser une amitié forte & tendre. Toxaris ne retourna point en Scythie ; il eut en Grece la réputation de grand médecin. Dans le tems de la peste, il apparut en songe à une femme à qui il révéla que le fleau cesseroit, si on repandoit du vin dans les carrefours ; on le fit, & la peste cessa. On sacrifioit tous les ans, en mémoire de cet événement, un cheval blanc sur son tombeau, où quelques malades de la fievre obtinrent leur guérison.

Mais personne n’eut autant de célébrité & d’autorité chez les Scythes, que le gete Zamolxis. Il fut le fondateur de la philosophie parmi eux. Il y accrédita la transmigration des ames, systême qu’il avoit appris de Pythagore, ou Pythagore de lui ; il s’en servit pour accroître leur valeur, par le sentiment de l’immortalité. Les Thraces & tous les barbares l’inspiroient à leurs enfans des la premiere jeunesse. Les Getes à qui il avoit donné des lois, le placerent au rang des dieux. On lui institua des sacrifices bien étranges. A certains jours solemnels on prenoit des hommes, on les précipitoit, & d’autres les recevoient en tombant sur la pointe de leurs javelots : voilà ce qu’ils appelloient envoyer à Zamolxis.

Il suit de ce que nous savons d’Anacharsis, de Toxaris & de Zamolxis, que ces hommes furent moins des philosophes que des législateurs.

Il ne faut pas porter le même jugement de Dicéneus ; celui-ci joignit à l’art de gouverner, la connoissance de l’Astronomie, de la Morale & de la Physique. Il fut contemporain du roi Bérébeste qui vivoit en même tems que Sylla & Jules-César.

Les Scythes, les Getes & les Thraces furent instruits autant que peuvent l’être des peuples qui vivent toujours en armes.

SCYTHIACA Regio, (Géogr. anc.) contrée de l’Egypte. Ptolomée, lib. IV. c. v. lui donne une seule ville qu’il nomme Schiatis. (D. J.)

SCYTHICUS sinus, (Géogr. anc.) golfe de la mer Caspienne, dont Pline, lib. VI. c. xiij. & Pomponius Mela, lib. III. c. v. font mention. (D. J.)