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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/151

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leuses, à peine y trouve-t-on un caillou. Les lieux élevés sont arides & brûlés du soleil ; l’inondation annuelle de la campagne, produit seule l’abondance de la récolte du riz. Les pâturages sont grossiers ; aussi n’y a-t-il dans le pays ni chevaux, ni mulets, & tout se réduit aux bœufs & aux éléphans. La chasse des derniers est permise, mais on n’y va que pour les prendre, & jamais pour les tuer. On voit toujours un éléphant de garde au palais du roi tout enharnaché & prêt à monter. A l’endroit où il est mis de garde, il y a un échaffaud qui est à plein pié de l’appartement du roi, afin que sans sortir le prince puisse monter tout-de-suite sur son éléphant.

L’eau pure est la boisson ordinaire des Siamois ; mais comme c’est de l’eau de riviere chargée de bourbe, on la met dans de grands vases pour la laisser reposer & filtrer pendant un certain espace de tems. Ils boivent aussi de-deux liqueurs qu’ils appellent tari & neri. Le tari se tire par incision d’une espece de cocotier sauvage ; le neri se tire de même de l’arequier, sorte d’arbre dont le fruit se nomme areque. Ils boivent encore des eaux-de-vie de riz, qu’ils éclaircissent avec de la chaux.

Leur dépense en habits, en logement & en ameublemens n’est pas couteuse. D’abord ils ne s’habillent point : ils vont nuds piés & nue tête, & s’entourent seulement les reins d’une piece de toile peinte qu’on appelle pagne. Leurs maisons les plus belles sont de bois, & à un seul étage. La plûpart de leurs lits ne consistent qu’en une natte de jonc. Les tables sont sans piés, sans napes, ni serviettes, ni cueilleres, ni fourchettes, ni couteaux. Point d’autres sieges que des nattes de jonc. Leur vaisselle est de porcelaine grossiere, ou d’argille. Le bois simple ou vernissé leur fournit tout le reste. Leur nourriture ordinaire est le riz & le poisson. La mer leur donne aussi de petites tortues & des écrevisses. Les sauterelles, les lézards, & la plûpart des insectes, ne déplaisent point à leur goût. Leurs fausses sont faites avec un peu d’eau, de sel, de petites herbes, & un peu d’épices, que leur fournissent les Hollandois.

Les formalités de leurs mariages sont assez simples ; mais à cause de la chaleur du climat, on a coutume de marier les filles & les garçons fort jeunes, de sorte que les filles ont souvent des enfans à l’âge de douze ans. Les hommes peuvent avoir plusieurs femmes, dans le nombre desquelles il y a en a toujours une qui est la principale de toutes. Le divorce y est commun ; en ce cas le mari rend à sa femme principale sa dot ; & ils partagent leurs enfans également, si leur nombre est pair ; s’il est impair, la femme en a un de plus que le mari. Pour les autres femmes & leurs enfans, le mari a la puissance de les vendre. Après le divorce, le pere & la mere peuvent aussi vendre les enfans qui leur sont échus en partage.

Il y a des tribunaux de judicature pour juger tous les différens des particuliers ; mais il n’y a dans chaque tribunal qu’un seul officier qui ait voix délibérative ; tous les autres n’ont que voix consultative, selon l’usage de la Chine, & autres états voisins. Les gouverneurs des villes sont les chefs des tribunaux. Dans les procès délicats, on admet la preuve du feu, de l’eau, & des vomitifs. La peine du vol est la condamnation au double ou au triple ; mais on étend la peine du vol sur toute la possession injuste en matiere réelle : de sorte que lorsqu’on est évincé d’un héritage par procès, on rend non-seulement l’héritage à la partie, mais on en paye encore le prix, moitié aux juges, moitié à la partie. Quand il peut y avoir peine de mort, la décision en est reservée au roi seul, qui quelquefois seulement accorde à des juges extraordinaires qu’il envoie dans les provinces, le pouvoir d’infliger une peine capitale.

Le roi est entierement despote ; tout le peuple

sans distinction lui appartient. La seule différence qu’il y a des esclaves du roi à ses sujets de condition libre, c’est que ceux-là sont toujours occupés à des travaux personnels, & sont nourris ; au lieu que ceux-ci ne lui doivent de travail que six mois de l’année, & se nourrissent eux-mêmes. Généralement tout le peuple est une milice enrôlée ; mais comme ce prince n’emploie jamais tous ses sujets dans son armée, & que rarement il met une armée en campagne, il occupe à tel travail qu’il lui plaît pendant six mois de l’année, ceux de ses sujets qu’il n’emploie pas à la guerrc.

Les Siamois sont peut-être le peuple le moins porté & le plus inhabile à l’art militaire. Si les Péguans, leurs voisins, entrent d’un côté sur leurs terres, ils entrent dans celles du Pégu, & les deux parties emmenent des villages entiers en captivité. De siéges, ils n’en ont jamais fait ; & quand ils prennent quelques places, c’est toujours par la faim ou par la trahison. Ils sont encore plus foibles sur mer que sur terre : à peine le roi a-t-il cinq ou six petits vaisseaux, qui ne peuvent servir que pour porter des marchandises. Ses galeres ne sont que de médiocres bâteaux à un pont, avec des rames fort courtes qui atteignent à peine à l’eau, & des ancres de bois.

Les finances du roi consistent en droits de douane sur les marchandises qui arrivent dans ses états, & en un droit annuel sur toutes les terres labourables, & sur tous les fruits qui se recueillent ; il a outre cela des terres qu’il fait cultiver par ses sujets ; il a les amendes & confiscations ; enfin il gagne beaucoup dans le commerce qu’il fait seul & exclusivement sur la plûpart des choses rares qu’on vend ensuite à son profit.

Les anciennes lois de Siam ordonnent qu’après la mort du roi, son frere succédera à la couronne ; & après la mort du frere, ou s’il n’y a point de frere, son fils aîné. Mais ces lois ont été si souvent violées, & la succession a été si fort dérangée, qu’à-présent lorsque le roi vient à mourir, celui de la famille royale qui est le plus puissant, s’empare de la couronne ; de sorte qu’il arrive rarement que le plus proche & véritable héritier monte sur le trône, ou soit en état de s’y maintenir.

Le roi de Siam a plusieurs grands officiers ; savoir 1. un officier qui a la direction des cours criminelles & des confiscations ; c’est une place de grande confiance. 2. Un grand chancelier, qui a la direction des affaires étrangeres. 3. Un grand chambellan, qui a la surintendance des palais du roi. 4. Le premier juge. 5. Le receveur général des revenus de la couronne. 6. Un grand écuyer qui a l’inspection des éléphans & de leurs équipages. 7. Un grand maître de la maison, qui a sous son intendance tous les domestiques du roi, & les ballons de sa majesté.

Il y a plusieurs autres officiers de la cour d’un rang inférieur, comme le chef des malagans, celui des mores, le receveur des douanes, &c.

Les Siamois n’ont point de nom de famille héréditaire, ils reçoivent les noms qu’ils portent de leurs maîtres & de leurs supérieurs. Les premiers de l’état portent le nom de leurs charges ; mais nul officier n’a de gages ; il a seulement le logement, & quelquefois de petits présens du prince, comme quelques terres labourables, qui reviennent encore au roi avec l’office après la mort de l’officier. Ainsi le seul gain des offices consiste dans les concussions & les présens des particuliers, ce qui est si commun que les moindres officiers en font aux plus grands à titre de respect, mais en réalité pour en être protégés. Le ministere est orageux dans ce pays-là, tant par l’inconstance naturelle du prince, que parce que les voies sont ouvertes à tout le monde pour lui porter ses plaintes.

Un ambassadeur n’est dans ce royaume, comme dans tout l’Orient, qu’un messager des rois ; il ne re-