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miers souverains du royaume de Pont, puissance dont les états alloient, pour ainsi dire, jusqu’aux portes de cette ville. En effet, selon Hérodote, l’empire des Medes sous Cyaxare, s’étendoit jusqu’à l’Halys qui confinoit au territoire de Sinope, & Ptérie qui touchoit presque à l’isthme de la Chersonnèse de cette ville, étoit sous Crésus du royaume de Lydie ; ce fut-là où ce prince, au rapport d’Hérodote, vint se poster à sa premiere campagne contre Cyrus ; & c’est de-là qu’il ravageoit les terres des Syriens, c’est-à-dire des Cappadociens, que les Grecs nommoient alors Syriens, dit encore cet historien.

Mithridate V. successeur de Pharnace son pere, ne se contenta pas seulement de réparer Sinope ruinée en partie dans le dernier siége ; il en fit la capitale de son état, & le séjour le plus ordinaire de sa cour ; mais il eut le malheur d’y être assassiné par ses confidens mêmes, & y fut enterré. Les Sinopiens, en reconnoissance des bienfaits qu’ils avoient reçus de ce prince, lui donnerent le titre d’Evergete, qu’ils firent graver sur leurs monnoies, où se lit βασιλέως μιθριδάτον εὐεργέτον.

Sinope ayant donc été entierement rétablie par la libéralité de ce prince, reprit sa premiere splendeur ; on y admiroit sur-tout la magnificence de ses portiques, celle de la place publique, de son gymnase ou académie, & de ses remparts. La beauté des fauxbourgs répondoit à celle de la ville ; & les dehors embellis de jardins agréables, étoient des plus charmans. Aussi Etienne de Byzance nomme-t-il Sinope la ville la plus illustre du Pont, πόλις διαφανεστάτη τοῦ Πόντου ; titre qu’elle méritoit encore d’une maniere plus glorieuse, en mémoire des hommes de Lettres qui y avoient pris naissance, entre lesquels Strabon nomme Diogene le cynique, Timothée le philosophe, Diphile poëte comique, Bathon qui avoit écrit l’histoire de Perse.

Cette ville qui eut Minerve & Apollon pour patrons, doit avoir produit beaucoup d’autres savans, dont les ouvrages & les noms mêmes ne sont point arrivés jusqu’à nous, puisqu’Astérius évêque d’Amasée, témoigne que Sinope, ville ancienne, étoit très-féconde en grands hommes & en philosophes.

Mais entre tant de personnages célebres qui y prirent naissance, aucun ne l’a plus illustrée que Mithridate, sixieme du nom, dit Eupator, le fléau & la terreur des Romains, & que Cicéron dans son Lucullus, nomme avec raison le plus grand des rois après Alexandre : regum post Alexandrum maximus.

Ce prince que son goût pour les Arts & les Sciences, que sa mémoire prodigieuse qui lui faisoit entendre & parler vingt-deux langues usitées dans ses états, & que la vaste étendue de son génie à qui rien n’échappoit, doivent rendre recommandable, se plaisoit principalement à faire sa résidence à Sinope & à Amise : il orna ces deux villes, & les remplit de tout ce qu’il put ramasser de plus rare & de plus précieux : Sinope & Amisus domicilia regis Mithridatis omnibus rebus ornata & referta, dit Cicéron, pro Manilio. Mais le malheur des guerres que ce prince eut à soutenir contre les Romains, qui de tous les peuples de la terre étoient les seuls capables de le vaincre, lui fit perdre cette ville & tous ses états ; après néanmoins avoir gagné huit ou neuf batailles contre autant de généraux romains, avoir causé des pertes immenses à la république romaine, & après une résistance des plus opiniâtres pendant près de trente années, contre trois de ses plus fameux capitaines, Sylla, Lucullus, & Pompée.

Il y avoit déja soixante-huit ans que la ville de Sinope étoit au pouvoir des rois de Pont, lorsqu’elle passa sous celui des Romains. Ils n’avoient pû dompter entierement Mithridate dans les deux premieres guerres qu’ils eurent contre lui sous la conduite de

Sylla & de Murena. Ce prince s’étoit toujours relevé de toutes ses pertes, encore plus redoutable que jamais ; & la paix qu’il avoit conclue avec eux, lui fut des plus avantageuses ; mais il succomba finalement dans la derniere guerre, & y périt.

Lucullus qui s’étoit déja distingué sous Sylla dans la premiere guerre contre ce prince, eut dans la troisieme le commandement des armées romaines. Il fut très-heureux, remporta des victoires contre Mithridate, le chassa de son royaume, & conquit la petite Arménie, avec le pays des Tibaréniens.

Après ces glorieux exploits, il retourna dans le Pont, où il lui restoit encore à prendre quelques-unes des principales villes, dont Sinope étoit la plus importante. Cette place, devant laquelle il se rendit en personne, auroit pû tenir long-tems contre toutes ses attaques : elle n’étoit pas seulement pourvue de toutes les munitions nécessaires pour une longue & vigoureuse défense, un grand nombre de pirates de Cilicie, gens déterminés, s’y étoient encore jettés ; & de plus elle pouvoit recevoir des renforts continuels par mer, dont elle étoit la maîtresse.

Mais la division s’étant mise parmi les chefs, tous ces avantages devinrent inutiles ; & pour surcroît de malheur, le feu ayant pris à la ville dans un tumulte, les Romains y donnerent un assaut général dans l’effroi de l’incendie, la prirent sans presqu’aucune résistance, & huit mille pirates qui ne purent gagner leurs vaisseaux, furent passés au fil de l’épée. Ce tragique événement arriva sur la fin de l’an de Rome 683, ou au commencement de l’année suivante 684.

La plûpart des habitans de Sinope n’ayant pu supporter l’insolence des pirates qui s’étoient jettés dans cette place pour la défendre, avoient été contrains de l’abandonner pendant le siége, & s’étoient retirés par mer où ils avoient pu. Lucullus étant maître de la ville, leur manda de revenir dans leurs maisons, dont il avoit eu grand soin de faire éteindre le feu, aussi-tôt que ses troupes furent entrées dans la ville.

Il remit aussitôt les habitans en possession de tous leurs biens, & par un excès de générosité, il leur accorda la liberté & le droit de vivre selon leurs lois, comme le rapporte Appien, graces dont il favorisa aussi les habitans d’Amise, autre ville capitale du Pont, & ancienne colonie des Athéniens, qu’Alexandre le grand, en considération de cette glorieuse origine, avoit aussi laissé en liberté.

Lucullus se signala encore à la prise de Sinope par son désintéressement, qui fut tel, qu’entre les richesses immenses & les pieces précieuses dont cette ville étoit remplie, il ne voulut retenir, dit Strabon, que la sphere de Billarus, célebre astronome, dont le nom cependant ne se trouve que dans cet auteur, & la statue d’Antolycus, du ciseau de Sthénis, fameux sculpteur.

Les Sinopiens regarderent cet événement comme un présage de la renaissance de leur ville ; & ce fut pour en conserver la mémoire à la postérité, qu’ils quitterent l’ere des rois de Pont, dont ils s’étoient servis depuis qu’ils étoient devenus leurs sujets, pour prendre celle de Lucullus, que l’on comptoit de l’an de Rome 684, qu’ils recouvrerent, pour ainsi dire, leur liberté.

Cependant à peine Sinope commençoit d’en jouir, qu’elle en fut dépouillée par Pharnace, qui enleva aux habitans une partie de leurs possessions. Ce prince, après la mort de Mithridate-Eupator, avoit obtenu de Pompée le royaume de Bosphore qu’avoit eu Macharès son frere. Mais il n’eut pas plutôt appris que la guerre s’étoit allumée entre César & Pompée ; que voulant profiter d’une si belle occasion de rentrer dans l’héritage de ses ancêtres, il se jetta sur le royau-