Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ros, avec une épitaphe. M. de Tournefort a vu cette épitaphe, qui est très-singuliere, sur un ancien marbre à Venise, dans la cour de la maison d’Erizzo. Les habitans de Sinope lui dresserent aussi des statues de bronze.

Il me semble donc que ceux qui ne proferent aujourd’hui le nom de Diogene que pour le rendre ridicule, montrent bien peu de connoissance de sa vie & de l’antiquité. Les Athéniens en jugerent différemment, car ils honorerent toujours sa pauvreté volontaire & son tonneau. Ils punirent sévérement le jeune homme qui s’étoit avisé de le lui rompre, & lui en donnerent un autre au nom de la république. Plutarque, Cicéron, Séneque, en un mot les premiers hommes de l’antiquité, n’ont parlé de Diogene qu’en termes pleins d’éloges, & l’on ne sauroit guere s’empêcher de le lui refuser, lorsqu’on envisage philosophiquement la grandeur de son ame.

Je ne m’étonne point qu’Alexandre ait admiré un homme de cette trempe. Ce prince, maître du monde, avoit vu venir à lui de toutes parts, les hommes d’états & les philosophes pour lui faire la cour. Diogene fut le seul qui ne bougea de sa place ; il fallut que le conquérant d’Asie allât trouver le sage de Sinope. Dans cette visite, il lui offrit des richesses, des honneurs, & sa protection, & le sage lui demanda pour unique faveur qu’il voulût bien se retirer un peu de son soleil, comme s’il eût voulu dire : ne m’ôtez point les biens de la nature, & je vous laisse ceux de la fortune. Alexandre comprit bien la vigueur d’une ame si haute, & se tournant vers les seigneurs de sa cour si je n’étois Alexandre, leur dit-il, je voudrois être Diogene ; c’est-à-dire, si je ne possédois tous les biens & tous les honneurs, je me tiendrois heureux de les mépriser comme ce sage.

Je n’ignore pas que ce seroit être ridicule de porter aujourd’hui une lanterne dans la même vue que le faisoit Diogene, pour chercher un homme raisonnable ; mais il faut bien qu’il n’ait pas abusé de cette idée, puisqu’elle ne parut point extravagante au peuple d’Athènes. Il y a mille choses semblables chez les anciens, dont on pourroit se moquer, si on les interprétoit à la rigueur ; & selon les apparences, ce ne seroit pas avec fondement.

A l’égard du crime de fausse-monnoie, pour lequel il fut contraint de quitter sa patrie, il est excusé par ses contemporains, sur ce qu’il ne s’y porta que par l’avis de l’oracle d’Apollon ; & s’il prit d’abord à la lettre la réponse Delphique, ce ne fut que pour lui donner bientôt après une toute autre interprétation, en se servant d’une monnoie bien différente de celle qui avoit cours, si nous entendons par-là ses maximes & son genre de vie.

Mais ce qu’on ne peut révoquer en doute, c’est la sagacité de son esprit, ses lumieres, & ses connoissances. Le sel de ses bons mots, sa finesse & la subtilité de ses réparties, ont passé à la postérité. Si Aristipe, disoit-il, savoit se contenter de légumes, il ne feroit pas sans cesse sa cour aux rois ; & quoi qu’en dise Horace, éternel adulateur d’Auguste, & détracteur impitoyable du philosophe de Sinope, qu’il n’appelle que le mordant cynique, je ne sai pas trop ce qu’Aristipe auroit pu répondre à Diogene.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que nous ne lisons point la liste des livres qu’il avoit composés, sans regretter la perte de plusieurs de ses ouvrages. Il possédoit à un degré éminent le talent de la parole, & avoit une éloquence si persuasive, qu’elle subjuguoit tous les cœurs. C’est par cette éloquence qu’il s’acquit plusieurs disciples, que distinguoit dans le monde leur naissance, leur rang ou leur fortune. Tels ont été Stilpon de Mégare, Onésicrite & son fils, & Phocion, encore plus illustre qu’eux. Mais si vous voulez connoître plus particulierement Diogene & sa

secte, voyez le mot Cynique, hist. de la Philosophie. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sinope, (Géog. mod.) ville de l’Asie mineure, anciennement comprise dans la Paphlagonie, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Elle étoit à 50 stades d’Armène, bâtie à l’entrée d’une presqu’île, dont l’isthme n’a que deux stades (environ deux cens toises de largeur), elle avoit un bon port de chaque côté.

L’ancienneté de cette ville remonte au tems fabuleux, au tems même des Argonautes. Elle reçut son lustre des Milésiens, qui y envoyerent une colonie, & avec le tems elle devint assez puissante pour fonder elle-même d’autres colonies sur les côtes du Pont-Euxin ; savoir à Cérasunte & à Trapésunte. Les rois de Pont s’en emparerent, & Mithridate fit de Sinope la capitale de ses états. Lucullus joignit Sinope aux conquêtes de la république ; Jules-César y envoya une colonie romaine, & Auguste dans son voyage d’Asie, lui confirma ses franchises & ses immunités.

Ses murailles étoient encore belles du tems de Strabon qui vivoit alors. Celles d’aujourd’hui ont été bâties sous les derniers empereurs grecs ; son château est entierement délabré. On ne trouve aucune inscription dans la ville, ni dans les environs ; mais on en voit quantité dans le cimetiere des Turcs, parmi des chapiteaux, bases & piédestaux. Ce sont les restes des débris du magnifique gymnase, du marché, & des portiques dont Strabon fait mention. Les eaux y sont excellentes, & l’on cultive dans les campagnes voisines, des oliviers d’une grandeur assez raisonnable.

Charatice capitaine mahométan, surprit Sinope du tems d’Alexis Comnène, dans le dessein d’enlever les trésors que les empereurs grecs y avoient mis en dépôt ; mais le sultan lui manda par politique d’abandonner la place sans y rien piller. Lorsque les croisés se rendirent maîtres de Constantinople, Sinope resta aux Comnènes, & fut une des villes de l’empire de Trébisonde. Elle devint dans la suite une principauté indépendante, dont Mahomet II. fit la conquête en 1461, sur Ismaël prince de Sinope ; c’est ainsi que cette ville de l’Anatolie, qui a été épiscopale dans le v. siecle, & qui n’est aujourd’hui qu’un bourg, a passé sous la domination de la Porte ottomane.

Strabon qui ne négligeoit rien dans ses descriptions, remarque que les côtes, depuis Sinope jusqu’en Bithynie, sont couvertes d’arbres dont le bois est propre à faire des navires ; que les campagnes sont pleines d’oliviers, & que les menuisiers de Sinope faisoient de belles tables de bois d’érable & de noyer. Tout cela se pratique encore aujourd’hui, excepté qu’au-lieu de tables qui ne conviennent pas aux Turcs, ils emploient l’érable & le noyer à faire des sophas, & à boiser des appartemens. Ainsi ce n’est pas contre ce quartier de la mer Noire qu’Ovide a déclamé avec tant de véhémence, dans sa troisieme lettre écrite du Pont à Rufin. Long. 52. 54. lat. septent. 43.

Aquila, auteur d’une version grecque de l’ancien Testament, étoit de Sinope. Il publia deux éditions de cette version ; la premiere parut l’année 12 de l’empereur Adrien, la 128 de J. C. Dans la premiere, il se donna plus de liberté pour rendre le sens de l’original, sans s’attacher servilement aux mots, & sans faire une version littérale. Mais dans la seconde, il traduisit mot à mot, sans en excepter même les termes qui ne peuvent être bien rendus en grec, particulierement la particule eth, qui lorsqu’elle désigne seulement l’accusatif en hébreu, n’a proprement aucune signification : cependant comme elle signifie ailleurs avec, Aquila la rendoit par la particule σὺν, sans au-